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Le Temps 30.08.2021

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«Il y aurait de jolies choses à faire», hommage à Jean-Pierre Fragnière

DISPARITION Le sociologue Jean-Pierre Fragnière est décédé il y a quelques jours à l'âge de 76 ans. La conseillère aux Etats Elisabeth Baume-Schneider rend hommage à un homme attaché au partage et à la solidarité

Etudiante à l'Université de Neuchâtel, j'ai fait connaissance avec des travaux du sociologue Jean- Pierre Fragnière. Directrice de la HETSL, j'ai eu la chance de faire connaissance avec l'homme. Il s'exprimait volontiers sur la diversité et la saveur des étapes de son parcours de vie. Cohabitant avec la maladie longue, il n'hésitait pas, dans la proximité du CHUV, à faire le détour par la Haute Ecole de travail social et de la santé et à me livrer sa liste de souhaits et de projets. A l'instar de Monique et Claude Pahud, fondateurs de la haute école et pionniers en matière de professionnalisation des métiers du social et de la santé, il considérait que le partage et la solidarité s'imposent comme des éléments fertilisants vitaux du terreau de la cohésion sociale.

Avec tendresse, je me souviens qu'il me proposait diplomatiquement dans un courriel de «risquer une suggestion». En fait, il consolidait avec une remarquable et remarquée persévérance, possiblement avec un brin d'obstination, une véritable stratégie en vue d'atteindre son objectif. Il partageait un constat et, tout aussitôt, formulait une idée pour répondre à ce qu'il considérait comme un inachèvement. Jean-Pierre Fragnière était Fidèle à son insatiable volonté de renforcer les liens entre les générations et la reconnaissance de leurs impatiences respectives. Dans cet élan, il souhaitait affiner l'image de la retraite chez ses collègues en activité et mobiliser l'intérêt des étudiant-es pour entretenir un patrimoine de connaissances qu'il redoutait de voir sous-sol- licité. Jean-Pierre ne se contentait pas de donner une impulsion; il attendait une initiative concrète et aspirait à y consacrer quelques «énergies résiduelles», comme il les nommait. J'ai en tête le plaisir qu'il a montré en vernissant en novembre 2018 son livre Générations solidaires écrit avec Philippe Gnaegi. Aucune trace d'énergie résiduelle, uniquement l'envie et le besoin de transmettre...

Le conseil de fondation de la HETSL et la direction emmenée par Alessandro Pelizzari ont appris avec une profonde tristesse son décès. Engagé par Claude Pahud, Jean-Pierre Fragnière a accompli un brillant parcours universitaire en se consacrant aux questions de politique sociale, de pauvreté, liées à la migration, à la vieillesse et aux relations intergénérationnelles. Professeur honoraire, il a œuvré toute sa vie au développement des connaissances et de la recherche dans des domaines qui le passionnaient, proches du travail social et de l'ergothérapie. Pionnier dans ses champs d'expertise, enseignant brillant, doté d'une grande ouverture d'esprit, organisateur infatigable, Jean-Pierre Fragnière a accompagné avec une immense générosité plusieurs générations d'étudiant-es, de chercheur-es, de professeur-es et de collègues dans la réussite de leurs parcours, toujours au service des populations fragilisées.

Avec un clin d'œil reconnaissant, je lui emprunte le titre de son hommage. Nos sentiments d'affectueuse compassion accompagnent sa famille, ses proches, ses ami*es.

ÉLISABETH BAUME-SCHNEIDER, PRESIDENTE DU CONSEIL DE FONDATION DE LA HAUTE ECOLE DE TRAVAIL SOCIAL ET DE LA SANTÉ, LAUSANNE

JeanPierre

Jean-Pierre Fragnière s'en est allé. 

La presse romande a rendu hommage à ce grand défenseur de la cause sociale et de la dignité de tout être humain, quel qu'il soit. La cérémonie d'adieu au Centre funéraire Montoie à Lausanne, a attiré de nombreux amis et personnalités. Placée sous la houlette de Bernard Crettaz, elle a évoqué l'itinéraire de vie de Jean-Pierre, ses multiples engagements, son extraordinaire énergie, jusqu'à son dernier souffle. Les deux compères s'étaient déjà affrontés à fleurets mouchetés dans un épisode de Plans fixes consacré aux personnes qui ont marqué l'histoire de la Suisse romande (voir sur internet: Plans fixes Jean-Pierre Fragnière).

Originaire de Veysonnaz, c'est là qu'il avait ses racines. On appelait son père « Henri da rëncha», Henri de la scierie: à l'époque les instituteurs, mal payés, n'enseignaient que six mois par année; il fallait bien nourrir les siens, arrondir les fins de mois. Et le mandat de député au Grand Conseil n'apportait pas grand chose, si ce n'est une considération sociale. Ce qui n'empêchait guère Henri de se montrer solidaire des gens du village, confrontés plus que sa propre famille aux aléas de l'existence. A l'échelon des grands parents, Jean-Léger, paysan de montagne, avait trouvé sa Lucienne à Haute-Nendaz. Les échanges entre les communes voisines étaient enrichissants et monnaie courante.

Jean-Pierre passa son enfance à Veysonnaz. Il se fit des amis parmi les jeunes de son âge et se familiarisa avec l'économie de survie, caractéristique de cette société montagnarde. Il m'a souvent rappelé ses visites à Clèbes le dimanche, bourgade sise à proximité sur Nendaz, auprès de ses cousins Fragnière: petites friandises, discussions sur la vie sociale, perspectives d'avenir...

Les études, puis son itinéraire professionnel l'ont confronté aux turbulences de l'histoire mouvementée du siècle dernier. Mais jamais il ne se départira de son attachement au village natal. On le verra fréquemment à la maison de ses parents, à « la jolie chambre », comme on disait, ouverte sur Nendaz et la plaine du Rhône. Propice apparemment à ses cogitations.

Lorsque la fin de mon itinéraire professionnel en 2005 s'est ouverte sur « la société de longue vie », selon l'expression de Jean-Pierre, nous nous sommes retrouvés, à Veysonnaz, bien sûr, et nous avons évoqué le riche passé de ce coin de terre. D'autres personnes se sont jointes à notre démarche, sur une base purement volontaire. Et c'est ainsi qu'est né le site internet Veysonnaz-Chroniques.ch (plus de 150'000 visites par an, avant la pandémie!).

Jean-Pierre a été notre mentor, jamais à court d'idées, de propositions, de conseils. Depuis lors, il nous a accompagnés de son amitié bienveillante et de son courage : les aléas de santé commençaient hélas ! à frapper notre compagnon de route. Mais il n'a jamais baissé les bras.

Il avait ce talent rare de mettre en valeur les personnes qu'il côtoyait. Don pédagogique, hérité sans doute de son père Henri, instituteur à l'autorité naturelle et au regard bienveillant. Des discussions que nous avions avec ces personnes, on en ressortait grandi et valorisé.

Dans Oser la mort, Bernard Crettaz et Jean-Pierre Fragnière mettent en exergue cette citation de Bertolt Brecht: «Ne craignez pas ainsi la mort et craignez davantage la vie insuffisante». Un appel à la créativité et au développement des talents de tout un chacun qui l'ont nourri tout au long de son remarquable itinéraire de vie

Jean-Maurice Délèze - animateur Veysonnaz-Chroniques.ch - automne 2021

Article proposé par Jean-Maurice Délèze

PrazOlivierDes coteaux de Clèbes à l'enseignement de la philosophie en Belgique 

Titillé dès sa prime jeunesse par la question du sens de la vie, Olivier Praz, né à Clèbes en 1977, se laisse guider dans son parcours scolaire et académique par une grande curiosité d’esprit. Ses années d’études au Collège de la Planta à Sion l’initient à la réflexion philosophique, marquée dans cet établissement de l’empreinte d’Aristote et de St.Thomas mais surtout du souci de rigueur dans la définition des termes du langage.

Le choix de la philosophie pour ses études académiques coule de source. Il s’inscrit à l’Université de Fribourg, avec en deuxième option, l’ethnologie. Il réalise après deux ans d’études que cette Faculté prend un tournant par trop positiviste alors que lui-même ressent toujours autant le besoin d’approfondir des questions plus fondamentales. Parmi celles-ci, il y a la culture d’une approche « cosmopolite » ; celle inspirée par Emmanuel Kant, visant à une connaissance de l’homme comme citoyen du monde, universel, libre et créateur, partout chez lui car partout chez autrui.

La rencontre de sa future épouse, infirmière pédiatre belge à l’hôpital de Sion, l’amène à s’intéresser à l’Université de Louvain-la-Neuve. Avec les crédits obtenus dans le cadre de cet échange Erasmus, il passera à Fribourg sa licence ès lettres (philosophie).

Viens sous les arbres parmi les couleurs de la vie. Tel est le beau titre de sa thèse de doctorat, publiée à Paris en 2013, consacrée à la poétique de Friedrich Hölderlin, auteur allemand du 19e siècle, proche des philosophes Hegel et Schelling. Ce qui l’intéresse, ce sont les liens entre l’écriture et la réflexion philosophique. A ses yeux, « l’écriture ensemence, structure le discours philosophique et permet une pensée aboutie ».

Déjà au cours de ses études, il se tourne vers l’enseignement (il faut bien vivre !). Il est aujourd’hui Maître-assistant en philosophie auprès de deux Hautes Ecoles de Liège, vouées à la formation d’ingénieurs au niveau master. Dans un cursus polyvalent de 5 ans, une centaine d’heures sont consacrées à la philosophie. Toujours la question du sens : quelles options durables avec un système économique si peu regardant de la finitude de nos ressources ? quel visage pour notre société façonnée par le modèle technoscientifique ?

Olivier est aussi chercheur associé auprès de deux Centres d’études et de recherche sur le langage et la connaissance, tout en animant un café philosophique et un enseignement sur la religion dans un collège.

Ce parcours de vie passionnant ne lui a pas donné la grosse tête. A l’image de ses parents, il respire la simplicité. C’est évident qu’il n’a pas fini de nous étonner, et de nous enchanter.

Bernard Bonvin

Savez-vous pourquoi le pape porte une soutane blanche ? Nous sommes en 1566, un nouveau pape est élu : Pie V, un frère dominicain qui sera canonisé en 1712. Cet homme, humble, ferme, austère et pieux, a été choisi pour réformer la Curie romaine, après les vifs débats qui ont marqué le Concile de Trente. Il renonce aux atours écarlates et dorés et conserve son modeste habit blanc de dominicain. Les cardinaux, notons-le, ne semblent pas avoir été tentés par la même démarche.

Vous avez sans doute croisé Bernard Bonvin dans cette tenue blanche de dominicain, à Veysonnaz, le village de ses racines et de ses premiers pas. Dans ce site, il évoque longuement le temps de son enfance et de sa jeunesse.

Jeune théologien, formé à Fribourg, le frère Bonvin laissera des souvenirs chaleureux aux étudiants des universités de Lausanne et de Genève dont il sera l'aumônier. Bientôt, il prendra la mesure du monde en assurant l'animation de Pax romana, le mouvement international des intellectuels catholiques.

Ensuite, pendant de nombreuses années, il assumera la lourde fonction de responsable romand de la formation des prêtres et des permanents d'Église. Il sera aussi curé de la paroisse de Saint Paul, à Genève, un carrefour de réflexion et d'innovation dans l'Église.

Dans l'exercice de ses mandats et de ses missions, Bernard Bonvin s'affirmera profondément comme dominicain ; il aime à rappeler que « l'ordre est tout entier façonné par son travail d'apostolat et de prédication ; les dominicains ne sont pas du genre à pleurnicher sur les malheurs du temps, nous sommes là pour révéler la part de Dieu dans le monde ».

Pendant toutes ces années, Bernard a publié de nombreux livres. Pour ne retenir que deux titres, beaucoup ont lu et apprécié son invitation à la méditation : « L'oraison, présence à Dieu, présence à soi » (Éditions du Cerf) et son appel à l'ouverture : « Réunir deux mondes » (Éditions Ouvertures).

Aujourd'hui, aumônier du monastère des dominicaines à Estavayer-le-lac, il accueille, il écoute et il écrit dans son modeste et chaleureux appartement sculpté dans les remparts de la ville. Il s'est entouré de tableaux vivifiants, souvent offerts par ses nombreux amis artistes. Sa plume, toujours active, parfois poétique, nous livre une exhortation à l'optimisme, Bernard dirait l'espérance : « Au point du jour, quand le premier blanchiment de l'horizon m'invite à dire : 'un jour nouveau se lève ! ' Quelle aubaine ! Alors, au rythme d'une petite brise, le léger voile de brume matinale se disperse en dansant ».

Pour les raisons les plus diverses, nous sommes nombreux à avoir envie de dire à Bernard un chaleureux merci.

Jean-Pierre Fragnière

 

Si vous voulez faire plus ample connaissance avec Bernard Bonvin et découvrir ce qu'a été son enfance, son adolescence, au contact des gens de Veysonnaz, suivez ce lien. Il vous donne accès à l'interview réalisée par Jean-Maurice Délèze et Roland Lathion, dont le principal objectif est de documenter le passé de notre région et de lui donner mémoire.