Poètes et Ecrivains
Présenté par Jean-Pierre Fragnière
passionné de littérature et écrivain
Quand Bastien Fournier sort du café Bon Vin, en quelques pas il s'approche de l'église ; derrière, sous les arbres qui caressent le clocher, juste au-dessus du cimetière, le spectacle des Alpes bernoises s'offre à lui. Il se donne le temps de l'admiration, il sourit en voyant cette mer de brouillard qui semble éteindre toute la plaine. Son regard, solidement encadré par ce mur de montagnes qui se glissent jusqu'au ciel bleu, est attiré, irrésistiblement, par ce qu'il croit être une ouverture, là-bas, vers le coude de Martigny. De l'air ! Semble-t-il murmurer.
Bastien est venu dire bonjour à sa grand-mère, Berthe, à la route de Beuson 9, si l'on en croit le baptême récent des routes et des ruelles du village.
Bastien enseigne le grec et le latin au collège de Saint-Maurice. Surtout, il est passionné d'écriture, essentiellement de ce qu'il est convenu d'appeler la littérature et le théâtre. Déjà six romans, trois pièces de théâtre, la dernière fraîchement traduite va paraître en Pologne. Que ce soit chez Françoise Berclaz-Zermatten, à la librairie La liseuse de Sion, aux éditions de l'Aire chez Michel Moret, au salon du livre de Genève, dans des revues littéraires, à Paris et à Berlin, il a tissé une solide toile avec ses mots et ses publications.
Prenons entre nos mains un roman de Bastien, le dernier, par exemple; il est intitulé: La Fugue. Découvrons quelques pages, et puis un paragraphe : de mot en mot surgissent des images, de plus en plus précises, elles nous pénètrent et elles s'animent; on dirait un film. Les premières nous séduisent, d'autres nous arrachent un sourire ou nous communiquent un frisson. Vous ne lâchez plus le livre, vous le fouillez jusqu'au bout.
Bastien aime la littérature, il la respecte, il la goûte profondément et il la défend. Sa démarche le conduit à regarder la vie avec une intense curiosité; il s'attache à transmettre ce qu'il voit, ce qu'il découvre, il nous livre ce que, souvent, nous n'avons pas regardé. Il ne cultive pas la nostalgie du passé, d'un Valais d'antan qu'il respecte toutefois avec une certaine déférence. Cependant, nourri de cette immense curiosité et de l'appétit d'universel qui caractérise la civilisation grecque, il regarde notre monde, le village, le canton et les continents en s'efforçant de comprendre l'essentiel et de le communiquer.
Découvrir l'œuvre et les passions de Bastien, c'est un délice. Ses deux derniers romans: La Fugue (roman) aux éditions de l'Aire. - Pholoé (roman) aux éditions de l'Aire; et beaucoup d'informations sur son site (avec une étonnante vidéo en prime) : http://www.bastienfournier.ch
Ignace Mariétan - Chronique d’Henri Michelet
« En venant de la plaine, à mesure que vous vous élevez, que l'air s'épure et fraîchit, que le corps et l'âme se raniment en respirant cet « air de diamant », les montagnes vous parlent. Écoutez l'histoire de leur lointain passé, voyez-les se préparer, sortir de l'onde, se dresser vers le ciel ; représentez-vous la puissance des forces mises en jeu par la nature. Puis, pensez que « chaque ruisselet qui murmure, chaque torrent dont la voix vous charme, dont les cascades vous ravissent, chaque glacier muet qui lentement s’écoule, pensez que ce sont eux qui ont donné à nos vallées et à nos montagnes ces formes qui nous enchantent. Enfin, appliquez votre esprit à saisir l'influence des montagnes sur les êtres vivants qui les habitent : les plantes, les animaux, les hommes. »
Si, promeneur superficiel et distrait, vous étiez habitué autrefois à ne considérer que le paysage, la couleur des fleurs et l'utilité́ des animaux, voici que votre compagnon vous découvre d'autres beautés plus intérieures et plus profondes :
« S'imposer une marche pénible, poursuivre de longues recherches, avant de trouver une espèce spéciale, l'admirer longuement, réfléchir sur ses conditions d'existence, chercher comment elle est venue là, pourquoi elle se maintient sans se répandre, rentrer chez soi avec ce beau souvenir, méditant déjà̀ une autre excursion à la recherche d'une autre espèce, quelle joie ! »
Avec lui, il n'est pas assez d'être parfait naturaliste, de pouvoir appeler plantes et bêtes par leurs noms. Il attire notre attention sur les éléments qui constituent l'âme valaisanne. Coutumes religieuses, caractères régionaux, dialectes, manières de vivre et de construire, tout cela tient une part importante dans les préoccupations de M. Mariétan :
« Enfant de la montagne, la vie des montagnards, confidents journaliers de la nature, ne pouvait manquer de me captiver : leur vie depuis les temps lointains de la préhistoire, leur vie actuelle surtout, si imprégnée d'un traditionalisme vivant. »
Après cette première leçon dans la montagne où notre maître nous a dépeint le caractère valaisan et enseigné l'art du « parfait promeneur », comment résister à l'invitation de continuer ? Toujours en sa compagnie, nous poursuivrons notre excursion ; nous irons à travers les régions les plus reculées de notre canton, pour rechercher les richesses qui s'y trouvent cachées. Partis des Follaterres et de la plaine de Fully, nous remonterons chaque vallée latérale jusqu'à la Furka et jusqu'au Léman. Nous sommes au siècle de l'avion et de l'automobile, mais nous avons choisi un mode de locomotion moins rapide. La marche à pied nous laissera le loisir de nous intéresser aux objets et aux gens rencontrés. Lorsqu'un magnifique panorama est là sous nos yeux, il vaut bien la peine de lui sacrifier quelques minutes de contemplation. Toute la journée, nous avons collectionné et observé plantes et animaux de la montagne :
« Puis, descendant pendant que les derniers rayons du soleil couchant illuminent le Cervin et la Dent Blanche, nous découvrirons Sion, au pied des collines de Tourbillon et de Valère, surmontées de leurs châteaux. Quand on a vu un tel paysage, on ne l'oublie jamais plus. »
Sur le bois ou sur la pierre, nos ancêtres ont tracé des inscriptions. Elles expriment leurs espoirs et leurs appréhensions ; elles sont souvent pour nous un exemple salutaire à retenir. N'est-il pas réconfortant de recueillir en passant une leçon de foi, comme celle qui est taillée dans une dalle du bisse de Montana ? « Dieu bénit le travail et protège ceux qui l'aiment. »
Dans son jeune âge, il y a bien quarante ans de cela, Dominique Favre, instituteur et poète à ses heures, résidait durant quelques semaines, au printemps ou au temps des foins dans les mayens des Fontanets, proche de Veysonnaz. Il assistait, avec son père Emmanuel, à la messe dominicale dans notre église. A ces occasions il a pu librement observer l'attitude plus ou moins priante des paroissiennes et paroissiens. Au fil des ans, a mûri dans son esprit un poème très évocateur qu'il nous livre gracieusement aujourd'hui.
de Marcel Michelet
Enrichi de ce qu'on donne
Appauvri de ce qu'on tient
Bienheureux qui s'abandonne :
On a tout quand on n'a rien.