Ignace Mariétan - Chronique d’Henri Michelet
« En venant de la plaine, à mesure que vous vous élevez, que l'air s'épure et fraîchit, que le corps et l'âme se raniment en respirant cet « air de diamant », les montagnes vous parlent. Écoutez l'histoire de leur lointain passé, voyez-les se préparer, sortir de l'onde, se dresser vers le ciel ; représentez-vous la puissance des forces mises en jeu par la nature. Puis, pensez que « chaque ruisselet qui murmure, chaque torrent dont la voix vous charme, dont les cascades vous ravissent, chaque glacier muet qui lentement s’écoule, pensez que ce sont eux qui ont donné à nos vallées et à nos montagnes ces formes qui nous enchantent. Enfin, appliquez votre esprit à saisir l'influence des montagnes sur les êtres vivants qui les habitent : les plantes, les animaux, les hommes. »
Si, promeneur superficiel et distrait, vous étiez habitué autrefois à ne considérer que le paysage, la couleur des fleurs et l'utilité́ des animaux, voici que votre compagnon vous découvre d'autres beautés plus intérieures et plus profondes :
« S'imposer une marche pénible, poursuivre de longues recherches, avant de trouver une espèce spéciale, l'admirer longuement, réfléchir sur ses conditions d'existence, chercher comment elle est venue là, pourquoi elle se maintient sans se répandre, rentrer chez soi avec ce beau souvenir, méditant déjà̀ une autre excursion à la recherche d'une autre espèce, quelle joie ! »
Avec lui, il n'est pas assez d'être parfait naturaliste, de pouvoir appeler plantes et bêtes par leurs noms. Il attire notre attention sur les éléments qui constituent l'âme valaisanne. Coutumes religieuses, caractères régionaux, dialectes, manières de vivre et de construire, tout cela tient une part importante dans les préoccupations de M. Mariétan :
« Enfant de la montagne, la vie des montagnards, confidents journaliers de la nature, ne pouvait manquer de me captiver : leur vie depuis les temps lointains de la préhistoire, leur vie actuelle surtout, si imprégnée d'un traditionalisme vivant. »
Après cette première leçon dans la montagne où notre maître nous a dépeint le caractère valaisan et enseigné l'art du « parfait promeneur », comment résister à l'invitation de continuer ? Toujours en sa compagnie, nous poursuivrons notre excursion ; nous irons à travers les régions les plus reculées de notre canton, pour rechercher les richesses qui s'y trouvent cachées. Partis des Follaterres et de la plaine de Fully, nous remonterons chaque vallée latérale jusqu'à la Furka et jusqu'au Léman. Nous sommes au siècle de l'avion et de l'automobile, mais nous avons choisi un mode de locomotion moins rapide. La marche à pied nous laissera le loisir de nous intéresser aux objets et aux gens rencontrés. Lorsqu'un magnifique panorama est là sous nos yeux, il vaut bien la peine de lui sacrifier quelques minutes de contemplation. Toute la journée, nous avons collectionné et observé plantes et animaux de la montagne :
« Puis, descendant pendant que les derniers rayons du soleil couchant illuminent le Cervin et la Dent Blanche, nous découvrirons Sion, au pied des collines de Tourbillon et de Valère, surmontées de leurs châteaux. Quand on a vu un tel paysage, on ne l'oublie jamais plus. »
Sur le bois ou sur la pierre, nos ancêtres ont tracé des inscriptions. Elles expriment leurs espoirs et leurs appréhensions ; elles sont souvent pour nous un exemple salutaire à retenir. N'est-il pas réconfortant de recueillir en passant une leçon de foi, comme celle qui est taillée dans une dalle du bisse de Montana ? « Dieu bénit le travail et protège ceux qui l'aiment. »