Souvenirs et libres propos. Texte d’Alphonse Bex restitué par Roland Lathion

La veille de la seconde guerre mondiale 39-45, un conseiller fédéral rappelait à ses concitoyens : Le paysan est l'épine dorsale de la nation. Notre mère la terre réclame sans cesse notre amour car ce n'est pas la terre qui est à l'homme mais l'homme qui est à la terre. Aux moindres troubles dans les pays environnants, le tocsin appelle à la mobilisation des troupes afin de garantir la sécurité de nos frontières, de nos droits et libertés et surtout l'existence de nos parents, filles et fils de la patrie et évidemment, la protection de nos cités et de nos villages. Le souci de survie fit dire au conseiller fédéral Walhen, responsable de l'agriculture : « Toutes surfaces propres à la production animale et céréalière doivent être cultivées ». On avait introduit l'alternance des troupes gardant nos frontières aux fins de pouvoir compter sur le maximum d'énergies, pour l'exploitation optimale de notre sol. J'ai encore en mémoire une remarque trouvée sur une affiche venant des offices fédéraux, apportant des conseils à la population et désignant le paysan, le prêtre, le poète et le soldat comme personnes indispensables au pays.

 L'habitat paysan, parfumé de modestie, est bien supérieur aux coffres d'une banque, renfermant des valeurs boursières ou de grandes fortunes, sans cesse en quête de rendements. Au sein des familles nombreuses chaque membre était conscient du partage et de la solidarité. La cellule fondatrice de la société avait de ce fait le plus sûr des fondements. Avant la venue de la loi sur l'assistance publique, les familles devaient subvenir aux besoins de leurs membres et cela jusqu'à la quatrième génération. Ce mode de faire exigeait une grande considération du degré de parenté entre les membres d'une communauté, le voisinage des terres devenait un témoignage précis.

De nos jours l'école publique, de plus en plus matérialisée réclame une lourde charge à la collectivité. Nos six mois d'école permettaient une formation sans cesse soutenue par les activités estivales. La pratique et le contact avec les aînés, les changements de saisons, avec des activités sans cesse renouvelées, apportaient à la relève le cheminement vers des compétences et aux familles paysannes une garantie de pérennité et une capacité financière décente.

La technique et la mécanisation des moyens de production ont facilité les travaux agricoles, elles ont permis l'agrandissement des domaines mais en même temps les très lourds investissements et les charges d'entretien onéreuses ont pesé de tout leur poids sur les bilans d'exploitation. L'individualisme inhérent à cette nouvelle forme de paysannerie a malheureusement ôté toute notion de communauté et le chacun pour soi a pris un essor si grand que tout travail ou aide communautaire a quasiment disparu de nos régions.

La vague touristique n'a guère fait avancer l'amour de la terre et a sérieusement compromis le bon maintien de l'environnement. Les médias sont responsables de l'individualisme, sans aucun doute l'ennemi de la tradition. Nos veillées, nos rencontres avec nos grands-parents, les parties de jeux au coin du feu sont aujourd’hui des exceptions. En questionnant la tradition elle me répond : « sans le passé l'actualité ment ». Le bon sens de l'homme vient toujours de la terre. Son exemple est éternel, son réveil printanier précis, pour les arbres, les fleurs ; même le coucou ne rate jamais son rendez-vous du 15 avril, à mille mètres d'altitude.

Les bisses nous amenaient de la rivière créatrice de nos vallées, l’eau indispensable à l’exploitation de nos prairies et de nos mayens. Loin d’être dépassés, l’exploitation et l’entretien de ces derniers sont des atouts pour le tourisme.

La sagesse et le respect de nos racines font des citoyens non seulement des contribuables mais des partenaires d’une patrie dont ils se sentent les enfants. Chaque corporation professionnelle, alternativement, veut de nouvelles lois, de plus en plus protectrices. Le roi Salomon utilisait une balance à deux plateaux pour rendre la justice. L’égoïsme qui est en chacun de nous, en chacun des membres des collectivités, fait que tous désirent être protégés spécifiquement. Quand aurons nous des lois dont le cadre sera emprunté aux dix commandements, caution de notre âme éternelle, source paix et d’humanité. Nos étudiants pourraient enfin se rendre en classe avec des outils de prières et non avec des armes. Les parents seraient enfin libérés des soucis liés à la sécurité de leur progéniture et quelque peu tranquillisés sur leur avenir. La démagogie s’est emparée de nos élus qui, à l’emporte pièce soutiennent tout, n’importe quoi, et son contraire.

Au second tournant de route qui me conduit de mon village à Sion, je salue souvent un cerisier centenaire. Je le contemple et il me montre au gré des saisons sa charpente de lutte avec les éléments, tempêtes de neige et vents rageurs. A l’une ou l’autre reprise j’ai essayé d’analyser, par intuition, le développement de cet arbre puissant dont les racines, le tronc et les branches se sont si bien adaptés à leur milieu.

Je me sens si proche de cette nature qui me parle, m’accueille et me situe sur cette planète globalisée. Oui, je me sens bien sur cette terre que je respecte et combien j’aimerai qu’elle demeure belle, verdoyante, fleurie, bruyante de mille chants d’oiseaux et lourde de fruits colorés et savoureux. Une prière s’élève en moi, profonde, silencieuse, reconnaissante : « Oh ! Soit béni mon Dieu pour toute ta création ».