Racines et Mémoire

processionToute la structure de la vie sociale est pénétrée par les pratiques religieuses. La vie des saisons est également profondément marquée par ce phénomène. On trouve des traces de cette vie religieuse sur le terrain (croix, oratoires, etc..) et les gens ont, sur le plan culturel, beaucoup de références religieuses pour expliquer des phénomènes ou des comportements. On constate encore une forte dépendance par rapport au clergé et à tout ce qui se rapporte à la vie religieuse. L'année civile était parsemée de fêtes avec des processions revêtant diverses significations. Certaines ont fortement marqué la vie des paroissiens.

Chaque troisième dimanche du mois avait lieu, autour de l'église, la procession du Saint-Sacrement ; à cette occasion, les femmes et les hommes portaient une sorte de bure blanche ceinte d'un cordon blanc. Les femmes portaient un voile tandis que les hommes étaient coiffés d'une sorte de calotte. Ces vêtements étaient propriété des membres de la Confrérie du Saint-Sacrement.

Lorsqu'un membre venait à mourir, le jour de l'ensevelissement, ses confrères masculins se voilaient le visage avec une partie de la bure qui ne laissait voir que les yeux tandis que les femmes se voilaient la face. En 1950, lorsque l'abbé Vannay fut nommé curé de la paroisse, il fit remplacer la bure par une médaille que les membres portaient lors des processions du Saint-Sacrement. Les femmes conservèrent par contre le voile. Peu à peu cette confrérie disparut et on ne trouve plus, aujourd'hui, de signes de son existence.

Le 25 avril avait lieu la procession de St-Marc. Le but était de demander la bénédiction divine sur la campagne afin de protéger les champs et les cultures de la grêle et du gel.

Au mois de mai, la procession de la Fête-Dieu (elle existe encore aujourd'hui) revêtait un faste particulier. Chaque famille décorait sa maison aussi bien qu'elle le pouvait. Des autels étaient montés en différents endroits des villages de Clèbes et de Veysonnaz. Sur ces autels, on exposait des statues du Christ-Roi, de la Vierge ou des images saintes. Après la messe, on se rendait en procession à Clèbes où un autel était érigé. Le curé de la paroisse portait l'ostensoir et à chaque autel, il exposait le Saint-Sacrement. Puis, la procession revenait à Veysonnaz où deux autels étaient généralement construits, aux deux extrémités du village. La foule revenait ensuite à l'église où le curé terminait la cérémonie. La Chorale prenait une part active à ces processions, elle chantait aux endroits où le curé exposait le Saint-Sacrement. Aujourd'hui, cette procession ne va plus à Clèbes ; elle parcourt les rues du village où deux reposoirs sont confectionnés pour la circonstance.

Les trois premiers jours de la semaine précédant la fête de l'Ascension, on célébrait les Rogations. Le premier jour, la procession conduisait les paroissiens de Veysonnaz à Verrey (village situé à deux kilomètres de Veysonnaz). Le deuxième jour, on allait jusqu'à Clèbes et le troisième on parcourait les rues du village de Veysonnaz. Le but de ces processions était d'implorer la protection divine sur la campagne et le bétail. En 1918, la grippe espagnole faisait de nombreuses victimes dans le canton. Dans la paroisse, seuls deux hommes meurent de cette maladie. Le curé Rey décide de mettre la paroisse sous la protection de St-Roch pour qu'il éloigne ce fléau. Ainsi, le 16 août, jour de St-Roch, une procession se formait autour de l'église. La statue du Saint était placée sur une sorte de brancard qui était porté par quatre hommes. Ces processions ont disparu depuis bien des années mais elles sont restées gravées dans la mémoire de beaucoup.

Dans l'année liturgique, les jours chômés étaient bien plus nombreux qu'aujourd'hui.

L'Epiphanie, qui se célébrait la première semaine de janvier et qui rappelait la visite des Mages, était la première fête chômée de l'année. La fête de St. Jean, le 24 juin, et celle de St. Pierre, le 29 juin, étaient également chômées. A cette époque de l'année, tout le monde était aux mayens avec le bétail. Le soir de ces deux fêtes, on allumait des feux de joie. Les enfants étaient mobilisés quelques jours auparavant pour aller chercher du bois dans la forêt pour qu'on puisse faire un beau feu.

On raconte que Jean-Antoine Fournier allumait ces feux et qu'il recueillait les cendres qu'il répandait, le jour de l'inalpe, sur le chemin où passait le bétail. C'était, dit-on, pour le protéger des fléaux qui auraient pu survenir. Ces feux de joie étaient d'ailleurs allumés dans l'ensemble du canton.

L'église de Veysonnaz a été placée sous la protection de Notre-Dame Auxiliatrice, la patronne de la paroisse qu'on fêtait le 24 mai. Le 21 novembre, fête de la présentation de la Vierge au Temple et le 2MarieAuxilliatrice février, fête de la Visitation, c'était également la "patronale" à Clèbes.

On se souvient aussi de l'importance que revêtaient les cérémonies des funérailles.

«Au jour fixé pour l'ensevelissement, les invités se présentaient devant la maison mortuaire. Il fallait les presser d'entrer pour prendre le déjeuner. On versait aussi du vin, surtout aux porteurs, et il n'était pas rare d'envoir qui se tenaient à peine debout au départ du cortège. Au milieu des pleurs des parents, on disposait le mort dans la "caisse" que l'on fermait avec un couvercle plat qu'on fixait avec des clous à grands coups de marteau, le bruit sinistre faisait éclater les sanglots. Et l'on se mettait en route. Si l'on venait de Verrey ou de Veysonnaz, il fallait près de deux heures de marche. Les hommes qui faisaient partie de la Confrérie du St. Sacrement étaient revêtus de l'habit blanc serré par un cordon à la ceinture et surmonté d'un capuchon.

Après la cérémonie à l'église, on descendait le cercueil dans le "creux" en présence de tous les assistants ; on le recouvrait aussitôt de terre, les premières pelletées sur le bois rendaient un bruit lugubre. C'est au retour de l'église que se déroulait, pour les invités, le repas principal. La grande salle (pilo) était pleine de tables disposées le long des parois. On devait en emprunter chez les voisins. Ces tables étaient recouvertes de nappes blanches ou rayées, en toile de chanvre et qu'on appelait "manti". On les conservait précieusement dans une "arche" ou bahut du grenier pour ces circonstances.

Chaque table était chargée de quartiers de fromage, de pain, de channes ou de pots à vin. Le chocolat au lait remplissait des bidons garnis, chacun, d'une louche et l'on en remplissait à sa guise des bols ou des plats en terre cuite dans lesquels on coupait du pain blanc. Et le festin allait bon train. A mesure que le fendant et l'humagne produisaient leurs effets, des conversations animées et même des rires bruyants remplaçaient la tristesse de commande du début. Il n'était même pas rare d'entendre des discussions assez vives sur l'héritage, lorsque quelqu'un était décédé sans laisser d'héritiers directs.

C'était une occasion de dépenses onéreuses, surtout pour les familles peu aisées. On devait avoir soin de conserver toujours à la cave assez de vin et de fromage d'alpage pour le cas d'un décès. Une grande préoccupation, pour chacun, était de laisser assez de biens "pour se faire enterrer" comme on disait alors. Outre ces ripailles, la famille du défunt était tenue de faire cadeau d'un complet neuf à une personne de la parenté ou autre, mais du même sexe que le trépassé. L'heureux destinataire devait, en retour, dire un certain nombre de Rosaires, correspondant au poids des habits reçus. C'est de cet usage qu'était venue, pour quelqu'un qui croyait n'avoir plus longtemps à vivre, l'expression "presto a bayé etzuiri". Il était par conséquent, grand temps de mettre un terme à de tels abus !

 img 19938Veysonnaz, terre de l'Evêché de Sion, faisait partie de la paroisse de Nendaz. En 1425, Veysonnaz possédait déjà une chapelle ; on la reconstruisit en 1721. Désaffecté, ce sanctuaire, placé au milieu du village, passa à des particuliers lors de la construction de l'église actuelle en 1908. Auparavant, les dimanches et jours fériés, les habitants de Veysonnaz,

Clèbes et Verrey descendaient à leur église paroissiale à Basse-Nendaz pour assister à la messe et aux vêpres. Il fallait plus de deux heures de marche, aller et retour, et cela par tous les temps, après les pénibles travaux de la semaine.

En été, le soleil accablait les paroissiens dans la pénible remontée. En hiver, les chemins étaient enneigés ou verglacés. On y allait malgré tout. Il n'y avait pas de route, on empruntait des chemins muletiers ou de petits sentiers. Comme il y avait une chapelle à Veysonnaz et une à Clèbes, des messes étaient célébrées régulièrement dans ces sanctuaires, mais il fallait se rendre à l'église paroissiale de Basse-Nendaz pour les baptêmes, les mariages, les enterrements, la mission et pour le catéchisme qui préparait à la première communion.

Dès son installation à Nendaz, en 1905, le jeune curé Pont s'est préoccupé des besoins les plus urgents de ses paroissiens. Ainsi, les trois villages, haut perchés sur la rive droite de la Printze, devaient incessamment se détacher de la paroisse de Nendaz et former la nouvelle paroisse de Veysonnaz. Le curé Pont décida de fonder une paroisse à Veysonnaz ; on forma donc un Comité.

Les habitants de Clèbes et de Verrey voulaient que l'église paroissiale soit construite à mi-chemin entre Clèbes et Veysonnaz. Le curé Pont promit de faire construire une route reliant Veysonnaz à Clèbes si les gens de Clèbes et de Verrey acceptaient que l'église soit construite à Veysonnaz. C'est ce qui a été fait.

Le comité se réunit à maintes reprises. Voici le texte qui évoque ses décisions.

«L'an mil neuf cent six, le six janvier, à Veysonnaz, au domicile de M. Jean Délèze, président, le comité des trois villages décide ce qui suit : L'assemblée primaire des trois villages, avec l'approbation et les encouragements de son Excellence Monseigneur Abbet, décide la fondation d'une paroisse formée de trois villages : Veysonnaz, Clèbes et Verrey, avec église à Veysonnaz.

Toutefois, les deux villages de Clèbes et de Verrey se sont réservés trois messes par semaine à dire à Clèbes, y compris les messes de fondation. La paroisse se constitue au moyen de fonds : quêtes, souscriptions, utilisation d'anciens fonds, ainsi que journées volontaires. Le reste à payer, pour la construction de l'église, de la cure et de la fondation du bénéfice sera réparti entre tous les paroissiens d'après trois classes établies : un quart d'après les ménages, un quart par tête de population et la moitié d'après la fortune imposable.

Une route devra être construite et maintenue en paroisse et les travaux devront être exécutés pour le 2 juillet 1906. Les fonds de la chapelle et de la section seront versés à la paroisse.

Les habitants de Veysonnaz devront et seront obligés de faire, avec Clèbes et Verrey, les démarches nécessaires pour faire une seule commune et paroisse, entre les trois villages, séparés de Nendaz».

A l'heure actuelle, la paroisse se compose des trois villages de Veysonnaz, Clèbes et Verrey mais ces deux derniers font encore partie de la commune de Nendaz.

Les chroniques paroissiales ne mentionnent nulle part la construction de l'église. Mais les "anciens" du village en parlent encore, on peut donc reconstituer, dans les grandes lignes, ce qu'a été ce chantier communautaire qui a dû s'ouvrir en 1906 pour ne se fermer qu'en 1910. La pierre qui fait clef de voûte, sur la porte de l'église, date de 1908. C'est donc avant et après cette date que se sont réalisés les grands travaux de la construction de l'église. Tous les dimanches, pendant deux ou trois ans, hommes, femmes et enfants, en un mot tous ceux qui étaient aptes à remuer une pierre, ont été de corvée ; et encore, les jours de la semaine, lorsque le temps le permettait.

Sous la direction du curé Pont, les matériaux s'entassaient à pied d'oeuvre. Le sable, les pierres et le bois étaient trouvés sur place. Par contre, tout le ciment était transporté à dos de mulet depuis Sion ; cela représentait quatre heures de route aller et retour. Le cimetière a été aménagé en 1908 et la cure, construite en 1909. L'église, la cure, le cimetière et la chapelle de Clèbes ont été rénovés par le curé Michelet entre 1962 et 1978.

 

Retracer en quelques lignes l'histoire de la politique au village n'est pas chose aisée. Lorsque l'on s'entretient avec les "anciens" qui ont été parfois des acteurs importants, ils ressentent une sorte de gêne et d'appréhension, à parler de la vie politique locale sous le régime des partis de famille. D'autre part, ces partis ont marqué et marquent encore la vie locale, certains faits sont restés gravés dans la mémoire de tous et ils se transmettent de génération en génération.

Il n'est pas facile de situer l'origine des partis de famille. Deux clans, les "Fournier" et les "Délèze" se livraient une lutte acharnée pour l'obtention de la majorité au conseil communal. Ils étaient structurés en fonction des liens de parenté. Bien sûr, ils ne correspondent pas aux partis politiques que l'on connaît au niveau cantonal : le parti conservateur, le parti radical et le parti socialiste pour ne citer que les plus importants.

L'origine de ces clans est assez controversée. Ces deux partis de famille se définissaient de tendance conservatrice mais il semble qu'aucune idéologie ne les différenciait. Chaque famille de la commune appartenait généralement à l'un de ces partis. Parfois, à la suite d'histoires de famille ou de conflits à l'intérieur du clan, une personne ou une famille changeait de parti,., ils "tournaient leur veste". Lors des élections communales, le score était généralement très serré ; les "indécis" faisaient souvent pencher la balance. C'est pourquoi, à l'approche des élections, les chefs de clans allaient visiter les familles considérées comme hésitantes. Ils apportaient à boire et à manger (du pain, du fromage et du vin) et ils essayaient d'inciter leurs hôtes à voter pour leur clan. La campagne électorale durait un mois environ. Des réunions des deux partis étaient organisées régulièrement avant les élections. La tactique politique à adopter était discutée par les chefs de clan, le plus souvent dans l'intimité d'une cave.

La vie sociale du village était marquée par l'approche des élections communales. Des conflits étaient fréquents, surtout le soir et parfois, des plaintes pénales étaient déposées pendant la campagne électorale. Il était dangereux pour les hommes, de sortir seuls le soir ; ils risquaient de se faire "rosser" par des membres du clan adverse.

Les deux partis avaient leurs lieux de rencontres et de réunions ainsi que leurs établissements publics. Même à l'église, on se gardait d'aller dans un banc du clan adverse. On se mariait dans le parti ; il n'était pas pensable de chercher mari ou femme dans le parti adverse.

Lorsque les résultats étaient connus, c'était la fête pour le parti vainqueur. Le président et le vice-président apportaient chacun quarante litres de vin et un fromage. Quant aux conseillers, ils apportaient vingt litres de vin et la moitié d'un fromage. La victoire se fêtait chez des particuliers et dans le bistrot du clan.

En 1924 et 1925, une lutte politique acharnée opposa les deux clans. Lors des élections de décembre 1924, le parti Fournier avait conquis le pouvoir. Le président élu habitait une partie de l'année Verrey, un hameau de la commune de Nendaz. Certains se plaignaient de l'absence du président. Dans ces circonstances, le chef du clan Délèze fit un recours au Conseil d'Etat et il eut gain de cause. Aux élections suivantes, il devint président de la commune. La politique des partis de famille jouait un rôle essentiel dans ce village.

Toute la vie sociale était organisée autour de cette politique de clans. Remporter une élection communale avait, pour tous les membres du clan, une signification très profonde. Dans ce système social quasi-autarcique cela correspondait, pour les membres du parti victorieux, à la possibilité de se voir confier des places de travail importantes au niveau communal. Parmi les responsabilités les plus en vue, on peut citer le fait d'accéder à des postes de membres du consortage des alpages, de la laiterie, des bisses ou encore de responsable des travaux publics. Au niveau des sociétés locales, comme la Chorale Ste-Cécile, cela signifiait, par exemple, devenir membre du comité.

Ces partis de famille ont subsisté jusque vers 1965, lorsque les profondes transformations économiques qui ont marqué la vie du village ont eu raison de ce modèle d'organisation politique, au moins en surface. Les "Fournier" et les "Délèze" se sont unis pour fonder le parti démocrate-chrétien ; cette initiative allait de pair avec une réelle amélioration des relations entre les clans ; quelques mariages remarqués en témoignent. En 1963, on assiste à la formation d'un groupe socialiste dont les membres se recrutaient principalement dans le milieu ouvrier. Opposition à certaines formes de monopolisation du politique, volonté de changement dans l'orientation de la politique communale, refus d'un système de valeurs trop crispé, c'est un peu tout cela qui est à l'origine de l'émergence de ce mouvement socialiste. Après quelques années de présence très minoritaire dans l'exécutif communal, les socialistes se sont mis en position d'attente dans une conjoncture politique où l'unanimité récente commence à présenter des failles de plus en plus perceptibles.
 

On ne saurait comprendre la structure profonde de la vie sociale à Veysonnaz sans évoquer deux réalités fondamentales : les pratiques politiques et le fait religieux qui ont imprégné la socialisation de chacun et qui dépassent largement l'aspect pittoresque que certains ont voulu y voir. Rappelons d'abord quelques informations sur la commune.

 La commune de Veysonnaz a été fondée en 1798 et rattachée au dizain d'Hérémence jusqu'en 1802 ; depuis, au dizain et district de Sion. Ce territoire planté sur un promontoire qui domine la plaine du Rhône est essentiellement composé de champs, de prairies, de pâturages et de forêts. La commune comprend le village de Veysonnaz et un hameau nommé Beauperrier. Cernée pratiquement par la grande commune de Nendaz elle est, on le dit souvent, une enclave. Vers 1800, les autorités du village se composaient de syndics et de procureurs (caissiers communaux) qui se chargeaient de faire parvenir au village les produits de première nécessité. Les procureurs dirigeaient aussi les travaux publics qui n'étaient pas rétribués.

Ceux-ci consistaient à nettoyer les chemins, les bassins, en un mot, à entretenir le domaine public (par exemple : la forêt du Su, la forêt de Magrappé et les chemins muletiers).

Aujourd'hui, Veysonnaz est la plus petite commune du canton par sa superficie : cent onze hectares. Sur cette surface, quatre-vingt-dix-huit sont productifs et treize improductifs.

Cependant, malgré son exiguïté, la commune s'est développée peu à peu ; et, aujourd'hui, sous la poussée du tourisme, elle est sortie de son isolement.

Les principales réalisations communales de ces cinquante dernières années sont incontestablement : la construction de la route Beuson-Veysonnaz, l'installation d'un réseau d'irrigation pour les champs, la canalisation des égouts, la construction d'un complexe scolaire avec salle de gymnastique et, tout récemment, la mise en place de diverses infrastructures pour l'équipement de la station. Tout cela ne s'est pas réalisé dans une atmosphère de sérénité permanente... tant s'en faut. Si les enjeux étaient de dimension apparemment modeste, ils apparaissaient cependant à beaucoup comme essentiels ; d'où, d'inévitables conflits. Ceci nous invite à évoquer quelques formes intenses de la vie politique au village.

 

 

caveEn 1812, un certain Dr. Schiner parcourait le Valais ; il faisait halte dans chaque village et notait ses impressions, voici ce qu'il retient de son passage à Veysonnaz.

«On observe d'abord sur une belle hauteur, et immédiatement au-dessous d'une jolie petite forêt de mélèzes, et au-dessus de belles prairies un grand village nommé Veisonna, assez peuplé, où les habitants sont de braves gens, menant une vie dure et laborieuse, mais dont les hommes qui viennent tous les samedis au marché de Sion pour y vendre des bois de bâtisse et autres, sont très adonnés au vin, et même à l'ivrognerie, au point même qu'ils retournent ordinairement chez eux assez pris de vin, tandis que leurs épouses sont fort braves, vertueuses et modestes.

Les gens de Veisonna sont au reste assez honnêtes et affables, et d'un caractère doux et paisible ; leur habillement est d'un drap grossier du pays, tirant sur le noir, mais leur langage, comme celui de tous les montagnards de cette rive du Rhône, est un jargon français très difficile à comprendre, et très dur à prononcer».

Ce tableau peu complaisant montre une société solidement repliée sur elle-même, vivant presque en autarcie. Ce n'est que depuis 1870 environ, que les Veysonnards commencent à descendre régulièrement à Sion et font commerce de leurs modestes produits ; au retour, leurs mulets sont chargés de denrées de base, un peu de sucre, de sel et de café.

 

Ainsi vivait-on à Veysonnaz vers la fin du siècle dernier. Les gens achetaient peu de choses : du café, du sel et, de temps en temps, un pain bis. On vivait de ses produits : comme chaque famille avait du bétail, on tuait une vache ou un boeuf ; ainsi on avait suffisamment de viande pour toute l'année... ou presque. Durant l'hiver et au début du printemps, les propriétaires de vaches apportaient le lait à la laiterie. Selon la quantité de lait, on avait droit à un certain nombre de kilos de fromage, de beurre et de sérac. Le même processus se reproduisait lorsque les vaches étaient à l'alpage. Les produits laitiers ne manquaient généralement pas et les propriétaires de gros troupeaux étaient fiers de montrer à leurs parents ou à leurs proches l'impressionnante rangée de fromages soigneusement alignés et bien entretenus à la cave.

Beaucoup de familles avaient des vignes et on encavait un peu de vin. Il est évident qu'on ne vendait pas la vendange ; toute la récolte était montée au village et était consommée. A la fin du printemps, lorsque les tonneaux étaient presque vides on "faisait la piquette". L'opération consiste à rajouter de l'eau et un peu de sucre au vin restant dans le tonneau. La "piquette" était la boisson traditionnelle du paysan pendant les pénibles travaux de la campagne.

En été, tous les hommes en bonne santé travaillaient la campagne; en hiver ils "gouvernaient" le bétail et coupaient du bois. On profitait aussi de prendre quelque repos, après les durs travaux de la "bonne saison". De temps en temps, il y avait, en hiver, une "coupe de bois" qui donnait du travail aux hommes et qui assurait la réserve de bois de chauffage. Faire une coupe de bois c'est abattre des arbres dans la forêt mais pas n'importe lesquels. Le garde-forestier, armé de la hachette dont le talon-marteau porte en relief les lettres VZ, marque de la commune, pratique une entaille en forme d'écusson sur la tige du sapin et frappe l'empreinte du marteau, tandis que le marqueur écrit à la craie le numéro du lot. Il comprendra un, deux, trois, quatre arbres ou plus, suivant leur grosseur. Reportés sur des billets indiquant le nombre de sapins ou de mélèzes les numéros sont tirés au sort.

En contrepartie, celui qui a décidé de tirer un lot devra faire une corvée, à savoir une journée de "manoeuvre". Le forestier en assure l'organisation et la direction. Il fait procéder à l'amélioration des chemins forestiers, à la construction de nouveaux tronçons et au reboisement des terrains communaux.