Pâturages et Forêts
Source : Les Pâturages de la région de Sion - Théodore Kuonen
Selon les anciennes coutumes, les ressortissants de Veysonnaz, bourgeois de Nendaz, pouvaient jouir des pâturages et des bois sur le territoire de Nendaz. Mais ce droit de jouissance donna matière à litige: de 1466 à 1488, il y a procès entre ceux de Veysonnaz et ceux de Clèbes et de Verrey.
En 1466, l'évêque, à l'instance du métrai et des procureurs de Veysonnaz, lance une monition aux paroissiens de Nendaz. Clèbes et Verrey font appel de cette monition; les deux parties se retrouvent devant l'évêque. En 1487, l'affaire est instruite par le chanoine Mantz, lieutenant de l'évêque, qui porte un jugement en faveur de Clèbes-Verrey. C'est au tour de Veysonnaz de faire appel à l'évêque. Ce dernier confirme le jugement, en 1488.
Les districts faisant l'objet du litige sont les forêts de Chorebisse et du Rard.
On ne connaît pas la date à laquelle avait été construit le premier bisse de Veysonnaz dans lequel le nouveau devait puiser son eau.
Un titre de 1419 mentionne la vente d'un droit d'eau au métrai de Veysonnaz et à des consorts par les gens de la paroisse de Nendaz pour 20 sous mauriçois. Il se peut qu'il s'agisse de ce bisse de Veysonnaz.
Nendaz fait référence à cette convention de 1453 lors du procès qu'elle intente, vers 1862, à la commune de Vex, à la suite d'une coupe de bois effectuée par les gens de Vex pour la correction de leur grand bisse: ceux-ci avaient coupé, dans la forêt de Seyti, 260 mélèzes et épicéas dont la valeur avait été estimée à Fr. 320.- par le garde forestier lequel avait dressé procès-verbal contre la commune de Vex. L'affaire fut portée devant le tribunal du district d'Hérens. Dans son exploit, le président de Vex s'oppose à la saisie de droits d'eau par Nendaz: la commune de Vex comme telle n'ayant aucun intérêt au bisse de Vex venant de Nendaz et n'ayant aucun droit d'eau, il estime les consorts seuls responsables. Il relève en outre que la procédure de Nendaz est contraire à la transaction de 1453.
Par jugement de 1886, Nendaz est débouté. La commune passe alors une transaction avec les consorts du bisse, ce qui met fin au procès. Rappelons que l'acte de 1453 prévoyait que les différends entre les parties au sujet de l'aqueduc, des pâturages et des forêts en corrélation avec le bisse devaient être tranchés, sans procès, par des arbitres à désigner par les deux parties, à parts égales. Cependant, ceux de Vex n'avaient pas le droit de changer le tracé du canal sans aviser et faire taxer les dommages suite à la correction ou à des éboulements.
Toujours à ce sujet, le bailli du Valais prononce, en 1664, une sentence en faveur des hommes de Veysonnaz, communiers à Nendaz: ils pourront jouir des biens communaux s'ils supportent également les charges.
Bien plus tard, soit en 1817, une convention est passée entre la commune de Nendaz et les hommes de Veysonnaz, communiers de Nendaz: ceux-ci pourront à l'avenir, comme par le passé, jouir pour leur propre usage des bois, litières et pâturages dans les forêts communales de Nendaz comme les autres communiers.
En 1863, Nendaz conteste la validité de ladite transaction ; cette prise de position mène l'affaire devant le Tribunal du Contentieux de l'Administration cantonale.
Après plusieurs mémoires, dupliques et répliques, le tribunal décide que ceux de Veysonnaz pourront, à l'égal des autres bourgeois, jouir de leur droit de bois, de litière, de pâturage et de passage ; il reste défendu de couper du bois pour en faire commerce.
Source : Les Pâturages de la région de Sion - Théodore Kuonen
Veysonnaz est une ancienne seigneurie de l'évêque avec laquelle la bourgeoisie de Sion a eu des intérêts d'ordre pastoral et sylvicole durant le moyen-âge et jusqu'au milieu du 19e siècle.
Les questions de pâturage n'ont cependant pas donné lieu à des tensions particulières.
Veysonnaz entretenait aussi des relations avec les communautés de Salins, des Agettes et de Nendaz: Formant une enclave entre la baronnie de Sion et la grande majorie de Nendaz, son propre espace vital était bien réduit et l'occupation agricole devait s'étendre sur les terrains voisins. Des difficultés au sujet de pâturages ont effectivement surgi, en 1377 et 1463, entre les communautés de Salins, des Agettes et de Veysonnaz.
En 1607, les trois communautés et la bourgeoisie de Sion s'accordent sur un prononcé quant aux pâturages de Charbonnay sur les territoires de Veysonnaz et de Salins.
En 1668, la commune des Agettes rend à celle de Veysonnaz son tiers des communs sis dans la partie de la forêt du Rard et tenu en indivision avec la bourgeoisie de Sion et avec Salins qui reprend à son tour le tiers de Veysonnaz. Les Agettes n'auront désormais plus aucun droit aux biens communs sis sur le territoire de Salins qui ne profitent plus qu'à la bourgeoisie de Sion et à Salins.
Nous avons vu que diverses familles nobles avaient des droits à Veysonnaz. Dès 1400, on trouve des actes qui nous renseignent sur des albergements et des ventes, à des gens de l'endroit, de fiefs d'hommage-lige et de droits d'eau contre redevances. Après qu'ils eurent bénéficié de certains affranchissements, les gens de Veysonnaz et des villages voisins purent procéder à des ventes et à des échanges de terrain.
Pour l'arrosage de ses terres, Veysonnaz devait amener de l'eau à travers le territoire de Nendaz. Elle était donc économiquement dépendante de cette grande voisine. Il ressort d'un acte de 1469 que les consorts du bisse de Veysonnaz reconnaissent devoir 8 sols de cens annuel pour l'eau d'arrosage des prés de Brignon, de Clèbes et de Veysonnaz, payable à la Saint-Martin au duc de Savoie. En 1596, les consorts du même bisse passent une convention pour le payement d'une rente annuelle de 8 sous mauriçois à la Saint-Martin, mais cette fois aux Patriotes du Valais. Une telle reconnaissance avait déjà eu lieu, en 1592, envers le secrétaire de la patrie valaisanne. Elle se répétera encore en 1621.
Veysonnaz passe, en 1476, une convention avec les gens de Vex et des Agettes pour la construction d'un aqueduc puisant son eau dans le bisse de Veysonnaz au lieu-dit Dusenchy. Les conditions pour la construction, l'entretien et la réparation des dommages causés par une éventuelle rupture y sont mentionnées.
Auparavant, la communauté de Vex, par son major, avait passé, en 1453, une convention avec le major du duc de Savoie pour la construction, sur le territoire de Bouson, Breygnon, Cleby et Heys, d'un nouveau bisse et aqueduc, dit «treyseur» ou «bey», depuis l'eau de Exprenchyz jusque sur le territoire de Vex. Les consorts de Vex pourront construire cet aqueduc qui devra prendre sa source dans l’Exprenchyz et l'amener directement vers l'aqueduc de Veysonnaz pour passer par ce dernier sur toute sa longueur jusqu'à sa fin et par les lieux qu'ils voudront jusqu'à Vex. Ils devront s'entendre avec Veysonnaz à ce sujet.
Les gens de Vex restent responsables de tous les dommages occasionnés par le bisse à ceux de Nendaz. Ils feront passer le bisse par des canaux et ponts sur les ruisseaux et feront des ponts suffisants sur le bisse pour chemins et dévaloirs qui seront entretenus à perpétuité par les gens de Vex.
L'autorisation est accordée moyennant la somme de 8 livres mauriçoises de bonne monnaie courante dans la châtellenie de Conthey, et une poutre de bois de mélèze dite «tendeur» que ceux de Nendaz devaient fournir chaque année à la ville de Sion pour l'entretien du pont du Rhône ; Vex payera au major de Breygnon, Cleby et Heys une rente annuelle de 3 sous mauriçois.
Source : Les Pâturages de la région de Sion - Théodore Kuonen
L'administration de l'alpage, l'organisation du travail, les taxes à payer pour chaque sorte de bétail figurent dans les statuts. Chaque allodiateur (propriétaire) est tenu aux charges et aux «manoeuvres» ou corvées de la montagne en proportion de ses droits et chacun peut être appelé à faire une manoeuvre, par exemple à la Saint-Jean.
On doit conduire à la «remointze» une charge de bois par vache à lait et, pour trois porcs, une charge de litière. On est en outre tenu aux fournitures pour l'entretien des domestiques. Aussi, chaque alpateur doit se rendre à l'alpage le jour de «chevuaz» et de mesurage du lait.
Il y a encore le «poyazo», c'est-à-dire le contrôle des fonds en jouissance et le recensement du bétail alpé.
Quelques récompenses attendent les consorts à la mi-été, lorsqu'ils ont droit, à titre «d'arpiezoz», à une ration de fromage, de beurre et de crème, et lors de l'assemblée générale, quand les procureurs distribuent fromage, pain et vin.
Les amendes prévues en cas de contraventions aux arrêtés sont fixées en détail ; il se peut que le contrevenant soit obligé de séparer son lait d'avec les autres consorts et de le fructifier à titre personnel.
Les statuts fixent les conditions de base pour être admis comme consort ou allodiateur, l'unité donnant le droit d'alper une vache, ainsi que les obligations à remplir pour être admis dans la société. Les modalités de vente et d'échange des droits de fonds sont également prescrites.
La jouissance des alpages communaux est subordonnée d'abord à la condition de bourgeois.
Dans un grand nombre de cas, les statuts devaient être approuvés par l'évêque, lequel réservait les droits de sa mense auxquels les statuts en question ne devaient en rien déroger. L'utilisation des communaux dits aussi «bans» ou «mayens-hauts», est liée aux pâturages d'alpage.
Le transfert ou l'aliénation des droits d'alpage est également réglementé.
A ce titre, les plus vieux statuts connus et qui concernent l'alpage de l'Egina, méritent d'être cités : Ils datent de 1240 ; les hommes de Reckingen et d'Ulrichen établissent que personne ne peut vendre ou aliéner des droits sans le consentement de tous les consorts
On peut conclure que le droit de jouissance des alpages est allé dans deux directions principales:
1. Vers un alpage bourgeoisial ou devenu tel par achat de droits, dont le fonds appartient à la bourgeoisie et dont la jouissance est fondée sur le principe de l'égalité entre les bourgeois :
Il est administré et surveillé par un conseil bourgeoisial ou une commission des alpages ;
La jouissance est réglée par des taxes à payer pour le bétail ou par un prix de location ;
La bourgeoisie, dans bien des cas, participe à des travaux extraordinaires ;
Il est exploité, en vertu d'un règlement bourgeoisial, par un consortage, soit une association de droit cantonal lui attribuant la personnalité morale par approbation des statuts par le Conseil d'Etat ; le but est une exploitation rationnelle;
les travaux ordinaires sont toujours à la charge des consorts.
2. Vers un alpage de consortage qui est soit d'origine ancienne et inconnue, ou qui s'est formé progressivement, ou encore qui est devenu propriétaire du fonds par convention avec la bourgeoisie:
L'ensemble de l'alpage est alors réparti en nombre d'unités, souvent subdivisées en groupes ;
Les droits se transmettent par héritage ou par acquisition ;
On perd son appartenance par la vente de tous les droits de fonds ;
Un minimum de droit de fonds est exigé pour être consort et être incorporé dans la société moyennant, au surplus, une finance d'entrée ; la part du fonds donnant droit à alper le bétail et à faire partie des allodiateurs est fixée.
Dans chaque cas, les statuts déterminent l'organisation plus ou moins structurée, les attributions des organes (direction, procureurs, charge-ayants), des domestiques dénommés suivant leur tâche spécifique, les prestations, les obligations des allodiateurs et consorts, les taxes pour le bétail, les fournitures et corvées des consorts, les salaires en nature.
Source : Les Pâturages de la région de Sion - Théodore Kuonen
Dès le XIVe siècle, la population augmente et le cheptel également; l'élevage, qui est l'occupation principale, devient si important qu'il faut se procurer de nouveaux pâturages par l'extension des alpages, au besoin sur d'autres communes et même sur d'autres cantons. La lutte pour les pâturages d'alpage ne tarde pas à se faire jour: Nombreux sont les documents qui nous parlent de litiges entre les communautés voisines, de sentences arbitrales, d'accords, de jugements des tribunaux. Nombreux aussi sont les arrêtés, statuts, ratements, renouvelés périodiquement. L'usage satisfaisant des pâturages et alpes ne peut se faire que sur la base de réglementations définissant l'exercice ordonné de leurs droits par les intéressés.
Les règlements fixent les jours de l'inalpe et de la désalpe, les chemins à suivre pour la montée et l'heure et la place du rassemblement. Aucun consort ne pourra désalper ses bestiaux avant la date fixée par le Conseil communal ou les procureurs.
Il est défendu d'alper plus de têtes de bétail que son propre fonds ne peut en porter, d'alper une vache louée ou achetée en vue de l'inalper; personne ne pourra donc investir plus qu'il n'a de droit de fonds et celui qui aura plus de mesures de lait qu'il n'a de fonds devra descendre les vaches en trop.
Celui qui a trop d'herbe doit l'admodier (mettre en location) au premier consort qui la demande et, s'il ne peut pas la louer, il sera indemnisé par les procureurs. Celui qui n'a pas assez d'herbage sur la montagne dont il est consort peut être appelé à payer une taxe par vache.
Nombreuses sont les dispositions qui se réfèrent à l'alpation des vaches, génisses, veaux, porcs, moutons: les vaches sont classées en vaches à traire (laitières), en vaches sans lait, ou ne donnant pas la mesure prescrite ; les génisses sont classées d'après l'âge ou comme devant mettre bas leur veau à la montagne.
On peut alper un porc ferré en proportion du nombre de vaches alpées, c'est-à-dire du lait de tant de vaches. Il en va de même pour les veaux. Les moutons ont, en général, un espace réservé.
Celui qui arrive le matin avec chevaux ou mulets devra les redescendre le soir, car on ne pourra pas les abandonner de nuit sur les pâturages.
Source : Les Pâturages de la région de Sion - Théodore Kuonen
Les ayants-droit réglementent alors la jouissance de ces communs en établissant des arrêtés au nombre desquels on trouve les dispositions importantes de la mise à ban des pâturages.
Les époques de la mise à ban pouvaient varier selon les conditions géographiques et climatiques de la région, l'altitude des prés-mayens, les usages des communes.
La mise à ban englobait également les propriétés privées et tous les pâturages pouvaient être ouverts au parcours à des dates déterminées: à partir de la mi-août, de la Saint-Barhélemy [24 août], de la Nativité de la Sainte-Vierge [8 septembre], de la Saint-Michel [29 septembre] et cela jusqu'à la mi-mars, au 1er avril, au 1er mai, à trois semaines avant la Saint-Jean-Baptiste [24 juin].
La mise à ban des prés «recordains» (à regain) se faisait d'ordinaire de la mi-mars jusqu'à la Saint-Michel.
En principe, le parcours du bétail dans les mayens communaux était formellement défendu pendant la saison d'alpage.
Les mayens-hauts étaient ouverts au parcours, par décision du Conseil communal, à une date déterminée. C'était le jour de la «débandia». Dès l'inalpe, ces mêmes mayens ne pouvaient être pâturés que par le bétail de l'alpage concerné. Pour ne pas ramener le bétail prématurément sur les communaux, il était défendu de désalper avant la date fixée. Les arrêtés ou règlements relatifs aux mayens communaux sont nombreux et souvent renouvelés.
Une règle généralement appliquée était celle qui défendait de pâturer sur les biens communaux plus de têtes de bétail qu'on n'en pouvait hiverner avec son propre foin ou qui auraient été nourries de fourrage provenant du bien loué de personnes non-communières ; ou encore de faire paître sur les communaux du bétail étranger à moins de l'avoir nourri tout l'hiver de son propre foin ; ou encore celle qui interdisait aux non-communiers la pâture sur les biens communs.
En principe, le non-bourgeois devait payer son droit d'usage des biens communaux. Le non-bourgeois habitant pouvait, le cas échéant, y pâturer son gros et menu bétail en payant une indemnité ou un droit annuel. Pouvait également être soumis à une taxe celui qui conduisait du bétail sur les communaux sans avoir de propriété à un endroit précis de la commune. Celui qui n'avait de biens que hors de la commune et faisait paître ses vaches en automne et au printemps sur les communaux, devait payer une somme par vache qu'il était à même de nourrir en hiver avec les produits de ses biens sis hors de la commune.
Les premiers statuts réglant l'utilisation des possessions communes étaient basés sur les coutumes et usages pratiqués. Ils s'adaptaient ensuite aux nouvelles exigences ; ils étaient donc l'expression des préoccupations des communautés essentiellement rurales et du droit local.
Les procureurs ou syndics avaient l'obligation d'assurer la sauvegarde intégrale des biens communs en les défendant contre leurs seigneurs ou contre toute intrusion des communautés avoisinantes. Dès le XIIIe siècle apparaissent dans les documents des règles sur l'usage des pâturages.