(592'980/114'995 altitude 1623)
Vers l'an 800, Charlemagne, roi des Francs et empereur d'Occident, régnait sur le Valais. Il avait favorisé, dans la vallée du Rhône, la religion, l'instruction et l'agriculture. L'abbaye de St-Maurice d'Agaune et l'Hospice du Mont-Joux étaient surtout l'objet de sa protection toute spéciale. Un de ses soldats, qui l'avait suivi en Italie lors de son expédition contre les Longobards, revint en Valais après le sacre de Charlemagne, à Milan, comme roi des Lombards. Il s'appelait Mari, appartenait à la race gauloise, et, comme le pays lui plaisait, il résolut de se fixer dans un vallon solitaire avoisinant la grande vallée rhodanienne.
Il s'en fut au val de Nendaz, choisit sur les coteaux qui dominent le hameau de Clèbes un lieu désert qu'il voulait défricher et mettre en culture. Il s'y construisit une hutte de bois et se mit bravement à l'œuvre. Au bout d'une année d'un labeur acharné, le colon avait réussi à créer autour de son habitation un jardin potager et un champ de blé qui assureraient sa subsistance avec le produit de sa chasse, dans une contrée boisée et giboyeuse. Il y amena un jour une compagne, une femme sarrasine qu'il avait rencontrée pleurant au coin d'un bois. Elle lui raconta que, fille unique d'un chef guerrier tué sous les murs de Sion par les soldats de Charlemagne, elle était seule au monde et ne savait où aller. Mari lui offrit de la prendre sous son toit, ce qu'elle accepta avec joie, et dès ce jour, elle partagea le logis et le labeur de son nouveau maître. Elle était jeune, forte, avait le teint basané et les yeux d'un noir de jais. Son nom était Sti, diminutif sans doute d'un nom. arabe. Les deux étrangers se marièrent. Quelques années plus tard, le mayen qui fut appelé Sti-Mari, nom qu'il porte encore aujourd'hui, s'était agrandi de plusieurs champs et prés ; à côté du chalet primitif s'éleva une autre construction en bois, où logeaient quelques têtes de bétail achetées aux paysans de Clèbes. Deux gros garçons étaient venus égayer le ménage où tout marchait à souhait. Mais les gens de Nendaz voyaient d'un mauvais œil ces étrangers s'installer chez eux et se tailler un petit domaine dans des terres qui ne leur appartenaient pas.
Ils allèrent porter leurs doléances devant l'évêque de Sion qui envoya deux chanoines pour faire des remontrances aux intrus et les engager à quitter le pays.
Le soldat-laboureur ne s'émut point de cette visite ; il répondit aux deux dignitaires ecclésiastiques que, soldat de Charlemagne, il était là par la volonté du monarque, et chargé de travailler les terres incultes encore nombreuses dans son vaste empire ; qu'il avait trouvé, à son arrivée, ces lieux couverts de ronces et de mauvaises herbes, et qu'il entendait continuer en paix la mission de son souverain, seigneur et maître.Les deux chanoines n'insistèrent plus. Le nom de Charlemagne leur en imposait plus que les doléances des Nendards et, dès ce jour, les colons ne furent plus inquiétés.
Mari mourut à un âge avancé, sa fidèle compagne le suivit peu après dans la tombe ; leurs douze enfants continuèrent à agrandir le mayen- qui devint avec le temps une colonie prospère, habitée par plusieurs familles alliées, qui y vivaient patriarcalement. Les générations s'y suivirent à travers les siècles, attachées au patrimoine des ancêtres, dont la tradition leur avait appris l'origine.Au milieu du XIVe siècle, la peste éclata en Valais, décimant les populations de la plaine et de la montagne. Nendaz et les hameaux d'alentour furent ravagés par le fléau ; les morts étaient si nombreux, et leurs corps, couverts de boutons noirs dont quelques-uns avaient la grosseur d'un œuf, étaient si repoussants, qu'ils restaient souvent sans sépulture pendant plusieurs jours, exposés aux ardeurs du soleil, et répandant autour d'eux la pestilence, la contagion et la mort.
Cette triste époque vit naître la pitoyable secte des Flagellants qui, pour faire pénitence et conjurer le courroux du ciel, couraient nus, d'un lieu à l'autre, se frappant avec violence le haut du corps avec des verges, jusqu'à ce que le sang ruisselât sur leur dos.
Les terres furent longtemps abandonnées faute de bras. Ceux qui avaient échappé à la Mort-Noire prirent librement possession des lopins délaissés, et le mayen de Sti-Mari s'agrandit à un tel point qu'il arriva jusqu'aux confins des villages de Veysonnaz et de Clèbes, si bien que les paysans des environs disaient : « Mari a to », ce qui signifie : Mari a tout, c'est-à-dire possède presque tout le territoire.
Le nom resta, et, par corruption devint Mariéthod, ou Marîéthoud, nom d'une très ancienne famille de Nendaz, dont un membre, plus qu'octogénaire, a raconté cette très curieuse histoire.