mule

Document proposé par Roland Lathion

Les Deux Muletsde Jean de la Fontaine

Deux Mulets cheminaient, l'un d'avoine chargé,
L'autre portant l'argent de la Gabelle.
Celui-ci, glorieux d'une charge si belle,
N'eût voulu pour beaucoup en être soulagé.
Il marchait d'un pas relevé,
Et faisait sonner sa sonnette :
Quand l'ennemi se présentant,
Comme il en voulait à l'argent,
Sur le Mulet du fisc une troupe se jette,
Le saisit au frein et l'arrête.
Le Mulet, en se défendant,
Se sent percer de coups : il gémit, il soupire.
Est-ce donc là, dit-il, ce qu'on m'avait promis ?
Ce Mulet qui me suit du danger se retire,
Et moi j'y tombe, et je péris.
Ami, lui dit son camarade,
Il n'est pas toujours bon d'avoir un haut emploi :
Si tu n'avais servi qu'un meunier, comme moi,
Tu ne serais pas si malade.

A considérer notre propre histoire, mules, mulets et ânes ont rendu aux villages valaisans et ailleurs d'éminents services durant de très, très longues années. Ces animaux ne servaient pas en priorité les « hauts emplois » mais la base paysanne et s'ils ont la plupart du temps échappé à une mise à mort violente, les rigueurs et les fatigues qu'ils ont eu à endurer tout au cours de leur existence ne semblent guère plus légères que les coups mortels portés à leur congénère par les brigands de la fable.

Mais là n'est pas la question et pour mieux apprécier tous les avantages que cet animal apportait dans le monde agricole et sylvicole valaisan, donnons un bref aperçu de ses caractéristiques.Mulet

Le mulet et la mule sont des hybrides stériles de la famille des équidés; engendrés par un âne et une jument. On utilisait chez nous essentiellement le mulet de bât et de trait. Robuste, sobre et patient, il pouvait être joueur, quoique un peu brusque. Plus grand qu'un âne, il présentait un pelage bai, noir et gris, plus rarement alezan. Sa tête était volumineuse et allongée; ses naseaux peu dilatés; ses oreilles longues, d'une taille idéalement intermédiaire entre celles de ses géniteurs; arcades sourcilières proéminentes; membres fins et secs.

Le mulet et la mule héritent avantageusement du cheval une grande force et une taille solide et de l'âne une plus grande sobriété et de la robustesse face aux maladies.

Grâce aux mulets, les valaisans ont pu vivre et exploiter forêts et herbages jusqu'aux confins des hautes vallées du canton. Parce qu'ils ont le pied sûr, parce qu'ils sont insensibles au vertige, parce qu'ils savent bien se placer sur les sentiers, les mulets ont été les meilleurs auxiliaires des montagnards. Avec un équipement convenable, on pouvait, pour ainsi dire, leur faire porter n'importe quoi. Sur les chemins à peine esquissés, dans la pierraille, au milieu des paysages austères de la haute montagne, hommes et mulets ont prouvé concrètement que l'union fait la force.

alphonsemarcellinDans nos villages, on faisait souvent aux mulets une réputation d'animal difficile. Parfois un aspect peu flatteur et un caractère bien affirmé rebutaient beaucoup les gens.

Comme ils étaient souvent confiés aux femmes et aux enfants et qu'habituellement on ne parvenait pas à leur faire mettre les pieds là où ils pressentaient un danger, on leur a souvent fait une réputation injuste de tête de mule.

On ne peut pas généraliser le caractère du mulet. Certains se comportent plus comme des chevaux, d'autres comme des ânes. La plupart ont un caractère bien trempé. Si le mulet apprécie son compagnon à deux pattes, il sera capable du meilleur. Dans le cas contraire, il lui rendra la vie impossible par des morsures, des coups de pied ou des refus d'avancer. Un mulet n'oubliera jamais une réaction injuste et il vaut mieux lui parler à l'oreille que de tenter l'intimidation! Malheureusement, on n'achète pas un mulet avec son mode d'emploi! Il faut en prendre son parti, cet animal ne met pas plus de temps qu'un cheval à comprendre, mais il a besoin de plus de temps pour accepter de donner ce qu'on lui demande.

7muletA Veysonnaz, tout comme à Clèbes et à Verrey, les mulets servaient réellement à tous les travaux et étaient, comme bête de somme, de tous les transports. S'agissait-il de la rentrée des récoltes, des foins, des vendanges, de la dispersion du fumier et des engrais sur les champs, de la descente du fromage des alpages, de constituer des réserves de bois ou de litière, le choix du collaborateur était vite fait. On s'en servait aussi dans les forêts pour le bûcheronnage et souvent on les attelait à des chars bien pesants, sur des chemins dangereux et en forte déclivité. La charrue ils connaissaient aussi et pour couronner le tout, ces braves bêtes servaient parfois plusieurs maîtres. On leur appliquait de sévères restrictions ; on oubliait de les nourrir et quand on leur apportait une maigre pitance, la qualité du fourrage laissait souvent à désirer. La traversée du village laissait parfois entendre leur hennissement pathétique. On peut penser que la dureté des temps expliquait ces agissements. Rappelons-nous des propos de Geneviève Fournier, du café de Clèbes, lors d'une interview : « Non, papa n'a pas été mobilisé. On a laissé partir le mulet. Il est resté plus de quatre ans loin. Alors il a fallu porter le foin sur le dos. Des fois, quand c'était plus loin on avait le mulet des autres ; ceux qui n'avaient pas été mobilisés, les plus vieux. On pouvait quelquefois s'arranger. On allait aider à travailler aux gens pour pouvoir profiter en retour de leur mulet. Il fallait encore aider aux autres pour avoir le mulet ! »

Ces braves compagnons ont disparu de nos villages dans le courant des années 1970. Il me semble que le dernier mulet qui trainait encore ses sabots au milieu de cette décennie appartenait aux sœurs Salamolard. Les tracteurs qui les ont supplantés ont fait leur apparition à cette même période, dans les années 1960, et n'ont fait qu'une bouchée de ces sympathiques quadrupèdes. J'en garde personnellement une certaine nostalgie car durant une bonne partie de mon enfance j'ai couru avec eux tous les sentiers entre les Mayens du Sommet, la forêt de Nendaz, les Mayens de Salins et les Fontannets.

Aujourd'hui, mules, mulets et ânes font à nouveau des adeptes. Ils séduisent par leur allure et se révèlent être de bons compagnons de randonnée, qui excellent par leur sûreté de pied et leur endurance. Ils sont la plupart du temps utilisés bâtés et servent au transport des bagages des randonneurs lors de leur déambulation dans les Alpes. Ils participent ainsi à la mode du trekking. Ils ont servi l'utile... Ils récoltent l'agréable.

HulligerOn raconte qu'au village de Veysonnaz un mulet d'un certain âge n'obéissait qu'à une seule personne. Il s'agissait d'une vieille dame à qui il avait accordé sa confiance. Chaque fois qu'une autre personne s'approchait et tentait de le détacher et de l'extraire de son écurie, tous les coups étaient permis... Hennissements, morsures, rebuffades, ruades... Parfois il parvenait à ses fins et réussissait à se faire oublier momentanément. A une occasion, cette sale bête, comme on le disait, se trouvant sur un mayen, loin du village, se libéra de son attache et se sauva à travers prés. Tous les efforts pour le rattraper furent vains. On tenta de le piéger, de l'amadouer, de le guider dans des culs de sac mais sans réussite. Il fallut finalement faire appel à la vieille maman, bien fatiguée, qui se déplaçant péniblement, parvint en mettant seulement sa main dans la poche de son tablier, à se saisir du mulet et à rentrer sans accroc au domicile.

Dans ces contes et histoires vraies, Aloys Délèze nous a aussi convaincu de l'intelligence de ces dignes descendants de Me Aliboron (âne de la fable...) :

Un villageois était descendu à Sion avec son mulet. Il but un peu trop et remonta le soir sur ce dernier qui le ramena devant son écurie. Le mulet se coucha par terre avec son précieux fardeau sur le dos, et tous les deux dormirent tranquillement. Le matin suivant, la femme qui se demandait où avait bien pu passer son mari, descendit à l'écurie et comprit enfin ce qui avait bien pu se passer. Elle disait par la suite quelque peu désabusée « mais qu'est-ce qu'on va faire avec ce drôle de vieux ».

Un autre, descendu à Beuson avec son mulet, traîna quelque peu dans les bistrots du coin. Sa femme ne le voyant pas rentrer, partit à sa recherche et trouva l'animal attaché près d'un bistrot. Elle le prit discrètement et remonta au village. On peut facilement imaginer le grand désarroi et toutes les questions qu'a dû se poser le mari quand il ne put que constater la disparition de son mulet et quand il le trouva enfin à son retour au village, tranquillement endormi dans l'écurie !