Interviews

angelineservante de cure

née en avril 1913

Agée de 92 ans, pleine de tendresse, le regard vif…


Entretien du 8 juin 2005 mené par Jean-Maurice Délèze


L’entretien débute sur l’alimentation au temps de l’enfance…

Angeline

Tu sais, on ne mangeait pas si mal


Est-ce qu'il y avait de la salade ?

Non, je ne pense pas avoir mangé de la salade en ce temps là


Et des haricots ?

Oui alors, des haricots, des pommes de terre


Des carottes ?

Pas beaucoup de carottes mais des poireaux, des oignons...

On vivait de ce qu’on cultivait…


Aller à Sion, le mulet, la foire…


Comment faisaient-ils ? Ils achetaient les semences à Sion ?

Probable, ça je ne sais pas.


Et sinon, ils allaient à Sion parfois, à la Foire ?

Oui, ils allaient à Sion avec le mulet.... Marguerite, ma maman allait à Sion chercher le courrier, Après, je sais pas combien de temps après, c'est venu à Salins mais avant il fallait faire ça.


Tu te rends compte ! Tous les jours à Sion ? Y compris le samedi ?

Oh oui, toujours.


C'était vraiment une corvée

Oh oui, c'était dur. Après aussi, il fallait allait chercher le courrier à Salins avec le mulet, tous les jours.


Vous ne faisiez pas du charbon de bois ici ?

Je ne crois pas, je ne me rappelle pas.


Ils brûlaient plutôt du bois ici ?

Oui, plutôt du bois


A part ça, les paysans de Veysonnaz allaient à la Foire une fois par mois ? une fois par semaine ?

Ils allaient quand ils avaient des bêtes à vendre. Il y avait un tel jour, le samedi par exemple, et ils allaient vendre des vaches, une chèvre, ils avaient un peu d'argent comme ça, avec la vente des bêtes.


Pour les gens de Veysonnaz, c'était ça, les ventes à la foire...

Oui, mais moi je ne sais pas de quoi on vivait, de peu de chose, de ce qu'on cultivait même, des pommes de terre, du pain... et puis on n'avait pas tant de bonnes choses, on n'avait rien...Oui, la viande, je crois qu'on en avait un peu presque tous les jours.


Est-ce que les gens de Veysonnaz ont eu faim ?

Je n'ai jamais entendu ça. On mangeait pas des choses spéciales mais du pain on avait toujours. Chez nous on était pauvre. Du fromage, on n'avait pas souvent. On n'avait pas de la confiture, on n'avait rien. On mangeait du pain. Du fromage, peu.

JM

Mais il y avait des fruits quand même, un peu ?

Ah, je sais pas combien ils avaient de fruits. Des petites cerises (sauvages), des pommes, je crois qu'il y en avait un peu mais on cultivait pas ça non plus. On avait hérité un pré à Prajean où il y avait des pommes.


Des poires ?

Si, je crois qu'on avait des poires, des petites, des petites prunes aussi, des djanettes.


Finalement c'était peu varié la nourriture ?

Oh oui, c'était peu varié mais tu vois pourtant ils vivaient assez bien.

 

La maladie


Et quand ils étaient malades, comment ils faisaient ?

Comment ils faisaient... ils se débrouillaient tout seuls à la maison...

 

Est-ce qu'ils utilisaient des herbes pour se soigner, des tisanes ?

Oh oui, je crois, ça ils utilisaient beaucoup. Et puis on pouvait boire du café, il y avait déjà du café.


On pouvait l'acheter à Sion ?

Sûrement. Et puis ils faisaient du boire avec de la farine ; ils tapaient et buvaient le jus ; c’était bon… ; papa nous disait toujours : « Be pas de café... e pas bon » (« ne bois pas de café, c’est pas bon » ; bois plutôt du petit lait (étcha) ! ou de ce liquide à base de farine (je ne me rappelle plus son nom en patois)


La farine était grillée ?

Pas même... mais certains ne voulaient pas boire l'étcha, maintenant on l’aime bien ; toutes des choses qu'on aime bien maintenant qu'alors on n’en voulait plus. Et tu vois, on vivait avec peu de chose, pour tout, pour tout, Oh mon Dieu, pour les habits, pour tout...

La première épicerie


Tu te rappelles quand il y a eu la première épicerie à Veysonnaz ?

Ah, ça c'est Francillon je crois qui eu la première épicerie, le père de Marcel Fournier. Je pense. Peut-être qu'ils en ont eu une avant déjà.


C'était dans les années 20-30 ?

Oui, je pense, de mon temps, tu vois, de mon temps.


Et qu'est-ce qu'ils vendaient, tu te souviens ?

Un peu de tout. C'était là où habitait Nanette, où il y a le bistrot maintenant, chez Guy Fragnière, c'était là l'épicerie. Là il y avait rien qu'un magasin, c'était pas tant... On y trouvait du sucre, du sel, du café, je ne sais pas s'il y avait déjà du pain.


Des outils aussi ?

Peut-être bien ; pas beaucoup.

Les contacts avec l’extérieur, à part Sion


Finalement ils avaient peu de contacts avec l'extérieur, à part les foires à Sion ?

Oui, ils avaient peu de contacts. Il y avait jamais des gens qui venaient en vacances, jamais.


Tu parlais du service militaire. Ton papa, Jean, il est allé où pendant la Guerre de 14-18 ?

Oh, je me rappelle pas.... ils étaient tous ensemble là... pas en Valais... dans d'autres cantons


Tous les hommes allaient au service militaire et c'était une occasion de connaître d'autres personnes ?

Oui, je sais pas

Les Mayens de Sion, les « Monsieurs » et les myrtilles


Mais autrement à part la foire à Sion, est-ce qu'ils allaient déjà aux Mayens-de-Sion ?

Quand est-ce que ça a commencé, je ne sais pas mais de mon temps, j'allais toujours. On allait cueillir des myrtilles et on allait les vendre aux Mayens-de-Sion.


Parce qu'il y avait déjà ce qu’on appelait les "Monsieurs" ?

Oui


Il y avait déjà les vieux chalets ?

Oui, ça existait déjà de mon temps


Et vous, vous alliez vendre les myrtilles, les framboises ?

Surtout les myrtilles, on allait les vendre et on avait tellement la frousse pour aller aux Mayens de Sion quand il fallait passer au Tsable du Guéraz. Parce qu'on avait peur des "Dumas" 


Pourquoi ils avaient peur du Tsable du Guéraz ?

Mais je sais pas pourquoi ils avaient peur des Dumas, à la maison on en parlait toujours, c'était pour faire peur ; quand on était en bas au çu (pâturages en-dessus de Salins), la peur qu’on avait : ils nous disaient : « ils passent par ici les Dumas ! »


Et puis alors là-bas vous vendiez combien le panier de myrtilles ?

Oh moi je sais pas combien, peut-être cinq francs...


Et vous alliez les ramasser avec le peigne dans la forêt ?

Oui, il fallait aller les chercher là-haut dans la forêt


Et en même temps vous rigoliez bien...

Oui, surtout avec Alice, ma sœur, elle était tellement comique ! Un jour on était là-haut et elle a dit : "Horané, j'ai mis un soulier de papa et un soulier à moi !" Et elle s'est aperçue de ça tout là-haut parce qu'elle avait mal aux pieds ! Il y avait des combines à mourir de rire. Tu sais, maintenant les gens y rigolent pas beaucoup mais en ce temps-là, on riait beaucoup et puis par exemple ensemble dans les veillées comme ça...

 

Les veillées


Comment, justement, c'était ces veillées ?

Eh bien le soir, après le souper, on allait chez quelqu'un. Moi, je vois toujours du temps du curé Zuber... Tu as connu Hélène et Marion, chez eux il y avait deux ou trois jolies filles et alors les garçons de la Vernaz venaient veiller là et ils dansaient des fois...


Avec quelle musique ?

Avec la musique à bouche et je me rappelle toujours ; j'étais là à regarder danser et le curé est arrivé. Je me rappelle toujours, je ne sais pas quel âge j'avais et il a dit :

« Encore cette gamine qui est là maintenant ! » J'ai dit : "Moi je suis perdue, je suis perdue "


Toi tu avais quel âge, 15 ans ?

Mais non, j'avais même pas huit ans, quatre - cinq ans peut-être, j'avais juste commencé l'école et j'ai dit "je suis perdue, après le curé il m'astique"... alors j'ai été chez le curé et j'ai dit "C'est la première fois mais M. le Curé je vais plus jamais...." (grands rires !)


Donc ces veillées c'était presque tous les soirs ?

Non pas tous les soirs parce que les gens ils devaient travailler il ne pouvaient pas veiller tard. Il faudrait demander à Thérèse Bex parce qu'elle se rappelle beaucoup de choses de ces veillées et c'est très rigolo...


Mais pour en revenir aux Mayens-de-Sion, les gens quand vous alliez vendre ces myrtilles...

Oh ils disaient "Ces pauvres diables" et ils prenaient... ; et d'autres fois on était trompés, ils disaient "Il n'y a pas plus que ça... On disait "horané, pas mis que cha inkj » !


Et le dimanche, vous alliez aux Mayens-de-Sion : il n’y avait pas le bal, les jeux de quilles...?

Oh mon Dieu, si, on y allait pendant les vacances, il y avait toujours grand bal, grand chenil, grand chenil aux Mayens-de-Sion... J'allais avec tante Céline parce qu'on était pratiquement du même âge, deux ans de différence. Je disais pas « tante » parce qu'on était grandes copines... Je me rappelle qu'une fois on était allées au bal aux Mayens de Sion, on était restées assez longtemps et puis on est revenues... Grand-maman Delèze nous avait dit un mot terrible, je ne me rappelle plus comment mais c'était terrible. Je me rappelle comme on était astiquées quand on arrivait à la maison.

 

Départ du village


Combien de temps es-tu restée à Veysonnaz ? Quand as-tu quitté le village ?

Je suis partie chez le curé à 23 ans. J'avais fait deux places déjà. A Saxon et à Charrat. Là, dans une famille avec trois enfants et dont la mère était dépressive. Elle a dû partir pour se faire soigner et j'ai dû m'occuper des enfants dont un bébé qui dormait dans un berceau près de mon lit. J'avais peur, je perdais un peu la tête, je n'osais pas dormir, je me disais "Est-ce qu'il va bien, est-ce qu'il dort bien ?"


Comment avais-tu trouvé cette place ?

Je ne sais pas, je suis partie parce qu'après un certain temps ils ne m'ont plus gardée mais je me plaisais beaucoup et les enfants étaient très attachés à moi. Quand je suis partie, ils m'ont accompagnée à la gare et criaient " Tantie » prends-moi avec toi". Je m'en rappelle toujours parce que j'ai trop souffert de ça.


Combien de temps es-tu restée là-bas ?

Un ou deux ans, jusqu’à ce que je suis partie chez Monsieur le Curé. Je gagnais environ 50 ou 70 francs par mois. Je donnais un peu à la maison mais souvent il ne restait pas grand chose à donner...

L’ancien président Délèze et sa Marguerite


A l'époque où tu étais à Veysonnaz, Jean Délèze était déjà président ?

Je ne crois pas, plutôt après.


Tu as bien connu Jean Délèze, c'était un bon type ?

Oh oui, je l'ai bien connu. Et c'était trop joli ce couple, tu sais comment ils se sont mariés ? c'est trop joli... Chez grand-maman Marguerite, ils avaient besoin d'un homme à la maison, il y avait de la campagne, des prés... et tu sais qu'elle avait 16 ans quand elle s'est mariée, elle ne savait rien du tout de la vie, rien du tout. En ce temps-là on n'apprenait pas tant de choses, c'est ton grand-papa qui lui a enseigné pour les enfants et tout, elle savait rien, rien du tout, mariée à cet âge-là... Oh, pourtant qu'est-ce qu’ils se sont accordés ces deux-là, qu'est-ce qu’ils s'aimaient ! Je me rappelle toujours à la fin encore grand-papa l'appelait « hora y noutre chi » (oh là là, la nôtre ici…) avec tellement de bon coeur, je trouvais ça tellement joli. Je me rappelle toujours une fois qu'ils remontaient des vignes du côté de Salins, les deux en même temps, grand-papa disait à grand-maman :"Nous deux, il faudrait qu'on puisse mourir tous les deux en même temps" !


Marguerite, c'était qui ?

C'était la soeur du papa de Mélanie et d’Emile, et son grand frère, c’était l'oncle Eugène qui était curé à Vétroz pendant longtemps : j’étais servante chez lui pendant un an.

Marguerite et Jean, ils se sont mariés si jeunes et je pensais comme ils s'aimaient, plus tard quand ils étaient seuls à la maison, ils allaient à la cave manger le goûter, boire un verre d'humagne ; oh ! ils s’aimaient ces deux là. ; c’était très joli

L’école


A l'époque, il y avait l'école primaire, elle était où ? Tu as été à l'école ici ?

C'était chez Angèle d’Adrien Fournier


Qui était l'instituteur pour toi ?

C'était l'oncle Henri, ton papa. Et moi, je n'étais pas bonne pour les problèmes et tout ça... alors il me grondait ! Je crois qu'il était bon comme instituteur.


ça a démarré à ce moment-là l'école ?

Non, il y avait du temps de ma maman déjà, elle m'avait dit comme elle était bonne à l'école, le régent lui donnait des images ; elle est devenue sourde plus tard ; elle avait attrapé la rougeole et ils ne l’ont pas gardée à la maison, ils l’ont laissée aller à la campagne

 

Le frère Henri


Et ton frère Henri ? comment a-t-il pu faire des études ? Il a fait l'école primaire et puis après ?

Il a fait un temps au Séminaire, chez les Pères, pas au Séminaire à Sion


Et puis les études, c'est l'oncle Jean qui a payé ?

Oui, et puis alors ça coûtait pas beaucoup


A l'époque ici à Veysonnaz, il y avait beaucoup d'artisans ? Par exemple, celui qui faisait les souliers, Maurice Glassey, tu te rappelles !

Je ne sais pas s'il y avait quelqu'un qui faisait les souliers... sûrement qu'il y avait quelqu'un...


On m'a dit aussi Francillon, lui faisait les meubles en osier

Je ne me rappelle pas de ça ; mais Francillon avait un frère, Djan, qui ne voyait pas

 

Fin de l’entretien

(13 AOUT 2007)

(par Jean-Maurice Délèze)

 

Construction de la maison familiale – les métiers du papa

 


Tes parents, c'étaient Lucien et Adèle ; ils habitaient déjà Tcherpeu ?

Non, papa a d’abord habité à "Ousse", où il y avait François Fournier, le père d’Alphonse ; les parents de papa étaient là. Papa a construit à Tcherpeu et a démoli la vieille maison, une « bicoque », qui appartenait à Marguerite Mayoraz, vers 1922 ; la route de Beuson – Veysonnaz n'était pas faite ; il a amené le sable et le ciment à dos de mulet depuis Brignon


Il a construit avec Marcellin ?

non, avec tante Marguerite, la soeur de papa


ton père était maçon ?

il a fait tous les métiers : maçon, menuisier… ; les granges en haut par les Mayens, la Raïre à vous, c'est lui qui l'a fait avec Charles Fragnière


et comment il a appris ces métiers ?

avec les yeux...il faisait les métiers avec les yeux


mais il y avait des maçons, des menuisiers à l'époque ici à Veysonnaz ?

des gens avec des diplômes, il n'y en avait pas, mais il y avait de bons maçons, des menuisiers, des charpentiers…


et il s'est lancé tout seul pour faire cette maison ?

oui avec tante Marguerite ; un étage chacun ; le gros boulot c'est papa qui l’a eu ; quand on pense la vie qu'ils ont eue... 1200 jours de service militaire ! sans solde ! avec sept gamins ; c'était la première guerre mondiale, la mob en 18, puis après de nouveau en 39, sans solde non plus.

 

L’agriculture, se nourrir


mais comment ils vivaient alors ? c'était ta maman, Adèle, qui s'occupait de tout ?

oui, des sacs de polenta, de maïs, de pommes de terre...


et là, pour construire, cela lui a pris beaucoup de temps ?

oui, sûrement deux ans


et à côté, il avait un peu d'agriculture ?

oui, ils avaient deux vaches qui n'avaient pas le lait qu'elles ont maintenant...


combien penses-tu qu'elles donnaient par jour ? 5 à 6 litres ?

Jean Fournier, le Gros Djan, m'a raconté que lui avait une vache qui donnait sept litres par jour en haut à Verrey ; ils sont venus avec un pot mesurer, c'était un maximum..


parce que maintenant les vaches de la race d'Hérens, elles produisent combien ?

15 à 20 litres ; parfois plus


et à côté de ça, vous aviez des cochons ?

oui, on tuait un cochon en automne


des chèvres ?

oui, on n'avait pas des berlingots. Il y avait un Vaudois qui habitait en-dessous de Célestin à Lutry et qui venait chercher des effeuilleuses ici et qui disait :"Moi, jamais je pourrais boire le café avec le lait de chèvre"... il est arrivé ici avec la voiture, Yvonne a fait le café, y avait pas les berlingots et les vaches étaient à la montagne, y avait que le lait de chèvre...Deux ou trois fois il a dit :"Tu sais Yvonne, c'est le meilleur café que j'ai bu de ma vie !" Et après là-bas quand il discutait... on lui disait :"Là-haut vous avez bu du lait de chèvre"... Il n'en revenait pas !


et comme cultures, qu'est-ce qu'il y avait ?

des pommes de terre, les fèves, les petits pois, pas tant de carottes, beaucoup de choux


et la viande il y en avait toute l'année ?

non, non, à la fin de l'hiver c'était liquidé ; quand ils commençaient les travaux, il y avait plus de viande mais ils achetaient des sacs entiers de polenta qu'ils faisaient cuire dans la marmite, ils la versaient ensuite dans un plat en terre. Ils faisaient chauffer la graisse qu'ils achetaient en plaques en magasin, des « chtalin » (du beurre fondu), peut-être que c'était un mélange beurre-graisse. Ils versaient ce mélange sur le plat. Et puis alors ils étaient tous autour du plat avec une cuiller ; ils faisaient des talus pour faire venir en bas la graisse, pour donner un peu de goût à cette polenta...

 

La maman – sa famille


et Adèle, ta maman ? son nom de famille c'était quoi ?

c'était une Praz des Biollets. La grand-maman c'était une Gillioz. Mon arrière grand-père, du côté de ma mère, descendait de Haute-Nendaz ; il était instituteur et enseignait à Brignon et il voulut construire mais tu sais comment il fallait faire pour construire dans le temps ? y venait pas des madriers défiler derrière ; il fallait aller à la forêt couper le bois, le descendre jusqu'au village, équarrir, scier à la bombarde… ; il a tellement savaté qu'il a chopé la broncho. A ce moment-là, il y avait pas les antibiotiques, il était cuit. Il est mort jeune, la grand-mère des Biollets avait six ans quand il est mort. Il avait entre 35 et 40 ans. La grand-maman des Biollets avait six ans, elle a pas été à l'école, il lui fallait aller chercher du bois pour faire les repas, casser la neige et tout.... ; et elle est morte à 94 ou 95 ans.

 

La première épicerie – le four banal


les sacs de polenta arrivaient comment ici ?

Ils cultivaient aussi la polenta en Suisse dans le temps et ils l'achetaient au magasin. Damien et Alexandrine Théoduloz ont tenu le magasin, où il y a la coop ; et après il y a eu Francillon, François Fournier, le père de Marcel Fournier ; après sont venues Angeline Fragnière et Hélène


combien coûtait un sac de maïs ? c'était cher ?

non, c’était bon marché ; ils achetaient un sac de maïs ou un sac de farine ; je discutais une fois avec une Evolénarde qui servait dans un bistrot à Vex. Elle me disait : « Nous, on était nombreux en famille ; on sait ce que c'est que la farine grillée …»


et le pain, on le faisait ici au four banal ?

oui, ici et à la Golette ; presque tout le monde savait faire le pain. Le grand-père des Biollets lui avait fait un cours de trois jours avec un boulanger. Alors du pain, on l'achetait de temps en temps le dimanche, un pain blanc, autrement c'était un pain de seigle.

 

Si peu d’argent…


et puis, ils avaient un peu d'argent pour acheter le maïs ou autre chose ?

oui, en allant aux myrtilles, aux framboises, en vendant de temps en temps une bestiole, mais pas grand-chose. Le grand-père des Biollets avait assez de pain pour toute l'année parce qu'il avait un tas de champs de blé. Pour l'argent, il écrémait le lait et il apportait la crème à la boulangerie Richard à Sion (aujourd’hui Zenhäusern), une fois par semaine depuis les Biollets et il disait qu'il y avait assez d'argent.


et ton père quand il travaillait comme maçon, menuisier... il était payé ?

oui, mais des salaires de misère, minimes, il y avait très peu d'argent. Des salaires fixes, il y avait l'instituteur, le curé et le "taureau" du syndicat ; ça c’était les trois « fonctionnaires »... L'impôt c'était presque rien


la Commune vivait avec quoi ?

il y a des gens qui ont presque tout perdu leur bien pour payer les impôts et acheter du foin au printemps quand il en manquait pour le bétail. Ils s'endettaient comme ça. On racontait qu'une année quand il y avait peu de foin, un avait trois vaches mais il voulait pas vendre. Les vaches à ce moment-là, elles valaient trois cents francs, vers 1920. Il a mieux aimé acheter une toise de foin 300 francs que de vendre la vache. C'était sacré, une vache, la survie... et maintenant c'est le contraire, c'est les gens qui font vivre les vaches

 

L’artisanat


il y avait d'autres métiers ici à Veysonnaz ? travailler l'osier par exemple, Francillon...

oui, il faisait des hottes, des fauteuils, et d'autres des seillons, des petits tonneaux


on cultivait le chanvre, le lin ?

oui, en là au Ménandry


les draps, ils les faisaient eux-mêmes ou ils les achetaient ?

j'en n'ai pas entendu parler, je ne sais pas...


les costumes ?

il y avait la petite tante à la coop qui faisait les chapeaux courbes (les tsapés corbes)

A l'étang du Ménandry où poussait le chanvre, Théophile Lathion, Augustin Praz, Dyonis Délèze devaient partir à l'école de recrues le lundi, ils avaient été là-bas prendre le bain ! Tu vois, ils prenaient le bain lorsqu'ils recevaient une rincée, un orage... c'est tout. Ils avaient pas d'eau à la maison, c'était au bassin

 

Un confort minimum…

JM

il n'y avait pas d'eau dans les maisons ; la cuisine, c'était avec la cheminée

F

oui et en-bas, chez Madeleine Pitteloud, il y avait encore l'empierrement à la cuisine

JM

et pour chauffer en hiver ?

F

tu sais bien comment... ils chauffaient bien durant la veillée, et vers minuit la chambre devenait froide, pas d'isolation, et le matin il fallait recommencer à faire le feu, c'était des conditions difficiles mais les gens venaient aussi vieux que maintenant

 

Automédication, les docteurs, la sage-femme…


et la maladie, quand ils avaient des problèmes de santé... ils se débrouillaient beaucoup avec les herbes ?

oui, oui...de mon temps, je me rappelle qu'on allait à Sion chez le Dr Coquoz, il fallait aller le chercher à Beuson à dos de mulet avant qu'il y ait la route ; c'est lui qui a fait la première opération de l'appendicite en Valais


mais ça, c'était pour les cas vraiment graves, quoi

oui, parce qu'ils mourraient de la péritonite, le grand-père des Biollets est mort de la péritonite, du "mal de ventre", on disait, mais c'était la péritonite, il paraît que c'était des souffrances atroces


mais ici ils avaient beaucoup d'herbes, de recettes traditionnelles...

ça, c'est sûr, l'impératoire, par exemple, une remède fantastique pour les blessures mais aussi pour le bétail ; mais est-ce que je t'ai raconté l'histoire des feuilles de St-François ? Le frangin, André, il avait 6-7 ans, il courrait après les papillons et le papa fauchait ; il a ramassé la faux dans le mollet... il est parti à Sion chez le Dr de Preux. Il lui a mis 13 agrafes, des gros « machins » comme pour les courroies de transmission. Puis au bout de quelques jours le gamin est monté et puis tu vois il a joué ici et là, s'est amusé dans la terre et puis... infection. Papa, quand il a vu l'infection, il a été chercher des feuilles de St-François, "l’entélite vulnéraire" et il lui a mis une bonne dose. Le lendemain le gamin est descendu encore une fois chez le docteur de Preux. Le médecin l'a regardé et a dit : "De ma vie, je n'ai jamais vu une plaie aussi propre !" Il avait fait sauter toutes les agrafes ; avec les feuilles de St-François, c'est très efficace.

Lucie Fragnière, la maman à Kuntschen (Célestin Fragnière), elle s'était coupé à un bras en utilisant la faucille pour faucher les blés. Elle n’a pas tellement fait attention pour désinfecter et un jour Jean-Léger a dit : « on va aller au docteur aux Mayens-de-Sion ». Le docteur a pris Jean-Léger à l'écart et lui a dit :"Vous savez, peut-être que je vais devoir amputer le bras à votre femme..." Elle avait neuf gamins. Jean-Léger est venu en-bas et pleurait en racontant ça à ses copains ; « tu te rends compte, c'est la gangrène ». Papa lui dit : crétin que tu es "viens en-bas sous la maison de Tcherpeu, c'est plein de feuilles de St-François. Ils en ont ramassé un bon tas et ont fait un pansement à Lucie. Au bout de deux jours, ils ont arraché le pansement et à la fin de la semaine, elle est allée aux Mayens-de-Sion, le docteur a fait des yeux comme ça...Elle était guérie !


ils avaient aussi des herbes contre les maux de ventre, la toux : le porcora... ils dépensaient moins d'argent que nous pour la santé... ll n'y avait pas d'assurances sociales, rien et finalement ils devenaient assez âgés, non ?

plus vieux que maintenant ! mais bien sûr il y en a qui mourraient jeunes aussi, des maladies qu'il fallait opérer ou des trucs qu'on connaissait pas


et pour les accouchements... toi tu rappelles de Cécile de Beaupérier ?

la sage-femme,


avant Cécile de Beaupérier, tu te rappelles qui c'était ?

non...


Cécile a accouché presque tout le monde ici à Veysonnaz ; toi aussi ?

oui


moi aussi ; chez nous, c'était les huit de la famille, vous étiez sept.. et finalement il n'y avait pas tellement de décès à l'accouchement ?

pas tellement mais il y en a quand même eu... ; la maman à Hedwige et à Aristide, elle est décédée à l'accouchement d'Aristide ; il y en avait quand même, des suites d'hémorragies, comme ça...

 

Ils étaient presque tous pauvres… émigration


et à l'époque dans les années 20, il y avait combien d'habitants à Veysonnaz ? je me rappelle qu'à l'école on apprenait dans le livre de géographie qu'il y avait 365 habitants... il y avait peut-être 200 du temps de tes parents ? peut-être plus ?

peut-être....


parce qu'il y avait de grandes familles... mais est-ce qu'il y avait des gens plus pauvres ou bien ils étaient tous sur le même plan ?

on peut dire qu'ils étaient presque tous pauvres.. il y a de ceux qui étaient moins pauvres que d'autres, tu vois ?


et alors chez vous, vous étiez sept en famille et ils sont tous restés par ici finalement ?

Non ; la soeur Odette est partie, elle s'est mariée à Berne. Yvette, la femme de Maurice, est partie jeunette. Bernadette est partie pour Le Locle, elle s'est mariée là-bas. André est parti à Brignon


et finalement qui est resté à Veysonanz ? Toi, Angelin, Hermann ?

oui, les trois ; Hermann, menuisier, était le premier de la maison


finalement quatre sont partis, il y avait une grande migration, il fallait trouver de quoi vivre...

c'est sûr

 

L’école primaire


et ton père il est allé à l'école primaire ?

Oui


c'était où l'école, en là à la Golette ?

je ne sais pas, moi j'ai été chez Angèle ; et après je suis venu deux ou trois ans ici en-bas. Avant , on allait en-haut chez l'oncle Célestin


qui était ton instituteur ?

Julien, tout jeune.


et chez Angèle tu as aussi été ? tu penses qu'il y avait une autre école avant ?

Moi je me rappelle chez l'oncle Célestin, puis chez Angèle et après ici en-bas sous la coop et plus tard au centre scolaire. L'examen, il fallait faire à Sion. Toi tu te rappelles pas de Mengish ?


non...

c'était pour l'examen de fin de scolarité, il venait faire l'inspection.


filles et garçons dans la même école ?

oui. Je me rappelle encore dans les années 40-42 (je suis de 27) Il a donné une dictée "la désertion des campagnes", ils en causaient déjà alors. Je me rappelle que l'inspecteur a dit : "C'est une dictée difficile mais les bons plats, on ne donne qu'à ceux qui savent les apprécier". Je me rappelle de cette phrase. Magnifique !


et donc, l'école primaire c'était jusqu'à 12 ans, ou 15 ans ?

15 ans, il y avait pas de formation professionnelle, rien. Moi, j'ai été faire l'examen à Sion le vendredi. J'avais quatre notes, quatre branches ; je savais que j'avais quatre "1" Et puis le lundi j'ai commencé les « études » : mené en-haut le sable depuis la chapelle Sainte-Anne en-haut vers Zimmermann ; papa avait pris un boulot là-bas avec la mule à Darioli ; j'ai travaillé quinze jours ; pas vu la couleur de cinq centimes... les parents avaient besoin d'argent


et ton père, il a construit beaucoup de maisons ici ?

des maisons pas tant, mais des granges dans les mayens

 

La première radio


oui, je me rappelle qu'il avait fait la grange qui a brûlé à La Raïre.

Et la vie au village c'était quoi ? il y avait les veillées, la radio ? toi, tu te rappelles quand la radio est venue ici ?

Oui, je crois que c'est Joseph Lathion le premier qui l'a eue juste avant la guerre parce que les femmes allaient laver au bassin et Joseph y venait chercher l'eau... Alors elles demandaient des nouvelles de la guerre, tu vois, "pas tant intéressant, il disait, ils attachent les femmes et ils tiraient dans les yeux" …


où il avait trouvé cette nouvelle ?

il avait inventé... et le lendemain elles demandaient : "Et aujourd'hui, qu'est-ce qu'ils ont dit ?" « Ah, aujourd'hui ils ont été plus catégoriques, ils ont dit que pendant que la guerre était là-bas, nous on était si bien ici »


et après, il y a eu d'autres radio, non ? papa chez nous ?

Oui, aussi Louis Praz, Lucien Salamolard, Lucien Fournier


pendant la guerre, ils venaient tous écouter la radio parce qu'ils avaient peur...

bien sûr, en-bas à "Ousse" c'était Jean Fournier qui faisait les commentaires ; un personnage ! c'est lui qui a fait les conduites pour moi, qui a amené l'eau depuis la laiterie là-bas jusqu'à la maison, j'ai construit en l956. J'ai fait les fouilles seul. Depuis le chemin de la Tzintre, c'était du beurre, mais quand je suis arrivé à la grange à Damien ici, en haut les talus...tout dans le brisier, dans la pierre ; un mois ! un mois ! car j'ai fait tout seul. Et les fondements de la maison, il n'y avait pas de trax, alors...l'huile de coude !

 

La première faucheuse, le tracteur tout terrain…


et Jean lui il était...

appareilleur ; il vissait les tuyaux, mettait les robinets, il a appris avec les yeux comme beaucoup d'autres. Et tu sais combien il m'a demandé pour installer la conduite depuis là-bas ? 60 francs. Il fauchait chez Wolf aux Mayens de Sion et moi j'avais déjà acheté la faucheuse. Il m'avait rendu un immense service et a tout commandé le matériel à son nom, au nom de l'entrepreneur, j'ai eu meilleur marché ; alors j'ai dit à Jean, aujourd'hui je peux te donner un coup de main pour faucher.. Oui, il a dit, mais c'est sûr qu'il « rase » pas comme la faux à moi. Une partie là, c'était fauché ; il avait déjà fauché le matin le foin ; moi j'ai laissé partir la faucheuse là, l'herbe se couchait sur les cotés comme ça ; il était ébahi. Il a dit : « le premier outil que je veux avoir à la maison , c'est ça ! » L'année d'après, il avait la faucheuse. C'était un type intelligent. Et puis, j'ai fauché deux heures de temps sans m'arrêter avec la faucheuse. Ils ont emmené six tracteurs de foin. Normalement il avait toute la semaine pour faucher.


ça c'étaient les premières faucheuses qu'il y avait à Veysonnaz ; au début des années soixante ?

c'est sûr. Il y avait des tracteurs, mais tu ne pouvais pas sortir de la route, du chemin, ils n'avaient pas la traction quatre roues. Après ils ont eu la traction à la remorque aussi. Le premier tracteur, c'est Edouard Praz, qui a acheté un RAPID, qui sortait dans les prés, qui grimpait... et puis le "AEBI" à moi il est encore là, 1962, il marche encore c'est sûr ! Je devais aller travailler pour tout le monde

 

On rigolait… les veillées


Avant la radio, les loisirs c'était quoi ? les veillées ?

oui, les veillées, jouer aux cartes ; dimanche après-midi les gens se rassemblaient sur la place et discutaient des consortages, des bisses, de l'alpage, ils racontaient des histoires...

Une histoire : Firmin, un orateur hors pair ; sur la place du village, il prêchait, il prêchait… ; l’un des anciens s’écrie alors : « D’après moi, Firmin ici, il a trop de débit pour le savoir qu’il a » et Firmin rigolait plus fort que les autres…


finalement, ils avaient beaucoup d'humour, non ?

ah, c'est sûr, ils faisaient des farces et après, ils venaient, les flics ; ils ont dû arrêter ; ils allaient trop loin ; ils faisaient des « dzefs », des pompes pour gicler. Un jour, à la bonne saison, il fallait discuter pour l'eau, quand ils prenaient l'eau, tout ça ; ‘j'étais en bas à la Golette chez Batian et Joséphine ; il y avait Félicien qui avait la djef et il a vu sortir le nez de Batian ; il gicle ; alors Batian dit à Joséphine : « j’ai bien pensé que j’étais une ‘gnaffe’ » et sa femme lui dit : « alors pourquoi tu as sorti la tête si tu savais avant »


les veillées ?

on jouait aux cartes, on pouvait pas jouer à l'argent, y en avait pas, mais aux allumettes ; on sortait avec une poignée d’allumettes et l'autre, il avait plus d'allumettes pour allumer le feu…

 

Les villages voisins

JM

il y avait beaucoup d'échanges avec les autres villages autour ?

F

pas tellement ; avant on peut dire que c'étaient des tribus. A Salins, il y avait un groupe qui allait se bagarrer aux Agettes, même à Veysonnaz , en là par Nendaz... ; et puis les Nendards, ils organisaient des bagarres entre eux. Tu te rappelles quand ils ont inauguré la maison d'école ici, ils avaient affiché à Nendaz : « le car est payé pour aller battre les barloukas ». Il y en avait plein le car. Dans le village ici. Devant l'écurie de l'oncle Louis, le café Bonvin, ils ont astiqué les premiers ; je ne me rappelle pas si c’est le vicaire ou Damien Théoduloz qui est venu à l’école : « venez, ils se bagarrent » ; il y avait à l’école le gros Genoud, le gendarme de Nendaz ; tout le monde est sorti ; les Nendards ont été à moitié assommés. Il y avait des solides à Veysonnaz, Jean-Maurice Fragnière, il en a eu un, un Darioli, avec pantalons golf et cigare ; il l’a « piqué » dans le bassin, il est resté dessous, toujours avec son cigare

JM

C’est Michel Bex qui évoquait une bataille rangée aux Biollets avec les Nendards ; selon les mots de Jean-Samuel : « grande bataille généralisée…, des têtes, des bras, des jambes…, du monde partout dans les chemins », des accents dignes des chroniqueurs de l’histoire…

F

Firmin , il était au service militaire ; il avait le béguin d'une des Biollets, alors quand il envoyait une lettre, tout le village était rassemblé pour voir ; ils rigolaient…. ; une fois, comme il alpait à la Meinaz  il a écrit au curé:"pouvez-vous me dire s'il y a eu batacline à la Meconèque » (en clair, si les vaches avaient bien lutté)

Après l’appel, au service militaire, il faisait du vélo avec une fille ou deux ; alors il écrit : « la nuit se passe ici à tricyclette avec les ticinese » ; il faisait chaud et il dit : « ici il fait très cha » ; la mère se dit : « d’après moi, il a cassé (« trocha », en patois) la crosse du fusil, il faut envoyer un peu d’argent »

Les gens rigolaient

 

Les vignes à Vétroz, la piquette


Une fois, tu m’avais parlé des vignes à Vétroz

Tu sais comment ils ont pu acquérir les vignes à Vétroz ? En plaine, il y avait la famine ; ici en haut, ils avaient des champs ; ils cultivaient le seigle, l’orge, l’avoine…


Pourquoi il y avait famine en plaine ? La sécheresse ?

Sûrement ! Alors ils allaient en bas avec une charge de blé, à dos de mulet et ils faisaient marché pour un petit bout de vigne ; petit à petit, ils ont pu acquérir des vignes à Vétroz


Ils faisaient le vin ici dans les caves ?

Ah ! oui


Et toi, tu disais qu’ils faisaient une bonne piquette ? Mais la piquette n’avait pas bonne réputation…

Mais la piquette, c’était excellent ! C’est sûr que s’ils rechargeaient trois fois, elle n’avait plus beaucoup de goût… Quand ils avaient fini le vin, il restait le marc ; avant il n’y avait pas les égrappeuses comme maintenant ; il y avait les manches, tout dedans ; ils rajoutaient du sucre et puis de l’eau et la fermentation repartait, et c’était bon ; c’était mieux que le vin drogué de maintenant ; c’était naturel

 

La foire à Sion


Et puis à la foire, à Sion, on y allait régulièrement ?

On allait souvent malgré qu’on n’avait pas du bétail à vendre ; pour regarder, être devant les vitrines… ; moi j’aimais bien la foire ; il y avait plein la Planta de bétail ; attaché dans les arbres, dans les bancs, à l’Avenue de la Gare ; et puis l’oncle Louis (Salamolard) cherchait une vache et il dit : « il n’y a rien pour moi ici aujourd’hui » ; il ne trouvait rien ; mais moi je lui dis : « tu vois celui du chapeau ; il vend une vache pour 1’100frs et toi pour 1'000 frs, tu l’as dehors » ; c’était une jeune vache de deux veaux, et puis bonne façon ; moi j’avais discuté avec celui là d’Hérémence ; moi je n’achète pas mais je lui dis : « cette année, les vaches ne se vendent pas cher ; pour 1'000 frs, c’est un bon prix ; sinon tu la ramènes en haut » ; et je dis à Louis : « tu marchandes pour 1'000 frs » et il l’a eue pour 1'000 frs ; une vache à 25 litres ! mais ils n’ont jamais gardé une vache à 25 litres ; le marchand de bétail, Arthur Sauthier, l’a rachetée pour 2’500 frs ; une bonne affaire !

 

Les reines


Les vaches à l’époque, la priorité, c’était plus la production de lait que la corne ?

Oui, le lait, c’était pour la plus grosse partie des gens ; alors il y avait quelques uns qui pouvaient se permettre de soigner une vache pour devenir une reine ; avant ils trayaient encore les reines ; aujourd’hui, ils ne traient plus les reines ; elles sont taries direct ; j’ai acheté pour René (Fournier) ; elle a fait reine cinq ans d’affilée à la Combyre ; elles n’étaient pas tellement « poussées » ; c’était « du bon » ! Je lui ai fait gagner 40'000 frs sur trois bêtes ; René était très ambitionné aux reines


Vous alliez chercher où ces reines ?

Dans le Haut Valais, à Ergisch ; on partait le samedi, après le courrier distribué à la poste; et le dimanche matin, quand il y avait les combats de reines ; René était passionné ; son grand père avait gardé une reine


A l’époque, on disait qu’il y avait reine de la corne et reine du barlet (pour le lait)

Il y avait des vaches qui étaient reine à corne et reine à lait ; c’était exceptionnel


Toi tu es resté ici à Veysonnaz ; tu as vécu, au départ de l’agriculture

Oui, des fraises, des framboises… ; et une journée par ci par là ; avant de me marier, j’ai travaillé à Barberine, 29 mois ; là j’ai mis de l’argent de côté pour me marier ; j’avais 10'000 frs quand je me suis marié ; mais la plus grosse partie des gens qui se mariaient, allaient acheter un lit d’occasion à Brignon chez François Gilloz !

10'000 frs, c’était une belle somme !


Et les fraises, les framboises : ça rapportait de l’argent ?

C’est sûr ; mais moi j’ai fait de l’argent avec le bétail ; j’ai fait trois années de suite 10'000 frs; je faisais de l’élevage des « taques » ; en 10 ans, j’ai payé le chalet avec les vaches ; je faisais le tour du canton…

conseiller agricole, anc. conseiller communal

né en 1928, à Clèbes

(janvier 2007- entretien mené par Jean-Maurice Délèze)


Les parents – l’enfance – le décès de la maman


Je suis né au village de Clèbes, le 18 octobre 1928, j'étais le sixième enfant d'une famille qui en comptera huit. J'étais le deuxième des garçons. Avant moi, il y avait un garçon et quatre filles. Comme il se doit à l’époque, mon père était agriculteur. Je n'ai pas beaucoup de souvenirs de ma mère puisqu'elle est décédée en 1934, j'avais 5 ans 1/2. C'est là que ma soeur aînée, Célestine, a dû reprendre la charge de la famille. Un des seuls souvenirs qui me reste de ma mère, c'est quand on faisait des petites bêtises. On avait laisser aller les chèvres dans un champ fraîchement semé, le blé était beau ... En arrivant à la maison, ma mère m'a pris par les sentiments et m'a dit tout bonnement : "Mon p'tit, viens goûter »


Elle ne t'avait pas grondé, en fait...

Non... mais après elle m'a donné une bonne fessée... c'est là que j'ai commencé à devenir un peu méfiant. Puis, j'ai aussi un souvenir un peu plus dur ... les derniers instants de ma mère.


Qu'est-ce qu'elle a eu comme maladie ?

Elle a eu une pleurésie. Il faut dire qu'on avait des cochons et une laie qui venait de mettre bas, il y avait des difficultés avec les porcelets et il fallait veiller pour qu'elle ne mange pas tous ses porcelets. Alors ma mère a pris froid, ça s'est déposé et elle ne s'en est pas remise. Elle était à l'écurie, celle qui était à côté de la chapelle. Mon père était fier de cette écurie car, au village, on n'avait pas d'écurie spécialement pour les porcs à ce moment-là. Et c'était intéressant car elle était juste à côté de la chapelle, c'est-à-dire qu'on donnait la première place aux porcs... à l'endroit privilégié de tout le village.


C'était la survie ?

C'était la survie car on était déjà cinq enfants. Mon père s'était marié sur le tard et il avait 38 ans lors de son mariage. Ma mère est décédée en l934, elle avait 46 ans, c'est jeune...

L’espérance de vie

Le travail de la femme


C'était fréquent à l'époque d'avoir des personnes qui décédaient à cet âge-là ? Quelle était l'espérance de vie ?

L'espérance de vie était moins élevée que maintenant mais on avait quand même passablement de femmes qui mourraient dans cette tranche d'âge, sur le retour d'âge, période un peu plus difficile pour les femmes, et comme on n'avait pas de prévention suffisante il y avait passablement de décès de femmes à ce moment-là. C'est un peu l'inverse de maintenant. A cette époque, on avait plus de veufs tandis que maintenant on se rend compte qu'on a plus de veuves. Et ceci en une génération. C'était peut-être aussi le travail de la femme qui en ce temps-là était plus dur.


En plus des enfants, il y avait le travail des champs… ;

les accouchements : comment cela se passait ?

On avait des sage-femmes. A Clèbes ce n'était pas Cécile de Beaupérier. A Nendaz, on avait deux sage-femmes qui venaient de Haute-Nendaz. Ca se passait exactement comme dans le livre d'"Adeline, accoucheuse". Elles venaient avec le mulet ou à pied. Elles restaient un jour à la maison et puis elles repartaient.


Est-ce qu'il y avait beaucoup de femmes qui mouraient en couche, ou est-ce que ça se passait plutôt bien ?

De notre temps, ça se passait déjà mieux parce qu'il avait déjà une certaine hygiène qui commençait à se mettre en place.


Et s'il y avait des complications à la naissance, alors ?

Quand le médecin arrivait, c'était bien souvent trop tard... Dès qu'on entrait dans le domaine de la chirurgie, la sage-femme ne pouvait rien faire, on ne pouvait pas toucher aux organes

 

 

Gagner son pain


Donc, ta mère est décédée à 46 ans, il y avait une grande famille, huit enfants, de quoi vivait ton père ?

De l'agriculture traditionnelle, du bétail, un peu de vigne


Et tu m'avais raconté une fois qu'aux Bouillets la commune avait donné des terrains à ton arrière grand-père ? Il avait de la peine à tourner ?

Oui, dans les années 1880-1890, il faudrait rechercher ça dans les Annales de la commune de Nendaz. C'était une décision certainement très sociale puisque pour venir en aide à ces familles-là, la commune avait déboisé une partie de la forêt au-dessus du bisse de Vex et ensuite avait permis à ces familles de défricher pour en faire des champs pour assurer leur subsistance, leur survie. Il y avait deux familles concernées. La famille de mon père et une autre famille Praz des Biollets. Ceux de Jean-Léger. On pratiquait la rotation seigle, pommes de terre et orge.

Sur les prairies avoisinantes, on avait déjà construit des étables (vers 1800) et on venait là avec le bétail l'hiver, ainsi le fumier restait sur place. Cela se trouvait près des anciens raccards aux Bouillets, à gauche du chemin se trouvaient les étables, à droite la forêt. Cette forêt est une forêt protectrice pour le village de Brignon à cause des avalanches. Il y a eu une avalanche en 1870.

C'est une belle forêt totalement plantée, d'après le service forestier, c'est une des premières plantations systématiques dans la région pour la protection anti-avalanche. Elle daterait de la période napoléonienne, début du 19ème siècle.


Donc, ton père, comment s'appelait-il, qu'est-ce qu'il avait, des champs....?

Mon père s'appelait Maurice, il cultivait surtout des pommes de terre, du seigle, un peu de froment, de l'orge. On aurait aimé faire plus de froment mais c'était une céréale plus exigeante, alors on se rabattait sur le seigle, plus rustique, plus résistant. On devait avoir du blé pour l'année entière. C'était une honte pour la famille, en somme, quand on n’arrivait pas à joindre les deux bouts en fin de période. Comme on parle maintenant des pays d'Afrique où l'on n'arrive pas à faire la soudure. En général, ça allait dans notre famille, tout juste. Je me souviens d'une année où l'on n'était pas arrivé à faire la soudure. Il avait fallu aller emprunter du seigle à des familles où il y avait peu d'enfants et plus de récoltes. Il fallait en somme aller mendier la subsistance, c'était dur. Mais en général on arrivait à tourner.

 

Les moulins de Beuson


Et avec ce seigle et ce froment, pour en faire de la farine, on l'amenait à Beuson ?

Oui, il y avait deux moulins à Beuson à cause de l'eau de la Printze. Un à côté de la route et un plus bas au Tsabou. Ce dernier a arrêté de fonctionner avant la période de la guerre.


Alors on descendait les céréales avec le mulet et on ramenait la farine ?

On ramenait la farine, on ramenait les pains car on en faisait des provisions ; on faisait tout le pain à Beuson. Je n'ai pas le souvenir qu'on faisait le pain au village. Il y avait un four dans le temps, mais il n'était plus en fonction de mon temps ; on faisait alors environ quatre fournées par année.


Cela coûtait cher de faire moudre le grain ? comment payait-on ? en nature ?

Oui, on payait en nature. Ils retenaient une partie de la récolte pour la location du four, on amenait le bois, j'y suis allé avec mon père dans les années 36-37-38, avant la guerre.

La pomme de terre, les céréales, le bétail


Et les pommes de terre, quelles étaient les variétés ?

On plantait toujours les mêmes pommes de terre, il y avait une certaine déperdition. Mais on avait des champs depuis en bas, à 1000 m, au Pré et les derniers en haut de Verrey à la Tsenaz, alors mon père disait que pour que ces semenceaux s'abâtardissent moins, on échangeait. On mettait les semenceaux d'en-bas l'année suivante en-haut et ceux d'en-haut on les plantait en-bas, ainsi on gardait une certaine vigueur. On avait des solutions de ce type. Les pommes de terre étaient conservées à la cave, dans les creux à pommes de terre.


C'était suffisant pour les conserver ?

Dans certaines caves, il y avait des problèmes de gel, il fallait couvrir les patates surtout avec de la paille. L'orge, on le gardait surtout pour les animaux, pour les cochons. On donnait peu de céréales aux bovins à cette époque, c'était juste pour faire les "soupes" au moment du vélage. On faisait cuire le grain, seigle ou orge, et on donnait boire le jus aux animaux. C'était pour les reconstituer, pour le nettoyage.


Et aux porcs, on donnait aussi de l'orge ?

Oui, surtout à la truie et aux petits mais il y avait assez peu de porcelets. Peu de familles gardaient la truie. On engraissait seulement le porc de ménage


Ton père avait aussi du bétail ?

Oui, il avait une dizaine de têtes de bétail, c'était un peu ce qu'on avait par famille, disons que c'était un bon troupeau pour cette période-là.


Le facteur limitant, c'était quoi ?

C'était les pâturages, ils étaient très recherchés. Ceux qui avaient des pâturages, disons que c'était une source de revenus, on travaillait à 50% : le propriétaire avait 50% de la récolte et la troisième coupe lui revenait toujours. Le locataire n'avait pas droit à la troisième coupe et c'est pourquoi l'automne on se bagarrait pour les pâtures parce que celui qui avait beaucoup de bêtes et peu de champs n'avait pas assez de pâtures pour arriver à la période fatidique qui était le 1er novembre. Il fallait aller jusqu'au 1er novembre. Et ceux qui avaient des pâtures en surplus se montaient un peu le job quand on ne pouvait pas sortir les bêtes au 15 novembre. C'était un signe de richesse, de bien-être.


Donc, il y a eu une évolution entre ton arrière grand-père et ton père qui, lui, a pu constituer un troupeau d'une dizaine de têtes de bétail...

Oui, une évolution qui s’est concrétisée de diverses façons : on défrichait la forêt, on entretenait mieux les prairies, les canalisations, on drainait les marais … pour pouvoir produire plus ; c’était tout un travail de mise en valeur.


C'était autorisé de défricher les forêts ?

Oh, non, c'était sacro-saint mais il y avait encore des parcelles qui n'étaient pas exploitées et qui étaient privées. Et puis, certaines familles qui avaient acheté des bourgeoisies, mettaient en vente certains terrains.

En amont de Clèbes, vers la Logintze, on appelait l'endroit le botza des Fontanettes, la commune avait mis en vente un botza qui faisait 7-8 ha et qui aurait dû être défriché. J'étais dans l'équipe des acquéreurs et on a perdu à l'enchère. C'est la famille François et Alphonse Glassey qui ont mis plus à l'enchère, ils ont payé plus. Ils ont commencé à défricher, à couper les buissons et tout, c'est un travail énorme et ils en sont restés là, ils n’ont pratiquement jamais pu en profiter, il aurait fallu amender ces terrains. Et comme ils ont eu l'occasion de gagner plus à l'extérieur, le projet est resté en l’état et est retourné au domaine public.

 

L’arrosage


Il y avait tout un effort pour défricher, pour drainer les marais, mais qu’en était-il de l'arrosage ?

L'arrosage a été la clef du succès et maintenant on se dit qu'on peut regarder ça d'un oeil plus critique parce qu'on avait tellement peur que les prairies aient soif qu'on tombait dans l'excès, on arrosait trop et donc - on peut le dire maintenant car on a des travaux récents qui ont été faits - c'est que plus on arrose, plus on force les racines à remonter en surface parce qu'elles ont toujours assez d'humidité et comme elles ne descendent plus, les plantes deviennent plus sensibles.

On peut le dire car le Dr Karlen, directeur de la station de Châteauneuf, a fait son travail de diplôme au poly sur ce problème-là pour la vallée de Conches ; ils étaient très sensibles au problème ; j'ai vu moi-même des découpes de sols avec les différences de systèmes d'arrosage : on avait des différences de 20cm de pénétration dans le sol des racines, d'après le système d'arrosage. C'était un travail vraiment intéressant.


L'arrosage c'était d’abord le bisse de Vex ?

On avait le bisse de Vex et le bisse de Verrey et un peu le bisse de Salins. J'ai dû moi-même arroser dans les trois bisses le même jour. En bas au Pré le matin, en haut à Clèbes à midi et au bisse de Verrey le soir.


En somme, ton père avec une famille de huit enfants arrivait à vivre, avec une gestion des ressources qui était assez bonne ?

Ouverture : les contacts avec la plaine

Il avait une connaissance de l'agriculture traditionnelle qui lui venait de ses parents, de ses contacts avec l'extérieur. La vigne nous a apporté de l'ouverture parce qu'on avait les vignes à Vétroz et par exemple au printemps quand on allait faire les grands travaux du printemps, on pouvait rester un mois, un mois et demi dans les guérites là-bas. Au fil des jours, le contact avec ces paysans de la plaine a apporté une évolution plus marquée, ils étaient, disons, en avance. Nos parents avaient la chance d'avoir ces contacts-là pour pouvoir évoluer.


Est-ce qu'il y avait déjà une Ecole d'agriculture à l'époque ?

Oh oui, l'Ecole d'agriculture date de l921. Mon père n'a pas fait l'Ecole d'agriculture mais il y avait plus de gens de Vétroz qui faisaient l'école d'agriculture en ce temps. Donc cette formation agricole est venue de la plaine parce que, eux, ils avaient déjà de l'expérience.


Mais eux ils avaient aussi accès à du matériel végétal plus performant ?

Non, pas encore

 

Les légumes


Qu’est-ce qu'il y avait comme légumes à Clèbes ? Des fèves ?

Oui, la fève parce que c'est un légume qui supportait la sécheresse, peu exigeant, pour lequel il fallait profiter de l'humidité du printemps, c'est un légume qui n'est pas résistant au gel. Donc il fallait profiter de l'humidité du sol au sortir de l'hiver pour le planter très tôt. On disait que pour le 10 de l'An, il fallait avoir planté les fèves. Et maintenant on les plante au 20 mai....


Sait-on comment la fève a été introduite en Valais ?

On dit que ce seraient les Valdotains qui l'auraient apportée, par la vallée du Saint-Bernard. La commune de Suisse qui était la plus réputée pour les fèves, c'était Liddes. Ils avaient de jolis champs d'altitude, froids, alors ils profitaient de cette humidité du printemps... ils avaient un sobriquet, on disait les "pécafaves"... ; faut pas trop les chatouiller là-dessus...


Et il y avait d'autres légumes à part ça ?

Des choux. J'ai le souvenir qu'à Clèbes mes soeurs Célestine et Aline avaient été les premières à planter des haricots vers les années '45, c'était une révolution. Mon père avait eu la chance d'être aidé dans son travail par un frère qui était célibataire, Barthélémy, qui a vécu toute sa vie avec notre famille, du reste il est décédé chez nous. Il nous a bien dépannés. Mais alors quand il pouvait avoir des haricots, il disait que c'était mieux que la viande ! c'étaient les premiers haricots à gousse.


Revenons aux choux

Le chou c'était l'alimentation traditionnelle qui remontait à la nuit des temps. Puis le chou-rave mais qui est venu un peu après.


C'est intéressant ce contact avec la plaine ; qu'est-ce qu'ils ont appris des paysans de la plaine ?

C'est une évolution générale, bannir un peu certaines traditions et essayer de nouveaux modes de cultures...


Là-haut à Clèbes et Veysonnaz, on pratiquait déjà l'alternance des cultures, les associations de cultures...

En plaine on a appris sur la question des semences, d'avoir des semences sélectionnées pour un meilleur rendement, on les apportées de la plaine par des échanges qui se faisaient de "gré à gré" pour renouveler le patrimoine génétique.... et ça renouvelait aussi les mentalités, c'était une ouverture.


L’achat de vignes

La misère en plaine


Parce que les vignes, c'est venu quand ?

L'achat des vignes est venu à la suite de la misère qui a sévi en Valais. D'un point de vue général, la population du Valais n'augmentait pas en raison de deux facteurs. On ne laissait pas les gens se marier ; il n'y avait qu'un gars par famille qui avait le droit de se marier. C'était une tradition datant d'avant la Révolution française vers le 16-17ème siècle. Un seul pouvait se marier pour maintenir la lignée familiale. Puis, au moment où on a commencé à bousculer ces traditions, c'était féodal en somme, on a eu un surplus d'hommes. Et qu'est-ce qu'on a inventé à ce moment-là ? on a inventé le service mercenaire et les gens partaient et s'ils avaient la chance de revenir, ils étaient riches et s'ils se faisaient tuer là-bas, ils enrichissaient la famille parce qu'il y avait une personne en moins pour partager le patrimoine.

Dans un autre état d'esprit, quand j'étais parti pour aller au pensionnat, une vieille dame de Clèbes avait dit :"On n'a qu'à laisser partir Michel, il y en a assez d'autres pour pouvoir partager le peu de biens qu'il y a"...

Donc, comme il y avait peu d'augmentation de la population ; on était restés là et quand le service mercenaire a été supprimé à la Révolution française, on a commencé à être trop, c'est là qu'a commencé l'augmentation de la population. Vers le mi-18ème siècle. Et comme la plaine du Rhône n'était pas mise en culture, il y a eu une augmentation de population en plaine ; la montagne a pu survivre, défricher, avancer un peu mais les régions de plaine ont été coincées car il n’y avait rien, et ce sont ces régions-là qui étaient, disons, très pauvres, plus pauvres que les pauvres de la montagne, et la vigne à ce moment-là ? eh ! bien. avec du blé on achetait les vignes... comme ça on a pu acquérir des terrains dans la région de Vétroz et ailleurs ; pour ici c'était Vétroz mais on a eu le même phénomène dans la région d'Entremont avec Fully, le Val d'Hérens avec la région de Chermignon, c'est le blé qui nous a permis d’acquérir des vignes


Mais dans les familles ici, est-ce qu'on avait cette pratique qui disait, il n'y en a qu'un qui se marie et les autres travaillent ?

En montagne c'était moins le cas car il y avait encore cette possibilité d'extension agricole mais les grandes familles n'étaient pas les bienvenues... on n'arrive jamais à comprendre ce revirement parce que tout à coup on a assisté au début du XXème siècle à une explosion des grandes familles, on ne disait pas "plus il y a de bouches" mais "plus il y a de bras" et il fallait des bras et à ce moment-là quand la force des bras est devenu l'élément de progrès, on a assisté vraiment à l'explosion des grandes familles. Dans des régions comme Nendaz par exemple, on comptait.4-5 grandes familles, elles avaient plus de 14-15 enfants... ; c'était uniquement parce qu'il fallait des bras pour apporter de l'eau au moulin.


Dans une grande famille de 14 enfants, ils faisaient tous de l'agriculture, de l'élevage ?

non, avec le développement industriel, on en a fait des ouvriers, c'est avec l'industrie qu'est venue cette mentalité

 

Le morcellement des terres

 


Ici on se partageait les domaines ?

Ce fut l'origine du morcellement, à ce moment-là c'était la seule source de subsistance qu'il y avait. On ne pouvait pas ne rien donner à une partie de la famille, c'était notre justice sociale. Ce mode de partage, issu du code de Napoléon, est parti d'une démarche fortement sociale.

L'exemple qu'on peut encore citer aujourd'hui, c’est la différence de population entre le canton du Valais et celui des Grisons ; on avait en 1840 la même population dans les deux cantons, et maintenant le Valais compte plus de 100'000 habitants de plus. La population du Valais a passé de 140'000 à 280'000 et celle des Grisons a stagné parce qu'ils avaient un droit successoral de type germanique : il n’y avait qu’un seul enfant qui restait à la ferme, les autres partaient. Les Grisons se vantent maintenant qu'ils ont un revenu par habitant bien supérieur au Valais... mais on peut argumenter que c'est parce que leur population n’a pas augmenté....


Et chez nous cette évolution c'était dû aussi à l'industrialisation, aux barrages, etc...

Je lisais hier dans la revue missionnaire que l'origine des guerres ce n'est pas la religion mais le surplus d'hommes. Dans toutes les générations, quand il y a trop d'hommes, ils sont obligés de se bagarrer...

 

Des transhumants…


On a parlé économie agraire, de ses différentes composantes ;

c’était en fait une population assez nomade : il y avait le village, les vignes, les mayens, les alpages ;

aux vignes, on y restait quelques semaines…

Pour les vignes, il y avait deux grandes périodes ; d’abord le Carême, en mars, un travail d’homme ; puis en juin, la feuille, le travail des dames ; les hommes partaient alors aux mayens ; ils choisissaient la meilleure part ; en mars, aux vignes, il faisait moins froid, et il y avait la réserve de vin ; chacun mettait son petit tonneau en réserve ; la politique se faisait là-bas


Parlons du partage des rôles entre l’homme et la femme ; les femmes, à l’époque, mourraient plus jeunes que les hommes…

Les femmes devaient faire toutes les tâches ; il n’y avait pas de tâches réservées aux femmes ou aux hommes ; les femmes devaient faire tous les travaux , même les plus pénibles: porter la terre, le fumier, faucher… ; certains, au val d’Anniviers, voient là une influence alémanique : les hommes étaient plus durs pour les femmes ; c’est ce que dit Bernard Crettaz pour qui les anniviards sont d’origine alémanique ; en Anniviers, il ne faut pas soulever ce problème là : les femmes là haut disent qu’elles ont été exploitées de façon éhontée par les hommes


Ainsi la femme faisait tous ces travaux, en plus des enfants, et elles faisaient bouillir la marmite

A la décharge des hommes, il faut aussi dire que les travaux de la terre étaient très pénibles ; on aurait pu demander, comme aujourd’hui, que les hommes partagent les tâches du ménage ; mais les hommes prenaient une part plus importante aux travaux de la terre. Dans notre famille on avait dit que jamais les femmes ne porteraient le foin, c'était des travaux réservés aux hommes, on interdisait ça aux femmes, c'est le début de cette évolution.


Quand est-ce que ça a tourné ? c'était quand ?

Vers la guerre de 39/40. Là on était plus soucieux de la santé de la femme, elles prenaient de plus en plus de place dans la société.


Et en fait, ce nomadisme... les hommes allaient aux mayens et les femmes restaient au village ?

Non, elles allaient aux vignes. Il faut dire que les femmes dans les vignes, c'était comme les hommes au printemps, quand ils avaient fini leurs petits lopins de terre, ils offraient leurs services aux exploitations de plaine qui avaient plus de grandes surfaces et qui avaient besoin de main d'oeuvre à cette époque-là. Et ensuite les femmes aux effeuilles, c'était le même échange... oui, elles gagnaient un peu d'argent et souvent elles travaillaient leurs propres petits morceaux de vignes, à part, le soir ou le matin, elles avaient des journées très longues car il fallait profiter de toutes les occasions pour ramener un peu d'argent.

 

La rareté de l’argent


Mais là, l'argent, par exemple pour ton père, il avait très peu d'argent liquide ?

Oui, très peu...


C'est-à-dire quoi, qu'est-ce qui lui rapportait de l'argent liquide ?

La vente du bétail, c'était pratiquement la plus grande source et puis un peu de vendange. L'argent du bétail et l'argent de la vendange, autrement c'était rien.


Et où vendait-il le bétail ?

A la foire de Sion au printemps et en automne. En général, quatre foires de printemps et cinq foires d'automne. Les autres sources étaient la vente de raisin et quelques journées pour la communauté, travail pour la commune, le bûcheronnage. Si l'on reporte ça dans le contexte de l'époque, ça faisait 4-5-6 francs par jour.


Et à quoi servait cet argent ?

En tous cas pas pour les impôts ! Pour les grandes familles, il n'y avait pas d'impôts. C'était pour acheter l'essentiel, pour la vie quoi, la subsistance, des compléments de nourriture, le sel, le sucre, les médicaments qu'il fallait bien acheter parce qu'on n'avait pas tous la chance de n'être jamais malade...


Et à la foire, c'était l'occasion de faire les gros achats pour la famille ?

Oui, les gros achats se faisaient à ce moment-là, quand il y avait un meuble à acheter...


Les outils de travail... il y avait déjà la charrue ?

Oui, charrue et mulets, ici on n'a pas eu la traction avec les bovins. Les mulets étaient l'élément indispensable. On ne peut pas parler de famille sans mulets. Il y avait des partages entre familles, jusqu'à un demi ou un tiers, il fallait le nourrir alors c'était la rotation pour la nourriture. Un dimanche sur trois, quand on avait un tiers ou un dimanche sur deux quand c'était moitié-moitié, avec une rotation de jours qui changeaient d'une semaine à l'autre.


Quelle est la grandeur de l'exploitation agricole de ton père ?

Je l'ai évaluée à environ 10-12 ha, 3000-4000m2 de vignes, 2 ha de cultures puis 8 ha de pâturages y compris les mayens. C'était une exploitation dans la bonne moyenne. C'était dur, surtout le manque de liquidités. Mais quand la fraise est venue... par exemple, pour les familles qui ne savaient pas que faire de leur farine, elles avaient de belles surfaces de fraises et ça leur rapportaient un peu mais ça c'est venu après. Mais auparavant c'était l'autarcie complète, il y avait peu d'échanges avec l'extérieur. On vendait du bétail et du raisin et on utilisait ça comme sources liquides.


Ceux de Clèbes n'allaient pas aux Mayens de Sion vendre des myrtilles par exemple ?

Si, si, c'était la même chose, comme à Veysonnaz mais c'était peu de choses, c'était plus de l’argent de poche…


Tu m'as parlé une fois d'une grande crise...

Si, je me rappelle qu'une fois on n'avait pas réussi à faire la soudure, il avait fallu aller emprunter un peu de céréales à une famille, tu sais laquelle

Inégalités sociales


Il y avait beaucoup d'inégalités à Clèbes, ceux qui possédaient plus de pâturages qui pouvaient les louer à d'autres ?

Certainement qu'il y avaient des inégalités mais c'était tellement dans la tradition, on les acceptait ces inégalités, les grandes familles on se disait "il faut qu'on se débrouille" mais il n'y avait pas de relations conflictuelles, il y avait une espèce de pacte social qui se faisait. Il y avait des familles plus pauvres que d'autres mais on était tous pauvres. Ceux qui étaient riches l'étaient en biens-fonds. Je me souviens d'un gars qui disait que son beau-père était riche en biens et riche en argent. C'est la seule fois que j'ai entendu ça, c'était plutôt rare. C'était son beau-père donc ça voulait dire qu'il avait réussi à bien choisir. Les systèmes de solidarité se réglaient dans le cadre des familles. On se disait "il m'a passé ce sac de blé, ça m'a permis de faire le pont, la prochaine fois, je l'arrange. Quand il aura besoin de mes services pour une journée, alors je vais y aller. En réfléchissant, à ce moment-là ça paraissait tout naturel mais maintenant quand on voit la difficulté qu'on a dans la valorisation des échanges, où tout se monnaie, où si tu as fait trois heures pour moi, il faut que je fasse trois heures pour toi et les comptabiliser... ce n'était pas comptabilisé à ce moment-là, c'était pris dans une optique plus noble de services. L'élément majeur c'était le travail, ceux qui travaillaient s'en sortaient

 

A suivre…