Documents Veysonnaz-Chroniques
NOVEMBRE 2005
LYCEE-COLLEGE DES CREUSETS
Le village de Veysonnaz
a-t-il eu faim
pendant la Deuxième Guerre mondiale ?
Le travail consiste à savoir si le village de Veysonnaz a eu faim pendant la Deuxième Guerre mondiale. Dans un premier temps, nous nous intéressons à l’histoire de la Suisse comme elle est décrite dans les livres. Cette histoire nous dévoile un pays qui est resté neutre pendant la guerre et s’est plutôt occupé de s’assurer une bonne situation économique grâce par exemple à des mesures d’approvisionnement du pays. Or pour savoir si la population helvétique a réellement eu faim, nous devons alors faire une étude sur une région ciblée du pays, qui est en l’occurrence un village des Alpes valaisannes : Veysonnaz. Tout d’abord, une histoire écrite, basée sur les rares documents qu’il est possible de trouver au village, nous explique la situation de la commune face aux conditions de guerre. Par cette étude, nous comprenons qu’elle vit en autarcie à cette époque, car par l’apport de l’agriculture en plus des coupons de rationnement, les gens peuvent subvenir à leurs besoins, et cela même en des temps difficiles. Il nous est malgré tout difficile d’être objectif, car en se basant uniquement sur l’histoire écrite, nous ne pouvons savoir ce que chacun a vraiment vécu. C’est pourquoi le travail décrit ensuite l’histoire orale de Veysonnaz, racontée par cinq personnes ayant vécu au village pendant la Deuxième Guerre mondiale. De ces interviews, nous retirons une meilleure compréhension de la vie quotidienne des villageois confrontés aux conditions de guerre. Les informations apportées par cette histoire orale sont en effet bien plus importantes et précises que celles apportées par l’histoire écrite.
Après avoir mené une étude sur ce village de montagne confronté à la Deuxième Guerre mondiale, nous arrivons à la conclusion que Veysonnaz, comme certainement une bonne partie du Valais, n’a pas eu faim de 1939 à 1945.
I. Introduction
Jusqu’au XVIIIe siècle, la Suisse ne semble posséder aucun attrait pour les voyageurs qui parcourent le monde sans jamais faire halte dans ce pays de montagnes. En effet, ce dernier fait ressentir de la terreur et de la répugnance aux personnes qui le parcourent. Souvent, leurs récits de voyage décrivent des paysages qui ne sont guère beaux et des habitants peu intéressants, peu instruits et peu ouverts sur l’extérieur. On se rappelle notamment du terme « les crétins des Alpes » par lequel les explorateurs désignent les populations valaisannes au début du XIXe siècle. Or la Suisse va bientôt participer à la Révolution industrielle qui aidera au développement de son commerce intérieur comme extérieur. Ainsi, ses relations avec l’étranger s’amélioreront et peu à peu, l’attrait de la montagne deviendra bien réel. La montée du tourisme sera alors rapide et importante. C’est dès 1815 que de nombreux Européens, et surtout artistes, commencent à s’émerveiller de la beauté du paysage suisse. On pense notamment à Victor Hugo qui, lors de ses voyages, écrit de longues lettres à sa femme, lui décrivant les régions visitées dans la journée. Dans une de ses lettres, il dit que « La Suisse trait ses vaches et vit paisiblement. »
Cette phrase résume bien la situation de la Suisse de 1900 jusqu’à la moitié du XXe siècle. Même si certaines régions peu tournées vers l’agriculture participent activement à la Révolution industrielle, d’autres, dont la prospérité des récoltes est indéniable, préfèrent l’ambiance rieuse de la campagne aux mentalités matérialistes qui règnent dans l’industrie. Dans ces endroits, les gens, et principalement les montagnards, vivent de leur agriculture, de leur bétail et de leur vigne. Ils peuvent ainsi manger à leur faim toute l’année et ceci même pendant les temps difficiles. Les périodes de guerre ne devraient donc pas être des périodes plus dures que les autres de par les réserves que les gens ont la possibilité de constituer.
Il est ainsi aisé de comprendre pourquoi Victor Hugo a affirmé que « La Suisse trait ses vaches et vit paisiblement. » Or il est intéressant de se demander si, pendant la Deuxième Guerre mondiale, la population suisse a tout de même connu des difficultés dans la vie de tous les jours. Pour ce faire, nous nous pencherons sur la situation valaisanne de 1939 à 1945, analysée à travers un village valaisan : Veysonnaz. Les gens du village avaient-ils faim ? N’ont-ils pas connu la misère ? Pouvaient-ils toujours se nourrir en suffisance avec les coupons de rationnement ? Comment faisaient les femmes au foyer, une fois leurs maris mobilisés, pour s’occuper de la maisonnée et des travaux des champs ? La vie était-elle dure en ce temps-là ?
Pour trouver des réponses à ces interrogations, le travail traitera de différents points. Dans un premier temps, une histoire écrite, s’arrêtant sur l’histoire de la Suisse, puis sur l’histoire de Veysonnaz, expliquera la situation avant et pendant la Deuxième Guerre mondiale. Une synthèse résumera cette partie pour ensuite introduire le point suivant du travail : l’histoire orale. Cette histoire orale sera une mise par écrit de cinq interviews de personnes ayant vécu au village pendant cette période et capables de raconter la vie quotidienne de 1939 à 1945. Ensuite, une synthèse de cette partie résumera les informations obtenues. Le travail aboutira finalement sur la conclusion qui servira de synthèse finale et qui mettra en rapport l’histoire écrite et l’histoire orale en essayant de comprendre si la vie de tous les jours était dure à cette époque. Nous analyserons donc la situation d’une population valaisanne face aux conditions de guerre.
II. Histoire écrite
1. Introduction historique sur la Suisse
A. La Suisse avant la Première Guerre mondiale
1. Les conditions du développement au début du XIXe siècle
La Suisse du XIXe siècle connaît les débuts de la Révolution Industrielle, même si les conditions de son développement ne sont pas forcément favorables.
1.1. Le manque de ressources potentielles
La Suisse ne possède que peu de ressources potentielles. En effet, le pays manque de matières premières, excepté le bois, le sel en 1837 et plus tard les ressources hydroélectriques. L’accès direct à la mer est inexistant, ce qui ralentit son commerce extérieur. En raison de l’accès difficile à certains endroits montagneux, les transports ne sont que peu développés, ce qui entraîne donc le coût élevé des voies de communication et le ralentissement du commerce intérieur comme extérieur de la Suisse. De plus le marché intérieur est extrêmement restreint et les banques investissent peu dans le développement industriel[1].
1.2. Les facteurs qui viennent compenser ce manque de ressources
En contrepartie, d’autres facteurs viennent compenser ces désavantages : la présence d’Etats riches et peuplés aux frontières, la spécialisation dans la fabrication d’objets de qualité, de faible poids, à grande valeur ajoutée et destinés à l’exportation, le goût du travail de la population, le bon niveau d’instruction et la qualité de la main-d’œuvre qui a permis par exemple à l’industrie du tressage de la paille au Tessin et dans une partie de l’Argovie d’exporter sa production en Amérique et en Russie.
1.3. L’essor démographique
L’essor démographique a également joué un rôle important dans le développement économique de la Suisse. La balance migratoire reste négative jusqu’en 1880, car c’est dans ces années que naît l’émigration outre-mer, souvent encouragée par les gouvernements qui poussent la population pauvre à quitter le pays[2]. Ainsi naissent par exemple Nova Friburgo au Brésil ou New Bern aux Etats-Unis. C’est seulement à la fin du siècle que la balance migratoire s’inverse.
En général, l’accroissement des villes est plus modéré qu’ailleurs, car la Suisse reste un pays de villes petites et moyennes.
2. D’un point de vue économique
2.1. Les facteurs d’industrialisation
Petit à petit, les villes prennent de l’ampleur. Elles s’équipent en eau courante, Zurich la première en 1864, en gaz, Genève en 1845 et en électricité, Lausanne en 1882 ; le téléphone est installé ; on lutte contre le choléra et la tuberculose en démolissant les quartiers insalubres.
L’insuffisance de l’agriculture a aussi été un facteur d’industrialisation. Ainsi Vaud, Fribourg et Berne restent en retrait, car leur céréaliculture est prospère. Dans ces régions, les gens sont souvent ancrés dans leurs habitudes ; les habitants préfèrent l’ambiance rieuse de la campagne à la triste ambiance des usines dans lesquelles les patrons sont des gens matérialistes et mesquins.
Ce sont donc toutes les régions participant activement à la Révolution Industrielle, comme Zurich ou le canton d’Argovie, qui restent les plus développées.
2.2. Le soutien des banques
Comme nous l’avons dit précédemment, les banques s’occupent plus de gérer les fortunes que d’investir dans l’industrie, laquelle recourt surtout à l’autofinancement.
Or dès 1805, les banques entendent donner une impulsion à l’activité locale par la création de caisses d’épargne. Les Banques cantonales seront créées par la suite dans le but d’apporter une aide économique et politique aux cantons et communes face aux situations de précarité. Les grandes banques d’affaires arriveront seulement plus tard.
Grâce à toute cette activité bancaire, les assurances sur la vie et contre les accidents sont instaurées pour la première fois.
3. L’essor industriel
L’essor industriel est très important durant tout le XIXe siècle. Des améliorations apparaissent notamment dans l’industrie textile. Dans ce secteur, une forte concentration des entreprises se met en place, le nombre de broches passant de 150'000 en 1814 à 1'150'000 en 1857. Plusieurs autres industries se développent également, comme l’horlogerie, la métallurgie par la construction des chemins de fer qui permettent d’importer des minerais, l’industrie des machines ou encore les industries chimiques et électrochimiques.
4. Une société qui évolue
4.1. L’agriculture
A la fin du XIXe siècle, le vers de Hugo qui dit que « La Suisse trait ses vaches et vit paisiblement. »[3] est pour ainsi dire démodé. En effet, le libre-échange et le développement des chemins de fer dans les années 1900 font reculer la culture des céréales et la viticulture au profit de productions nouvelles. En 1910, les paysans ne sont plus que 200’000[4].
Par la suite, le recul de l’agriculture se fait de plus en plus ressentir. La machine prend peu à peu la place de l’homme et les moyens se modernisent.
Cette modernisation dépend cependant beaucoup des différents cantons. Comme nous l’avons dit, plusieurs cantons, notamment Vaud, Fribourg et Berne voient prospérer leur agriculture, alors que dans les cantons très industrialisés comme Zurich, les gens préfèrent abandonner leur vie de campagnard au profit d’une vie en usine.
4.2. Les améliorations de la Société
Plusieurs améliorations apparaissent dans le domaine des communications, notamment dans la construction et l’élargissement des routes ou encore dans le développement du réseau ferroviaire. L’accès à la Suisse est donc facilité, ce qui va entraîner la naissance du tourisme.
Par l’arrivée de personnes extérieures, les mentalités commencent à s’ouvrir et à connaître des changements importants. Les Suisses adoptent en effet une certaine éthique basée sur le sens du travail, de l’épargne et sur l’instruction. Chacun est soucieux d’augmenter son capital et de réduire ses dépenses.
Ce nouveau mode de pensée est un des facteurs qui vient compenser les désavantages économiques du pays.
5. Les conséquences désastreuses de la Révolution Industrielle
5.1. Les mauvaises conditions de travail des ouvriers
Les ouvriers suisses ont beaucoup de peine à vivre normalement pendant cette période. Jusqu’au milieu du siècle, la journée de travail est longue et les salaires bas.
Les différences sont cependant grandes d’un secteur à l’autre. En 1870, un ouvrier gagne 1,90F par jour dans l’industrie textile, 2,30F dans l’alimentation et 3,60F dans la métallurgie en prenant en compte que le pouvoir d’achat est 10 à 12 fois plus élevé qu’aujourd’hui. Avec ces salaires, les ouvriers ont de la peine à vivre normalement, car 62% de leur salaire vont à la nourriture, 20% au logement et 14% à l’habillement[5]. Se nourrir devient donc un problème pour certains qui se voient contraints à manger chaque jour et à chaque repas des pommes de terre.
Le travail en usine est très pénible et les règlements de fabrique autoritaires et moralisateurs. Ce code d’éthique est en outre très ironique, car les analyses montrent que malgré les ordonnances cantonales, des enfants de 7 à 8 ans travaillent dans les filatures. Prenons l’exemple de l’industrie du coton à Zurich qui fait travailler, en 1842, 2'400 enfants de moins de seize ans sur un total de 2'600 hommes et femmes.
A la fin du XIXe siècle, les salaires commencent enfin à augmenter et la situation matérielle s’améliore petit à petit.
5.2. Les mesures sociales et législatives
Il est impératif que des mesures soient prises pour assurer la santé et la sécurité des travailleurs. C’est ainsi qu’une législation sociale apparaît dans les cantons les plus industrialisés. A Glaris, en 1848, la journée de travail en usine est limitée à treize heures et l’âge minimum pour travailler à douze ans.
En ce qui concerne les mesures législatives, le peuple vote en 1877 la loi sur le travail dans les fabriques qui réduit le temps quotidien de travail à onze heures et l’âge minimum à quatorze ans.
En 1890, la loi qui rend l’assurance-maladie obligatoire est refusée et il faut attendre 1912 pour qu’une loi qui oblige les entreprises à assurer leurs employés soit créée.
Le mouvement ouvrier commence à s’organiser. C’est à Lausanne qu’a lieu le premier Congrès de la Première Internationale. Cette réunion va donner des idées et va donc favoriser la naissance des syndicats, de la première Union ouvrière en 1873 et de l’Union syndicale suisse en 1880.
5.3. La pauvreté
La part des salariés dans la population active atteint 73% en 1910. Etant donné la rudesse de la vie des ouvriers, beaucoup de gens vivent en dessous du seuil de pauvreté. Le problème est qu’en Suisse, on rend volontiers le pauvre coupable de sa déchéance. C’est ainsi qu’en 1870, le Grand Conseil vaudois affirme que les secours doivent être réservés aux vieillards, infirmes, malades et orphelins et que les paresseux ou les familles trop nombreuses doivent en être exclus.
Les gens sont souvent touchés par les famines, comme celle de 1816 provoquée par une année agricole désastreuse.
La charité individuelle et la réflexion sociale tentent quand même d’améliorer la situation. Ainsi l’Union suisse des coopératives est constituée en 1890.
6. Conclusion
En conclusion de cette première partie qui décrit la vie économique de la Suisse avant la Première Guerre mondiale, nous pouvons faire remarquer que l’idée générale qui ressort est une certaine prospérité économique du pays malgré une grande différence entre les conditions des riches entrepreneurs et celles des pauvres ouvriers
La Révolution Industrielle a changé la mentalité paysanne en une mentalité tournée vers le capitalisme dont le profit est la principale devise.
La Première Guerre mondiale vient cependant complètement bouleverser la tranquillité économique des Suisses.
B. La Première Guerre mondiale et l’entre-deux-guerres
- 1.Les illusions des Suisses
La Suisse, certaine de sa bonne conjoncture et de l’efficacité de sa neutralité, n’envisage vraiment pas qu’une guerre économique va la toucher. Sans réellement s’en apercevoir, elle est inexorablement liée à l’économie mondiale. En effet, à l’orée de la guerre, elle dépend de l’étranger pour deux cinquièmes de sa consommation. Le pays helvétique va sans aucun doute être touché par cette guerre totale, laquelle, au départ ne devait toucher que la France et l’Angleterre.
C’est seulement au moment de la crise des Balkans en 1912 que le Conseil fédéral et tous les hommes politiques commencent à se préoccuper de l’économie en cas de guerre. Ils ne se rendent malheureusement pas compte que la Suisse va être touchée par la guerre. Leur première mesure est d’assurer l’approvisionnement céréalier de l’armée. L’unique préparation à la guerre réside donc en la formation en 1914 d’une réserve céréalière qui devrait assurer l’autosuffisance du pays pendant deux mois. En cas de conflit, on décide que la Suisse doit s’allier avec une des puissances en guerre pour assurer son approvisionnement.
La raison de ce manque de mesures prises est qu’en réalité le Conseil fédéral ne dispose que de peu de moyens pour se préparer à la guerre.
2. Le chaos économique
Pendant le conflit, la majeure partie du commerce extérieur est contrôlée par les Alliés, qui en 1915 créent la Société suisse de surveillance économique (SSS). Par cette société, ils contrôlent la totalité du commerce extérieur suisse. Ainsi le pain que mangent les Suisses en 1915 est fait à base de blé américain tandis que les Empires centraux livrent la totalité du charbon.
Les belligérants décident qu’aucune marchandise importée ne sera réexportée vers les puissances ennemies. Par cette mesure, l’industrie suisse, qui est avant tout une industrie de transformation et d’exportation, est gravement lésée.
3. Les mesures tardives
Une politique efficace aurait dû être menée. Or Edmund Schulthess, alors chef du nouveau Département de l’économie publique n’en a pas été capable. Il entreprend tardivement quelques mesures, comme l’introduction du monopole des importations de céréales en janvier 1915 ou le rationnement partiel à partir de 1917. Alors que les prix grimpent depuis trois ans, rendant la vie difficile à un certain nombre de personnes, le rationnement met tout le monde au même niveau, car les quantités sont les mêmes pour chaque personne.
Etant donné le retard de ces mesures, certaines branches économiques s’enrichissent depuis plusieurs années. Certains paysans vivent ainsi des bonnes récoltes des années précédentes, alors que d’autres secteurs sont en crise.
4. Les conséquences économiques
La dégradation de la souveraineté économique est très importante pendant la Première Guerre mondiale. Ainsi les déficits cumulés pour les années 1914 à 1919 s’élèvent à deux milliards.
La situation oblige le pays à emprunter : quatorze emprunts sont entrepris, dont deux aux Etats-Unis. Comme les prix ne cessent de monter, on est dans l’obligation de lever de nouveaux impôts : impôt de guerre sur la fortune et le produit du travail, droit de timbre, impôt sur les bénéfices de guerre.
- 5.Les conséquences sociales
Le mécontentement est grandissant dans les dernières années de guerre. La période est marquée par de graves problèmes sociaux.
Pendant la Première Guerre mondiale, les prix augmentent fortement, c’est-à-dire, de 131% en moyenne sur quatre ans : 50% pour le prix du lait, du pain, du beurre et des pommes de terre, le prix du sucre triple et celui d’un œuf passe de 10 à 49 centimes[6].
L’indice du coût de la vie passe de 100 à 229 entre 1914 et 1920, alors que le renchérissement des produits alimentaires, des vêtements et des combustibles est encore plus grand[7]. Les revenus ne suivent cependant pas au même rythme la montée des prix. C’est ainsi que dans de nombreux secteurs, les pertes de salaires sont très importantes. L’ouvrier par exemple doit supporter une perte de 30%. Les soldats sont également dans une situation précaire avec leur solde journalière qui paie à peine trois bières et un paquet de cigarettes.
Ainsi, en juin 1918, on dénombre officiellement 692'000 personnes dans le besoin, soit un sixième de la population totale[8].
Une législation sociale manque. C’est pourquoi les ouvriers se tournent vers les syndicats et le Parti socialiste suisse pour trouver de l’aide.
La tension monte donc un peu partout dans le pays et plusieurs manifestations, voire émeutes éclatent avant la grève générale du 11 novembre 1918.
6. La grève générale
La grève générale de 1918 dure trois jours durant lesquels les actes de violence se font rares, car « les autorités veulent résoudre la crise d’une manière digne d’un peuple fier de se gouverner lui-même et non pas par la violence. »[9] La grève générale règne plutôt sur le Plateau alémanique et beaucoup moins dans les cantons catholiques et peu industrialisés.
Les grévistes s’apaisent peu à peu, car certaines de leurs revendications, notamment l’augmentation des salaires et la semaine de quarante-huit heures trouvent satisfaction.
7. Le boom économique des années 1924 à 1929
Dès 1924, la crise économique engendrée par la Première Guerre mondiale est oubliée, car la seconde moitié des années 20 est marquée par une forte prospérité économique.
L’industrie suisse reprend sa croissance d’avant-guerre. Les multinationales du début du siècle et les entreprises chimiques bâloises, en bref l’industrie des machines tirent profit de l’évolution économique. Elles représentent un nouveau type d’industries en s’insérant plus étroitement qu’avant dans le système financier.
Les effectifs de ces entreprises grossissent et passent de 391'000 à 480'000 travailleurs pendant la période du boom économique. Ainsi, en 1929, les chômeurs ne sont plus que 8'000, soit 0,5% de la population active.
De 1924 à 1929, le revenu national augmente de 7,7 à 9,5 milliards de francs et la production industrielle connaît une croissance de 60 à 70%[10].
- 8.La crise économique des années 30
Le krach boursier d’octobre 1929 à New York engendre le retrait de nombreux crédits américains en Europe. Cette situation provoque donc une grande dépression qui touche d’abord les grands pays industrialisés : Etats-Unis, Angleterre, Allemagne et un peu plus tard la Suisse.
8.1. La crise par étapes
La crise se manifeste par étapes. Ainsi, de 1929 à 1931, la conjoncture ne baisse que très peu grâce aux retards dans la construction suisse en raison des besoins accumulés et des projets publics à long terme, principalement dans le domaine des constructions électriques. Ensuite, de 1931 à 1932, l’industrie d’exportation est largement touchée par l’effondrement du commerce mondial. Les années 1933 à 1936 sont quant à elles réellement marquées par la dépression. Les principaux secteurs touchés sont le secteur industriel, celui de l’agriculture qui voit ses exploitations baisser de 20% entre 1919 et 1939 et enfin le secteur de l’emploi, avec un nombre de chômeurs qui s’élève à 93'000 en 1936. C’est finalement dès 1936 que la situation s’améliore.
8.2. Les mesures prises
En septembre 1936, le Conseil fédéral décide enfin de dévaluer le franc suisse de 30%[11]. Les conséquences en sont heureuses, car s’ensuit la reprise du tourisme, des cours boursiers et des exportations. En 1933 et 1935, deux programmes financiers s’efforcent d’équilibrer le ménage fédéral en établissant un impôt direct mais modéré et en baissant les salaires du personnel fédéral.
- C.La Deuxième Guerre mondiale
- 1.Introduction
Les survivants de 1914-1918 avaient juré que la Grande Guerre serait la « der des ders ». Vingt ans plus tard, le 1er septembre 1939, Hitler envahit la Pologne et déclenche ainsi une nouvelle guerre européenne qui devient rapidement mondiale.
Cette invasion allemande ne surprend pas vraiment les Suisses, car après des années de tension, de crises et d’affrontements, la guerre paraissait inévitable. Les raisons de s’inquiéter se sont en effet multipliées depuis plusieurs années. Ainsi on se rappelle du nombre incroyable de morts qu’a engendré la Première Guerre mondiale, de la grave crise des années trente et on voit la montée des affrontements sur le plan international qui réduisent fortement les illusions de paix. Cette citation romaine « Si tu veux la paix, prépare la guerre. » correspond à la situation, car comme la guerre semble inévitable, toute l’Europe espère la paix mais prépare la guerre.
2. L’avant-guerre
2.1. La préparation politique à la guerre
Face à la possibilité d’une guerre totale, les autorités fédérales commencent à réagir et à prendre des décisions à la fin des années trente. Les Chambres fédérales augmentent les crédits militaires, suivant l’initiative de Rudolf Minger, chef du Département militaire qui réussit ainsi à maintenir le budget militaire.
Malgré le rattachement de la Suisse à la SDN dont les ambitions sont pacifistes et visent à réduire les armements de ses pays membres suite aux conséquences désastreuses de la Première Guerre mondiale, le pays décide alors de renforcer ses armements par l’augmentation de crédits militaires. Par là, la Suisse entend renforcer sa défense nationale en vue de retrouver une neutralité intégrale.
2.2. La préparation économique à la guerre
C’est à partir de 1937, avec la création de l’Office de l’économie de guerre, qu’une réelle préparation à la guerre intervient. Afin d’éviter un certain chaos, un accord entre employés et salariés est signé et exclut la grève et le lock-out, ce qui signifie la confrontation sociale directe.
Pour mettre en place l’économie de guerre, on élabore un système planifié regroupant les représentants de l’économie privée et les fonctionnaires fédéraux. On crée donc une économie politique.
Les représentants de l’économie privée s’occupent d’assurer l’approvisionnement du pays en ordonnant que des réserves soient constituées par la population juste avant la guerre. Le Conseil fédéral, quant à lui, possède un contrôle commercial.
2.3. L’élaboration d’une politique agricole
Dès 1938, on tente d’élaborer une politique agricole. La première mesure prise vise à l’extension des cultures et est entreprise le 12 décembre 1938 par M. Friedrich T. Wahlen, futur conseiller fédéral. Le but de cette opération est d’assainir l’agriculture en Suisse et de lui faire une place économique et politique privilégiée. C’est grâce à l’élaboration de cette politique agricole que pendant la guerre, le plan Wahlen sera mis sur pied.
3. Les effets de la guerre
Peu avant la guerre, la politique étrangère suisse ne prend pas position pour les évènements qui se passent autour d’elle, mais s’occupe d’assurer l’approvisionnement du pays en cas de conflit. Ainsi des spécialistes de l’économie signent des accords avec les partenaires commerciaux pour s’assurer un bon commerce extérieur si la guerre a lieu. Or il faut attendre la première année de guerre pour que de réels accords soient décidés. On pense notamment à celui passé avec le Reich. Par ces mesures, le commerce peut rester le même qu’avant 1939 jusqu’en 1940, sauf que les exportations se constituent principalement de matériel de guerre, destinés aux Alliés dans les premiers mois[12].
Sur le plan du commerce intérieur, aucun pays n’est aussi bien préparé, à l’exception de l’Allemagne. La Suisse ne se fait donc pas beaucoup d’inquiétudes pour son commerce intérieur.
4. L’armée
L’Assemblée fédérale élit général par une forte majorité le colonel vaudois Henri Guisan. A cette époque, l’équipement est faible et le niveau d’instruction variable, mais le général ne se laisse pas décourager. Il est un meneur d’hommes qui sait se faire aimer des soldats. Il incarnera la volonté d’indépendance du peuple suisse.
5. La mobilisation générale
Elle est décrétée une première fois en septembre 1939 et s’effectue sans grande difficulté du 3 au 5 de ce même mois. C’est en mai 1940 qu’une deuxième mobilisation générale est décidée.
La tâche des 430'000 militaires n’est pas de faire la guerre, étant donné que la neutralité suisse est plus ou moins respectée. Mais dès 1940, à la chute de la France, la situation devient de plus en plus instable, car la Suisse est encerclée par des puissances en guerre. L’armée est mise en état d’alerte, ce qui provoque une prise de panique des habitants des régions de Bâle et des bords du Rhin qui se replient sur la Suisse centrale et romande.
6. La neutralité
Les plans allemands d’agression de la Suisse ne sont en fait pas réels. On ne s’intéresse pas à l’occuper, car dans les domaines militaires et économiques, l’opération est déconseillée.
La neutralité politique est acceptée et respectée par les puissances en guerre. Par contre, la neutralité économique est bien plus difficile à conserver. En effet, plusieurs négociations sont élaborées avec le Reich et la Grande-Bretagne. L’Allemagne, pour sa part, demande que des crédits militaires toujours plus hauts soient octroyés en échange de livraisons germaniques, de fer et de charbon. La Grande-Bretagne est désireuse d’établir un blocus de la Suisse, car elle ne supporte pas l’idée de neutralité suisse. Ainsi, à trois reprises, les exportations de blé cessent pendant plusieurs mois[13].
7. L’économie de guerre
7.1. Les productions nouvelles
C’est dans le domaine de l’économie que la préparation à la guerre a été la meilleure. En effet, les décisions des chefs du Département de l’Economie publique adoptent des mesures en vue de remédier à la pénurie en utilisant au maximum les ressources du pays pour augmenter la production.
L’extraction du minerai de fer est développée à Saint-Gall et en Argovie. Mais comme il existe un manque de combustibles qui empêche la remise en marche des hauts fourneaux, éteints en 1935, ce minerai est exporté en Allemagne d’où il revient sous la forme de fonte ou d’acier.
Les mines d’anthracite, c'est-à-dire de charbon, sont remises en fonction en Valais.
L’industrie chimique voit elle aussi sa production s’intensifier. En effet, elle commence à produire les matières synthétiques qui serviront à l’industrie textile, à la production des engrais et à la fourniture des explosifs à l’armée.
Tout doit être récupéré, notamment les os qui serviront à produire du savon et des bougies.
7.2. L’augmentation des impôts
Le Conseil fédéral décide de renforcer la fiscalité en levant de nouveaux impôts : l’impôt direct, dit de défense nationale, l’impôt indirect sur le chiffre d’affaires, appelé TVA de nos jours, le droit sur les bénéfices de guerre ou encore le prélèvement sur les fortunes, appelé aussi « le sacrifice de guerre ».
Un contrôle des prix est également décidé. Or malgré ces dispositions, la dette s’élèvera tout de même à 8 milliards en 1945[14].
7.3. Le rationnement
C’est dès septembre 1939, c’est-à-dire dans les jours suivant la déclaration de guerre, que débute le rationnement progressif des biens de consommation qui seront donc interdits de vente. Les denrées rationnées sont les produits comme le sucre, l’huile, le pain, le lait, les textiles. Les légumes ne sont pas rationnés, car presque tout le monde les cultive à cette époque. Les quantités dépendent en fait du nombre d’enfants dans les familles, de l’âge des gens et de ce qu’un paysan cultive déjà. Si ce dernier fait le pain lui-même, il n’aura pas droit aux coupons de pain, mais seulement aux coupons de farine (70 grammes de farine pour 100 grammes de pain )[15].
Avant l’introduction des tickets, les gens s’occupent à faire des réserves pour que leur ménage résiste à l’économie de guerre. Tout est réutilisé et rien ne doit être jeté. C’est pourquoi de nombreux articles de journaux expliquent par exemple comment conserver les légumes d’hiver ou comment retoucher ses vêtements usés[16].
Les tickets interdisent la vente, car tout est rationné. Or un certain marché noir règne en Suisse à cette époque. Par exemple, les citadins vendent des parcelles de leurs vignes aux montagnards en échange de coupons de pain ou de beurre qu’il reste aux montagnards.
La contrebande s’étend peu à peu sur le plan fédéral et de grosses affaires commencent à être découvertes, comme celle de 1942, où des cartes alimentaires représentant environ 550 mille kilos de denrées sont détournées de l’Office de guerre. C’est une des nombreuses affaires de marché noir qui ont été découvertes pendant la Deuxième Guerre mondiale[17].
7.4. Le plan Wahlen
7.4.1. Introduction
La Révolution Industrielle au XIXe siècle, contribue à faire reculer l’agriculture en Suisse. En effet, les surfaces cultivées diminuent de plus en plus et sont peu à peu remplacées par des constructions d’habitations ou de voies de communication. Par exemple, la culture des céréales panifiables s’étend sur seulement 100'000 ha, c’est-à-dire moins de 3% de la superficie du pays[18]. Pour pouvoir assurer l’approvisionnement du pays, il faut donc remédier rapidement à la situation.
7.4.2. L’augmentation de la production
Dès 1938, le Conseil fédéral ordonne la constitution de stocks de céréales et incite la population à faire des réserves pour deux mois. Ensuite, on analyse partout les possibilités de production.
C’est Friedrich Traugott Wahlen qui aura la tâche de s’occuper de l’extension des cultures. Alors sont entrepris de nouveaux travaux qui vont aider à la plantation de nouvelles cultures : on draine, on rase les buissons, les taillis, en ne se préoccupant pas de l’esthétisme du paysage.
Les citadins, ne possédant aucun champ ni aucune grande surface cultivable, sont alors invités à remplacer les parcs publics et les terrains de sport par des jardins potagers.
On encourage également les agriculteurs à changer leurs cultures d’herbages contre celles de céréales, de pommes de terre et de légumes. Des subventions sont distribuées aux paysans pour les aider à mettre à bien ce projet. Les terres cultivables passent alors de 180'000 à 350'000 ha et les productions de légumes doublent[19]. Les produits laitiers diminuent cependant et se retrouvent donc soumis au rationnement.
Pour conclure, le travail de l’agriculteur est un travail très pénible, mais prospère. Malgré le blocage des prix, le salaire du paysan égale en 1940 celui des industriels.
7.4.3. Le service du travail à la campagne
Le travail du paysan est d’autant plus pénible que ses chevaux et ses mulets sont mobilisés.
Un service de travail à la campagne est donc institué, obligeant tout le monde, dès l’âge de seize ans, à participer aux travaux de la terre.
7.4.4. L’aspect socio-psychologique
L’aspect socio-psychologique du plan Wahlen est intéressant, car en obligeant les citadins à s’adonner aux travaux des champs, une meilleure compréhension des valeurs de la paysannerie est donc engendrée. Les populations urbaines entretiennent alors « un lien émotionnel avec le sol de la patrie ».[20]
8. La fin de la guerre
En 1943, les forces sont renversées et les Allemands se retrouvent en situation de danger par rapport aux Alliés. Les accords commerciaux entre la Suisse et le Reich sont encore importants malgré la pression du blocus des Alliés. Le pays helvétique finit enfin par arrêter les livraisons de matériel de guerre à l’ennemi et rompt finalement les relations commerciales germano-suisses. Pour éviter les tendances profascistes helvétiques, on exclut finalement tout rapprochement avec le pays germanique.
9. Les réfugiés
La politique suisse à l’égard des réfugiés a été très peu accueillante, car les Juifs, reconnus parle le « J » tamponné sur leur passeport, ne sont pas considérés comme des réfugiés politiques et sont donc souvent refoulés aux frontières suisses tout droit vers l’Holocauste.
Pour se déculpabiliser de cette politique, la Suisse se justifie ainsi : « L’embarcation de sauvetage est pleine. »[21], alors que le pays n’a dépensé que 175 millions de francs pour les réfugiés, soit 2% de l’argent consacré à l’armée et à l’approvisionnement du pays[22]. Certains Suisses ne sont tout de même pas d’accord avec cette politique et le montrent en se rattachant aux nombreux réseaux de résistance en Suisse.
10. La politique sociale
La vie sociale et politique reprend subitement d’une manière analogue à la reprise d’après 1918. Une réforme économique sur le droit du travail est lancée par une initiative et l’assurance vieillesse est élaborée. L’idée de paix du travail domine et influence donc les décisions.
La guerre prend fin le 8 mai 1945, provoquant un grand enthousiasme en Suisse et un peu partout. Le conflit mondial se termine pourtant sans aucune nouvelle perspective sociale ou politique, excepté le fait de satisfaire aux besoins matériels et économiques. L’après-guerre montre une Suisse dépourvue de dynamisme.
2. Introduction historique sur Veysonnaz
1. La situation géographique
Appelé aussi « le pays du soleil », Veysonnaz se situe au cœur du Valais, sur la rive gauche du Rhône et plus précisément à treize kilomètres au-dessus de Sion. Le village est entouré par Nendaz, Salins et les Agettes et fait partie du district de Sion. A une altitude de 1233 mètres, il domine une partie de la vallée du Rhône. Sa superficie totale ne dépasse pourtant pas les 111 hectares, faisant de ce village la plus petite commune du canton du Valais.[23]
2. La volonté d’indépendance
Les origines de Veysonnaz sont peu connues, mais nous savons qu’en 1264 le village était une baronnie qui appartenait à un homme important de Sion. Elle passa ensuite de mains en mains, appartenant parfois à des seigneurs, à des évêques, à des fiefs et même à des écuyers.
Finalement, Veysonnaz finit dans les mains de l’Evêque de Sion qui la conserve jusqu’en 1798. Les habitants du village sont donc contraints d’obéir aux dures lois de celui-ci qui fait reconnaître sur eux son pouvoir spirituel et temporel. Ce climat commence à alimenter un certain esprit de contradiction du côté des villageois. On voudrait que l’Evêque reconnaisse leur indépendance en leur donnant par exemple la possibilité d’élire eux-mêmes leurs autorités politiques et judiciaires. L’indépendance est finalement octroyée contre une somme d’argent.
3. Veysonnaz au XIXe siècle : la vie quotidienne
C’est à partir de 1800 que la situation est mieux connue. Nous savons par exemple qu’un certain Mr Schiner, docteur en Médecine de la faculté de Montpellier, a fait halte dans les villages de la plaine du Rhône en 1812. Voici ce qu’il dit de Veysonnaz : « On observe d’abord sur une belle hauteur, et immédiatement au-dessous d’une jolie petite forêt de mélèzes, et au-dessus de belles prairies un grand village nommé Veisonna, assez peuplé, où les habitants sont de braves gens, menant une vie dure et laborieuse, mais dont les hommes qui viennent tous les samedis au marché de Sion pour y vendre des bois de bâtisse et autres, sont très adonnés au vin, et même à l’ivrognerie, au point même qu’ils retournent ordinairement chez eux assez pris de vin, tandis que leurs épouses sont fort braves, vertueuses et modestes. »[24]
Cette description nous dévoile un village replié sur lui-même, ne vivant pratiquement qu’avec ses propres ressources, c’est-à-dire en autarcie. C’est grâce au commerce qui se fait avec Sion que naît une ouverture sur l’extérieur. Dès 1870, les gens y descendent avec leur mulet pour acheter des produits : le sucre, le sel et le café ou pour vendre leur bétail. La descente à pied dure une heure et demie. On se lève donc très tôt pour arriver à l’ouverture des foires, qui sont en fait de grands marchés où toutes sortes de marchandises sont vendues. Les prix sont marchandés, le prix d’un veau pouvant parfois aller jusqu’à quarante francs, qui est une somme importante pour les propriétaires du village.[25]
4. L’organisation de la vie
La vie à Veysonnaz reste malgré tout très autarcique, car chaque famille se débrouille avec sa propre agriculture et son propre élevage.[26]
4.1. La boucherie
Ainsi, chaque automne, on tue une vache ou un bœuf pour pouvoir se suffire avec la consommation de viande pendant toute l’année. Le lait des vaches est amené à la laiterie et en échange les propriétaires reçoivent selon la quantité de lait apporté du fromage, du beurre et du sérac.
4.2. La vigne
Une grande partie des familles possède des vignes, principalement à Vétroz et à Ardon. Au printemps, les villageois descendent dans ces régions pour cultiver leurs vignes. Ils ont également la possibilité de cultiver celles des riches propriétaires qui les paient deux francs par jour. Le travail est évidemment très pénible, d’autant plus qu’aucun équipement technique n’existe encore.
4.3. L’agriculture
Comme toute région de montagne, l’agriculture joue un rôle très important. Elle permet en effet à chacun de pouvoir se nourrir et d’éviter ainsi de se trouver dans une situation de disette.
De 1900 à 1945, elle n’a presque pas évolué et reste essentiellement composée de légumes, dont les plus fréquents sont les petits pois, les pommes de terre et les fèves. Tous ces produits permettent aux paysans de vivre de leurs cultures.
Dès 1931, le Département de l’agriculture décide de subventionner l’arboriculture. C’est ainsi que sont plantés à cette époque environ cent cinquante pommiers, mais sans résultat très concluant.[27]
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, Veysonnaz n’est que peu touché par le plan Wahlen, car chacun se débrouille avec ses récoltes. Malgré cela, les cultures se diversifient et s’étendent pendant la guerre. Des nouvelles variétés de blé sont plantées et un maximum des terres exploitables sont exploitées. Les « mayens » deviennent donc un lieu d’élevage intense où chaque famille passe une bonne partie de son été.
En 1940, des subsides de la Confédération sont distribués aux personnes qui descendent à Pravidondaz, région située à trois quart d’heure de marche de Veysonnaz, pour faire leur pain. Le pain n’est en effet pas compris dans les coupons de rationnement utilisés pendant la guerre. Il doit donc être produit dans le village.[28]
Plus tard, une importante diminution de l’agriculture apparaît, devenant dès 1960 une activité accessoire. Ainsi, alors que le nombre d’exploitations est de 59 en 1940 et passe à 83 en 1960, ce nombre diminue jusqu’à 57 en 1970 pour atteindre 49 en 1975. Le nombre de propriétaires et d’exploitations baisse peu à peu en même temps que le secteur primaire est peu à peu abandonné.[29]
5. La construction de la route
En 1922, le projet de construire une route qui relierait Veysonnaz à Sion en vue de faciliter les transports est envisagé. C’est seulement en 1930 que la décision est réellement prise par le Conseil communal de Veysonnaz. Les travaux commencent en novembre 1930. Le premier car postal passera en 1943.
6. L’amélioration des cultures
Dès la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la culture des fraises vient complètement bouleverser le calme de l’agriculture. Elle remplace en effet la culture des céréales et prend une place extrêmement importante, car elle devient un moyen de gagner de l’argent en vendant sa production à Sion. Il est dit que trois camions viennent chercher les fraises à Veysonnaz chaque jour.
La montée des revenus agricoles grâce à l’arrivée de la fraise provoque une amélioration des conditions de logement.
Ces nouvelles productions demandent tout de même des infrastructures appropriées. Ainsi en 1945 sont mis en place des réseaux d’irrigation des champs.
7. La diversification des professions
Chaque membre de la famille doit participer aux travaux des champs. Or dès la fin de la guerre, de nouveaux métiers apparaissent. Les bûcherons sont engagés dans le Haut-Valais, certains autres travailleurs sont employés à l’usine de Chippis, tandis qu’une personne par famille va aider à la construction des barrages, tels que la Grande-Dixence et Cleuson.
C’est à partir de 1960 que les gens commencent à trouver du travail à Sion.
En étudiant les emplois locaux de 1929 à 1975, nous voyons que les emplois agricoles baissent fortement au profit des emplois non agricoles comme ceux cités précédemment.[30]
8. Le développement du tourisme
Petit à petit des gens extérieurs commencent à s’intéresser à ce pays de montagne où seuls les chants des oiseaux et le bruit des cloches des troupeaux viennent déranger la tranquillité du lieu. Ainsi plusieurs Vaudois commencent à construire des chalets dans la région.
Le réel développement du tourisme apparaît avec la construction du télécabine et avec la mise en place d’un domaine skiable.
9. L’évolution de la population
Cette évolution est très forte entre 1930 et 1989. En effet, la population de Veysonnaz passe de 297 habitants en 1930 à 485 en 1989, ce qui correspond à une augmentation de 63,3%. Nous pouvons également remarquer que de 1930 à 1941, la population passe de 297 habitants à 360, alors que de 1941 à 1950, l’évolution n’est que de 11 habitants. Les années de guerre sont donc marquées par une faible évolution de la population. En réalité, pendant cette période, le taux de natalité reste élevé, car l’excédent des naissances s’élève à 150 personnes pendant ces années. De 1941 à 1970, ce sont en fait 111 habitants qui ont quitté le village. C’est le tourisme qui réussira à stopper cet exode rural.[31]
- 3.Synthèse de l’histoire écrite
Pour résumer, l’histoire écrite nous dévoile une Suisse très autarcique, voire repliée sur elle-même. Malgré tout, l’industrialisation du XIXe siècle vient chambouler sa tranquillité et fait naître un commerce d’importation et d’exportation qui va aider à l’ouverture sur l’étranger.
Or comme nous l’avons dit précédemment, ce sont les régions où l’agriculture est la moins prospère qui connaissent la montée des industries. Ainsi Bâle et Zurich se développent très rapidement et l’essor démographique ne tarde pas à se faire sentir dans ces villes qui deviennent donc le centre économique et commercial de la Suisse. Au contraire, certaines régions ne participent que peu à la Révolution industrielle, car leurs cultures leur permettent de se suffire à elles-mêmes. Vaud, Fribourg et Berne restent donc peu concernés par l’essor industriel et vivent du profit que leur céréaliculture leur rapporte. Malgré tout, cette situation ne va pas durer, car la Première Guerre mondiale va bientôt éclater.
Cette période de conflits européens touche grandement la Suisse qui en ressort avec un taux de chômage important, une agriculture qui a bien diminué, un revenu national bas, bref une situation de précarité qui ne peut durer. Peu à peu, le boom économique d’après-guerre se fait ressentir. Mais la chute est d’autant plus dure lors du crash économique de Wall Street qui rend la conjoncture suisse catastrophique. Il faut du temps au pays pour remettre son économie sur pied. Or la Deuxième Guerre mondiale viendra bientôt à nouveau déranger sa tranquillité.
Durant toutes ces années, la Suisse a cherché à faire respecter sa neutralité et nous pouvons dire qu’elle y est parvenue. Ainsi, à l’aube de la Deuxième Guerre mondiale, alors que le conflit semble inévitable entre l’Allemagne et les Alliés, la population ne se prononce pas en faveur d’un camp ou d’un autre, mais s’occupe plutôt de se préparer au chaos économique qui suivra certainement. L’ébauche du plan Wahlen est ainsi mise en place, ce dernier visant à favoriser le développement de l’agriculture.
Le Valais est également touché par cette préparation économique à la guerre. Tous les champs cultivables sont exploités et toutes les familles se mettent aux travaux de ces champs, même si cette activité n’était pas celle pratiquée avant 1939. L’histoire écrite sur Veysonnaz nous le montre bien. L’agriculture concerne tout le monde au village, qu’on soit petits ou grands. Chaque famille peut par là se constituer des réserves pour la guerre et vivre plus ou moins paisiblement. Veysonnaz ne semble donc pas avoir eu réellement faim pendant le conflit, malgré l’introduction des coupons de rationnement. Or est-ce vraiment ce que les gens vivaient au quotidien ? ou les gens ont-ils eu faim pendant la Deuxième Guerre mondiale ? Quelle était la réalité de tous les jours qui n’est pas décrite dans les livres ?
Pour clarifier ces points, intéressons-nous à l’histoire orale, expliquée par les interviews de cinq personnes ayant vécu à Veysonnaz pendant cette période.
III. Histoire orale
1. Questionnaire d’interview
- Identification de la personne
Nom, prénom, date de naissance, état civil pendant la guerre, profession pendant la guerre, famille (nombre d'enfants voire de frères et soeurs)
- Déroulement de l’interview
LE TRAVAIL
Pour une femme:
Quelle était votre activité professionnelle durant la guerre ? Celle de votre mari ?
Votre mari a-t-il été mobilisé ?
La vie de mère au foyer/paysanne était-elle dure ? Si oui, en quoi ?
Avez-vous eu de la peine à vous nourrir et à nourrir vos enfants ?
Vos enfants vous aidaient-ils dans la vie de tous les jours ?
Pour un homme:
Avez-vous été touché par la mobilisation ?
Si oui, avez-vous connu des problèmes d'argent ?
Avez-vous souffert d'un manque de nourriture ?
Avez-vous connu des difficultés à nourrir votre famille ?
Les gens manquaient-ils de travail au village ?
L'AGRICULTURE
Avez-vous ressenti des différences dans votre agriculture ?
Aviez-vous des cultures différentes qu'avant la guerre ?
Votre production a-t-elle augmenté ?
Vendiez-vous certains produits que vous cultiviez ?
L'agriculture vous a-t-elle permis de mieux vous nourrir ?
De quoi vous nourrissiez-vous pendant la guerre ?
Aviez-vous du bétail ?
Votre quantité de bétail a-t-elle changé pendant la guerre ?
Avez-vous participé au plan Wahlen ? Quel a été l’accueil du plan Wahlen dans le village ? A-t-il eu des conséquences réelles ?
LE RATIONNEMENT
Avez-vous employé les coupons de rationnement ?
Qui les distribuait ?
Les coupons de rationnement vous permettaient-ils toujours de vous nourrir suffisamment ?
Etaient-ils équitables ?
Quelles denrées étaient rationnées ?
De quoi manquiez-vous ?
Pouviez-vous vous nourrir uniquement avec ces tickets de rationnement ou existait-il un certain trafic de coupons dans le village ?
Pouviez-vous vendre ces tickets de rationnement ? (ceux qui concernaient des denrées que vous produisiez vous-même et des lesquelles vous ne manquiez donc pas du tout ? Y avait-il des échanges entre les gens de la plaine et ceux de la montagne ?)
LE COÛT DE LA VIE
Le coût de la vie était-il plus élevé ?
Aviez-vous assez d'argent ?
Quels étaient vos moyens pour gagner de l'argent ?
QUESTIONS SUPPLÉMENTAIRES
Avez-vous eu faim pendant la deuxième guerre mondiale ?
Comment vous chauffiez-vous l'hiver ?
Aviez-vous assez d'argent pour acheter des vêtements chauds ?
Des ateliers de couture ou de cuisine ont-ils été mis en place entre les femmes au foyer du village ?
Qu'est-ce qui a changé dans votre vie quotidienne depuis la guerre ?
2. Interviews
- Identification
Nom : Glassey
Prénom : Lydia
Date de naissance : 2 décembre 1925
Elle vivait chez ses parents pendant la guerre et était l’aînée de sept enfants.
- Déroulement de l’interview
Quel était ton état civil pendant la guerre ?
« Pendant la guerre, je vivais chez mes parents et puis là, à treize ans déjà, je suis descendue à Saxon pour l’été et comme j’étais l’aînée, pour un salaire de 30 francs par mois. Et puis entre-temps, il y a eu la guerre de 39 justement. Alors la deuxième année que je suis descendue, j’avais déjà 60 et puis j’ai aussi été travailler aux vignes pour 3,60F par jour. J’avais douze ans, alors comme on pensait que j’allais pas assez vite pour avoir un salaire comme les autres, alors j’avais 3,60F par jour. »
Là, tu travaillais aux vignes ?
« Oui, à Saint-Pierre-de-Clages. On dormait en bas la semaine et puis on rentrait le samedi. On allait même des fois presque jusqu’en haut à pied. Une fois, on avait raté le train pour venir jusqu’à Châteauneuf alors on était monté en haut à pied depuis Saint-Pierre-de-Clages. »
Depuis Saint-Pierre-de-Clages jusqu’ici ?
« Ah oui, oui. On prenait le temps, ah qu’est-ce que tu veux, on avait notre paie dans la poche alors on était tout contents. »
Mais tu descendais avec les frères et sœurs ?
« On était toute une équipe. Oui, j’étais seule de ma famille mais on travaillait avec toute une équipe. Je crois que j’étais dans les plus jeunes de Veysonnaz et de Clèbes. Mais par contre, si on allait aux vignes pour travailler à Vétroz, alors les vignes qu’on avait nous-mêmes, c’était à pied et on pouvait descendre le matin et monter le soir. Des fois on restait en bas et puis on avait des petits… comment ils appelaient… des « mazots ». Il y avait pas de luxe, ni au point de vue vaisselle, rien. On vivait avec ce qu’on avait. On faisait surtout une soupe et puis le café et puis à part ça, on prenait en bas un peu de fromage qu’on avait ici un peu de salé, de saucisse, parce que la boucherie, ici on faisait mêmes. C’est rare qu’on allait à la boucherie. Mais pour ça, on était gâtés ici parce qu’en automne, on faisait la boucherie nous-mêmes et donc on avait de quoi manger quand même. Mais on n’a jamais eu faim, ça il faut reconnaître. On avait le blé avec quoi on faisait le pain de seigle. Moi je me rappelle quand par exemple on faisait les « merveilles », on allait couper le froment, on le lavait et puis on le mettait sécher sur les toits de taule et puis on allait le retourner pour qu’il soit bien sec pour amener faire la farine pour avoir de la bonne farine de froment. Non, non, mais on a eu la vie dure si on veut, mais on n’a jamais eu faim. On ne peut pas dire qu’on a été dans la misère, ça sûr pas. On n’était pas gâtés soit point de vue par exemple vêtements et tout ça, ou bien meubles ou bien le confort dans les maisons. On n’avait ni eau courante, donc il fallait aller chercher à la fontaine. Pour les toilettes, il fallait aller à l’extérieur. Moi je crois qu’on pourrait pas reprendre ça maintenant. Je pense souvent, ça serait pas une vie à recommencer mais après tout, on a vécu des beaux jours. Et puis on profitait de ce qu’on avait au moins. On avait le temps pour tout, tandis que maintenant les gens sont tellement stressés. Ils ont tout et puis ils ont rien finalement, ils sont toujours pressés, pressés, pressés. Là on prenait le temps. En hiver, on avait ces longues veillées. C’était vraiment super. Mais qu’est-ce qu’on veut, on ne revient pas en arrière. Il faut vivre avec ce qu’on a maintenant. On regrette pas, mais c’était des bons moments.
Les hommes, en hiver, le gagne-pain qu’ils avaient, c’était d’aller travailler dans ces coupes de bois. C’est vrai que des fois, je me rappelle quand Papa allait. Les thermos n’étaient pas connus. Maman mettait des bons bas de laine pour emballer les bouteilles de café et il fallait avoir du bon vin, mais le bon vin, il paraît que ça gèle pas. Mais il fallait au moins garder tiède le café pour dîner, le pain, saucisse et fromage qu’on faisait mêmes, mais c’est vrai que c’était un travail pénible et puis on n’était pas habillés chaudement comme maintenant. »
Seulement les hommes descendaient ou toute la famille ?
« Si c’était pour nous, on allait aussi. Par exemple si on prenait le mulet, on allait pour amener le mulet et puis il y avait Papa qui était là.
Mais on allait parfois chercher le bois à dos de mulet jusqu’en haut dans les forêts, car on n’avait pas de chauffage électrique, pas de chauffage central. Il fallait se chauffer avec ce qu’on avait.
Mais en été, les hommes allaient souvent travailler la journée dans les vignes et c’est comme ça qu’ils avaient un gagne-pain. »
Etait-ce le principal travail que les hommes avaient ?
« Oui, oui. Jusqu’à quand plus tard, c’est venu qu’ils ont commencé à travailler à l’usine de Chippis. Mon Papa il a travaillé là-bas pendant des longues années. Mais il descendait à pied jusqu’à Beuson et même jusqu’à Sion pour en finir avec ces cars qui ne venaient pas, car il y avait moins d’ouvriers. Mais c’était un bon gagne-pain et on avait déjà la vie beaucoup plus facile à ce moment-là. »
A quelle période c’était ?
« Sitôt après la guerre. Mais il avait déjà commencé que la guerre n’était pas finie. Mais après la guerre, les salaires ont aussi augmenté, c’est sûr. »
Pendant la guerre, tu étais une paysanne ?
« Oh oui, c’est ça la première chose qu’on a appris. Moi j’étais l’aînée et je me rappelle quand j’avais dit que je voulais aussi faire quelque chose maintenant qu’ils étaient plus grands derrière. On était sept. Alors Maman elle a dit : « C’est pas possible, on peut pas laisser partir, parce que si les plus grands partent… » Mais tu vois, direct après, c’est devenu beaucoup plus facile. Les autres, ils ont quand même pu sortir un peu et faire des petits apprentissages. Pas tous non plus. »
Mais pendant la guerre comment ça se passait ?
« Oh pendant la guerre, on s’arrangeait bien, car il y avait ces coupons. On ne pouvait pas acheter ce qu’on voulait, il y avait les coupons pour le pain, pour tout. Alors si quelqu’un avait des coupons en plus pour certaines choses, alors on s’arrangeait entre les familles. Par exemple, Maman elle s’arrangeait avec ses tantes, ses sœurs. »
Par exemple si certains avaient plus que d’autres ?
« Oui certains n’utilisaient pas tout. Parfois, les uns aiment plus du sucré plus du salé et puis tout le monde s’arrangeait. Mais par exemple, ceux qui avaient plus de bétail, c’était plus facile. Mais ils avaient plus de travail, il fallait travailler plus longtemps à rentrer soit le foin, soit les récoltes qu’ils avaient pour eux. Alors là, on pouvait échanger. On allait donner des coups de main et en échange, c’était pas pour de l’argent mais c’était pour manger, pour vivre. »
Mais est-ce que vous manquiez de nourriture avec les quantités prévues par les coupons ?
« Non ! Bon je veux bien que là où ils n’avaient rien chez eux, là ils devaient être assez serrés. Mais quand on avait toujours assez de patates, de choux, de carottes et de trucs comme ça, on arrivait à vivre très honnêtement quand même. »
Même si les produits étaient rationnés ?
« Oui, mais je veux bien qu’on vivait pas comme maintenant. On pouvait moins facilement aller acheter et dire « J’aime ceci et j’aime cela ». On vivait avec ce qu’on avait. »
Pouviez-vous acheter des choses ?
« Le sucre, le sel et puis le pain encore. Mais pour le pain, quand on allait faire le pain, on faisait le pain de seigle pour un mois et puis on mettait au « galetas ». Alors quand on mangeait les derniers morceaux, alors là, il fallait pas couper avec un couteau, mais avec une petit hache ou avec un outil spécial tellement il était dur. Mais tremper avec quelque chose ou n’importe, c’était encore très bon ça. »
Donc vous gardiez le plus possible ?
« Oui, oui, on faisait des réserves. »
Qui distribuait les coupons ?
« Nous on est sur la commune de Nendaz, alors ils venaient depuis Nendaz. Il y avait un monsieur, justement, il y a encore un de ses garçons qui a marié une fille de Clèbes, là, Marcel Mariéthoz. Mais pour en finir, nous, le seul nom qu’on disait, c’était « Jean di tickieu », « Jean des tickets », parce qu’il venait distribuer les tickets là. Beaucoup des personnes âgées savaient son nom, mais nous, enfants, on ne savait pas. Alors on savait qu’aujourd’hui il y a « Jean di tickieu » qui arrive. »
Comment procédait-il ?
« Alors il disait, vous êtes tant de personnes, vous avez droit à tant. Il ne pouvait pas distribuer comme il voulait, bien sûr, c’était d’après ce qu’on avait le droit. »
De quoi ça dépendait ?
« Ça dépendait des personnes adultes qui n’avaient plus besoin, ça dépendait du nombre d’enfants, c’était rationné par rapport au besoin qu’ils pensaient qu’on ait. »
Est-ce que les coupons étaient distribués équitablement ?
« Oh ben je pense qu’il y avait de ceux qui allaient changer les coupons. Par exemple, je sais que certains changeaient pour le sucre, car le sucre, on utilisait beaucoup plus que maintenant. Je sais aussi que certains descendaient à Sion dans des commerces où ils étaient connus et ils échangeaient certains coupons pour autre chose. »
Contre quoi ?
« Contre par exemple des pâtes ou bien je sais pas quoi ! Mais certains arrivaient à faire les « knöplflis » avec leur farine alors ils pouvaient échanger pour autre chose. Non, non mais je crois qu’il fallait savoir se limiter, se rationner un peu, mais jamais les gens n’ont eu faim, ça c’est pas vrai ça. Mais je veux bien que là où ils avaient rien pour eux, comme je dis, dans des villes où ils n’avaient rien de tout ce qu’il fallait acheter. Quand on avait déjà enlevé le fromage, la viande, la farine, tous les légumes. Nous on encavait des patates. Tous ces champs, qui sont plus champs maintenant, là, en dessous du village, c’étaient tout des champs, là en haut sur le coteau, c’était tout des champs et des jardins. Alors il y avait beaucoup de travail pour faire tout ça, on peinait beaucoup, mais on avait au moins la réserve pour l’hiver. Je me rappelle quand Maman disait des fois : « Dire qu’on fait tout ça rien que pour manger l’hiver. » C’était pour vivre quoi. »
Est-ce que certains aliments manquaient ?
« Quand on avait déjà la viande, le lait, les légumes. Bon c’est sûr, il y a de ceux qui avaient plus que d’autres parce qu’ils avaient beaucoup plus de terrains. Il y avait comme on dit les plus riches et les plus pauvres. Où il y avait des grandes familles peut-être, car c’est vrai qu’il y avait beaucoup plus de grandes familles que maintenant en ce moment-là aussi. Peut-être bien qu’il fallait serrer un peu plus, mais ils arrivaient quand même. »
Tes deux parents étaient-ils paysans ?
« Oui, bien sûr, au village il n’y avait rien d’autre, à part ceux qui ont commencé déjà à partir, déjà pendant la guerre, comme les prêtres qui partaient faire des études ou comme les instituteurs. Les gens plus aisés, ils pouvaient aussi. Je me rappelle quand Maman disait : « A Beuson, c’est le village de la commune où il y a le plus d’ânes et le plus d’instituteurs. » Je ne sais pas pourquoi mais je pense qu’ils avaient plus de facilité que d’autres déjà pour apprendre. Eux ils avaient des ânes, mais je me rappelle que Maman disait que ça servait à rien. Ici, on avait des mulets et ceux qui n’avaient pas assez de sous, ils le partageaient entre trois familles. Pendant la guerre, certains commençaient à faire des études ou à faire des apprentissages. D’autres passaient un hiver à Châteauneuf, car ça rendait bien service pour travailler l’agriculture, parce que c’était une école spéciale pour ça. […]
Les vêtements n’étaient pas rationnés. Mais il y avait beaucoup moins. Il fallait économiser pour tout, parce que je me rappelle, il a commencé à passer ces voyageurs qui faisaient du porte à porte et ils trompaient souvent les gens. On pouvait se faire rouler, car après les gens profitaient de rouler ceux qu’ils pouvaient. Je me rappelle qu’un de Beuson s’était fait rouler avec ce voyageur qui lui avait vendu du tissu. Je me rappelle qu’on mettait de côté des « pattes » tellement que les vêtements qu’on mettait ils étaient usés et raccomodés. Il y avait des pièces aux fesses, aux genoux. Mais ça, il ne fallait encore pas jeter, car il y avait un qui venait depuis Sion, on l’appelait « le pati ». C’est « les pattes » en patois. Il montait depuis Sion avec sa femme avec une hotte pleine de vaisselle et puis il pesait et on échangeait les habits contre une tasse ou un pot à lait. Tu vois comme tout était calculé. »
Cela se passait pendant la guerre ?
« Oui pendant et encore après. Quand on avait une casserole percée, c’était le « magnin » qui montait et puis il bouchait les trous. Un bidon de lait percé, il fallait jamais jeter. Tu vois comme tout était calculé. Les containers n’existaient pas. Nous les vêtements, on faisait tout nous-mêmes. On tricotait, on faisait les chaussettes et il fallait surtout pas les jeter quand il y avait un trou. On a connu la vie dure, mais c’était peut-être pas un mal. On a peut-être appris mieux la valeur de l’argent, de tout. Mais après avoir connu la vie de maintenant, on pourrait pas revenir. » […]
Vous aviez du bétail ?
« On avait des vaches à lait surtout, car c’était celles qui avaient le rendement pour le fromage. Ceux qui étaient plus aisés, ils faisaient du lait toute l’année avec une vache qu’ils gardaient au village. Nous on pouvait pas, alors on avait des chèvres, c’était la vache du pauvre. On avait aussi des poules. Toutes les années, en automne, on faisait la boucherie. On tuait un cochon et certains avaient une vache ou ils se mettaient à deux. Mais on pouvait pas congeler la viande, alors on faisait sécher au « galetas ». »
Aviez-vous assez de bêtes ?
« Oui, il n’y avait pas de contingent pour ça. Mais les mulets étaient mobilisés, sauf les estropiés et les vieux. Alors il fallait faire encore le travail du mulet en plus. » […]
Beaucoup de gens ont été mobilisés au village ?
« Oh tous. Alors tu vois, ça faisait beaucoup de travail pour les femmes qui restaient. Je crois qu’ils avaient même pas deux francs. C’était un supplément de travail pour tout. »
Ton papa a-t-il été mobilisé ?
« Oui, mais il était complémentaire. Je sais pas comment on dit aujourd’hui. Il ne s’occupait pas de surveiller les frontières, mais il allait aider les grands agriculteurs de la plaine qui n’arrivaient pas à donner le tour. Il avait été réformé. Maintenant, ça s’appelle le service civil. Mais il devait rester le temps qu’ils avaient besoin, qu’on ait besoin de lui à la maison ou non. »
C’était donc dur pour les femmes au foyer ?
« Oui, c’est sûr. Je me rappelle quand je revenais de l’école et Maman me disait : « Va vite chercher du bois, il y a plus assez pour faire le souper. ». Et puis on allait laver le linge à la fontaine, mais on n’avait pas le droit de laver le linge à la fontaine du village, parce que le bétail buvait pas quand il y avait du savon. Alors on devait aller tout au fond du village et c’était rigolo de se retrouver à plusieurs là-bas. Mais parfois, en hiver, quand on revenait du bassin et qu’il faisait tellement froid, on avait les habits gelés sur nous. »
Etait-ce dur pour se chauffer en hiver ?
« Ah oui, ça c’était dur, c’est vrai. Et puis on n’avait pas les duvets nordiques et tout ce qu’on a maintenant. Les draps, ils faisaient mêmes avec le chanvre, mais c’était rêche, c’était froid ces machins. Les matelas, c’était des paillasses. »
Aviez-vous assez de bois ?
« Oh ben il fallait faire des réserves. Parfois, on avait du bois vert, alors ça brûlait encore mal. Des fois, on allait à la foire chercher le bois avec le mulet, parce que c’était moins loin que d’aller chercher à la forêt. »
Les enfants allaient-ils plus aux champs qu’à l’école ?
« Ça commençait le premier novembre et ça finissait la fin avril et ils avaient congé seulement le jeudi après-midi. Alors ils devaient aller aider à la vigne ou à sortir les patates quand ils avaient congé. […] Les mères au foyer, elles avaient ni leur mari et parfois ni leurs enfants. Alors elles étaient pas toujours au foyer. Elles devaient aller travailler aux champs et s’occuper des enfants. C’est pourquoi les aînés allaient aider très jeunes les parents. Pour les mamans, la vie n’était pas facile. »
Avez-vous senti des changements avec le plan Wahlen ?
« Oui. Il nous a sortis du pétrin. Déjà avec les fraises. Il y avait jusqu’à trois camions qui partaient de Veysonnaz. Ça a donc aidé les gens à pouvoir s’en sortir un peu plus. Après, il y a eu la framboise. »
Quel a été l’accueil du plan Wahlen dans le village ?
« Je crois que ça a surtout été mal compris. C’est seulement après qu’on se rend compte de ce qui a été fait. Mais c’est sûr qu’il faut reconnaître que ça aurait dû être fait avant. » […]
A-t-il eu des conséquences réelles dans le village ?
« Oh oui, je pense. C’est vrai qu’il y avait plus de sous. La vie était plus facile. »
Les cultures ont-elles réellement augmenté ?
« Non, je ne pense pas vraiment à Veysonnaz. Mais par exemple, le premier tracteur, c’est en même temps que l’introduction du plan Wahlen, en 1940 là, qu’il est arrivé. Ça a donc quand même facilité les choses. Et puis il y avait plus de travail. » […]
Alliez-vous faire des échanges avec les gens de la plaine ?
« Ben c’est comme ça qu’on a les vignes. Ils avaient pas de paille. Alors ils échangeaient des mètres de vignes contre la paille. C’est pour ça qu’on a des petits carrés de vigne un peu partout. C’était par rapport à ce que les gens amenaient en bas. Mais ça c’était dans tout le Valais, c’était pas seulement ici. Les Bagnards, par exemple, ils ont du côté de Fully. Ceux d’Hérémence, ils ont par Sion. Les vignes, il n’y avait pas ailleurs que sur la rive droite. Heureusement que maintenant ils ont déboisé. Mais ce commerce, c’était déjà pendant la guerre de 14. La plaine, c’était des marais en ce temps alors ils avaient besoin de beaucoup de choses. Mais pendant la Deuxième Guerre mondiale, je crois pas qu’il y a eu des échanges. » […]
Aviez-vous des moyens de gagner de l’argent ?
« Non pas vraiment. Bon, ceux qui avaient plus de terrains, ils avaient plus de bétail et alors là, ils pouvaient vendre ce bétail dans les foires à Sion. Je me rappelle que Maman gardait toujours une truie pour faire faire les petits et pour vendre les petits. Celui qui pouvait vendre une ou deux vaches en automne, alors il avait assez d’argent pour l’hiver. Avant l’hiver, tout le monde faisait la boucherie et on encavait une quantité de légumes. » […]
Je crois qu’il y avait des aides pour aider les femmes à s’en sortir, non ?
« Ah je crois que c’est venu plus tard. Mais je sais que Maman racontait qu’elles descendaient depuis Veysonnaz à l’école normale où elles avaient des cours pour enseigner aux autres. De mon temps, c’était les travaux manuels qui étaient importants. On n’avait pas la géo comme les garçons. »
- Identification
Nom : Fournier
Prénom : Geneviève
Date de naissance : 1925
Elle vivait avec ses parents pendant la guerre et était l’aînée de trois enfants.
- Déroulement de l’interview
Pendant la guerre vous aidiez aux champs ?
« Oh oui, c’est sûr. Je travaillais à la campagne et ça donnait beaucoup de travail. On allait travailler à la campagne, travailler les vignes en bas à Vétroz. On n’avait pas beaucoup de loisirs. On s’occupait du bétail, de la campagne, tout, il fallait encore aller chercher le bois dans la forêt. On n’avait pas de cuisinière. »
Le travail était-il dur ?
« Oh oui c’est sûr, on devait travailler beaucoup parce que les hommes étaient aux militaires. Il fallait avoir la nourriture pour l’hiver, faire des réserves pour tout l’hiver et puis manger tous les jours. On n’avait pas les légumes qui venaient depuis dehors. Il fallait avoir son nécessaire même. On avait beaucoup de champs. »
Votre papa a-t-il été mobilisé ?
« Non, papa, non, il a pas été mobilisé. On a laissé partir le mulet. Il est resté plus que quatre ans loin le mulet alors il fallait tout porter le foin sur le dos. Des fois, quand c’était plus loin, on avait le mulet des autres, les mulets qui sont pas partis, les mulets plus vieux. Ils sont pas partis alors on pouvait s’arranger. On allait aider à travailler aux gens pour laisser donner le mulet. Il fallait encore aider aux autres pour avoir le mulet. »
Toute la famille devait aider ?
« Je devais m’occuper des vaches, remonter la marchandise avec le mulet, faire les foins, tout. »
Comment est-ce que vous vous nourrissiez pendant la guerre ?
« On se nourrissait de produits à nous. On avait beaucoup de champs tu vois, on plantait toutes sortes de légumes. On plantait des haricots, des carottes, des choux. Pour l’hiver, on mangeait des choux, des choux-raves. On tuait un taureau. On faisait la boucherie. Ceux qui avaient moins de campagne, ils pouvaient acheter un peu, mais ceux qui avaient plus, ils ne pouvaient pas. »
Ça c’était avec les coupons de rationnement ? Ce que vous aviez, ils ne donnaient pas sur les coupons ?
« Ah rien, ils donnaient rien. »
Donc vous receviez quoi ? Du sucre ?
« Le sucre, et puis un peu de polente, du pain, ils donnaient un peu, pas beaucoup, parce qu’on avait des champs, on pouvait faire le blé mêmes pour faire le pain. On allait en bas à Beuson. Là-bas, il y avait le moulin, le four pour faire le pain. »
Vous aviez des difficultés pour vous nourrir ?
« Ah non non, on avait assez à manger. Tu vois quand on avait les cochons, les moutons, tout. »
Avez-vous ressenti une différence avec l’avant-guerre ?
« On a ressenti une différence, car on pouvait moins acheter. Tu vois, avant la guerre on achetait plus. Il fallait un peu se tenir. »
C’était difficile pour les femmes au foyer ?
« Mon papa s’occupait des champs. Il était un peu âgé, alors il a pas été pris pour la mobilisation. Tu vois, 39-45, le père à nous, il est mort en 56. Alors il travaillait encore beaucoup, à la campagne, les vignes. »
Vous aviez des vignes ?
« On avait les vignes à Vétroz, mais c’était tout à pied. On menait en haut le vin et les bosses avec le mulet. Tu vois, ça c’est une jolie antiquité, quand tu trouves les bosses, les machins en cuir que tu mettais sur le mulet. »
Tous les enfants descendaient ?
« Oui, moi je me souviens la première fois que je suis descendue, j’avais 7ans. Moi j’allais que pour les vendanges. Et puis on avait le mulet, mais pour descendre, on pouvait pas tant monter sur le mulet alors depuis Aproz en là à Vétroz, on pouvait monter. Mais pour monter après quand on avait la charge des vendanges, on pouvait pas tant monter sur le mulet alors tu vois depuis Vétroz en là à Clèbes à pied et à sept ans en plus. Oui, je dis aux jeunes maintenant : « Si vous aviez fait comme ça… Il faudrait apprendre à travailler la campagne. » Ah bon dieu c’est ça que j ai peur. »
Vous aviez des bêtes ?
« Oui, tu vois, on avait assez de fromage, on faisait des tommes. On avait tous des vaches ici en haut à Clèbes et Veysonne. Ils ne laissaient pas pousser les arbres dans les prés. Il fallait pas laisser pousser le bois pour avoir du foin pour les vaches. C’était tout « putzé ». »
Vous aviez aussi des chèvres, des cochons ?
« Oh oui des chèvres, on avait. les vaches l’été, on les mettait en haut à la montagne et les chèvres, on gardait dans les « communa ». Les gamins allaient garder les chèvres matin et soir. »
A quoi elles vous servaient ces chèvres ?
« Pour le lait, pour ce qu’on avait besoin l’été parce que les vaches étaient en haut. On n’achetait pas le lait. C’était pas rien que pendant la guerre, avant aussi. Mais alors pendant la guerre on était un peu plus serrés. »
Mais vous avez quand même senti une différence ?
« Oui, c’est sûr, on a senti une différence. »
Pour se nourrir ?
« Pour se nourrir, tu vois, ceux qui avaient pas. »
Il y avait des familles qui avaient plus de peine ?
« Oui, il y avait ceux qui avaient plus de peine. Mais certains avaient quand même en plus. Il fallait pas jeter la marchandise, il fallait faire des réserves et il fallait donner à ceux qui avaient pas. Il fallait savoir se partager. Le monde était plus généreux, on s’arrangeait. »
Les gens au village étaient tous paysans ?
« Oui, ils étaient tous paysans. Il n’y avait pas de travail, rien à gagner, un peu avec les vignes. C’est ça, les sous étaient rares et si on avait du travail, ils payaient pas beaucoup, 7 francs pour la journée. On partait en bas à Vétroz et on restait là-bas, on avait le « mazot ». On restait en bas toute la semaine, on remontait le samedi soir. On repartait en bas le lundi matin. On prenait en bas un bout de tomme et puis on dormait tous ensemble dans le « mazot ». » (rires)
C’était vos vignes ?
« Des fois c’était les nôtres mais s’il y avait quelqu’un qui demandait, alors on allait travailler pour ces grands propriétaires de Vétroz. Ils nous payaient pas beaucoup, la vie était moins chère aussi. C’est sûr que c’était pas comme maintenant, où il faut payer les impôts. Mais on arrivait quand même à tourner.
On n’avait pas envie de courir encore le dimanche, quand on avait travaillé toute la semaine, on était contents de se reposer le dimanche. Non mais c’était dur, mais on n’a quand même pas eu la guerre tu vois. Oh bonté ! Quand il fallait tout cacher les fenêtres, pas laisser voir depuis dehors. Et puis quand on a entendu arriver ces gros bombardiers. »
Ils passaient ici ?
« Oh ben c’était les Allemands, pour aller bombarder en Italie. Nous ici, on n’entendait pas éclater les bombes, mais ceux qui étaient près de la frontière, il entendaient éclater les bombes en Italie. C’était ennuyeux quand on entendait arriver ces avions. »
Ça faisait peur ?
« Oh bonté, tu sais pas le bruit qu’ils faisaient ces avions. On était quand même contents de pas avoir la guerre. C’est sûr qu’on a passé rude. Un est tombé à Thyon, il était déjà en flammes quand il est arrivé, il a laissé tomber une bombe en bas sur Vevey. Il pouvait plus aller et l’autre bombe ils ont lâchée sur Hérémence. Arrivé à Thyon, il a touché les fils électriques. »
Sinon comment ça se passait pour le rationnement ? Qui distribuait les tickets ?
« C’était les employés de la commune, ils distribuaient dans tous les villages. Ils venaient à la maison d’école et puis on allait chercher les cartes là. Là c’était tout écrit ce qu’on avait besoin. C’était tout préparé avant. »
Etait-ce équitable ?
« Oh oui, c’était déjà prêt là. Ils y en avaient qui vendaient les tickets mais si on était chopé, alors tu payais cher. Tu pouvais pas livrer les tickets à d’autres. Il y avait quand même ceux qui faisaient de la contrebande. »
Il y avait de la contrebande à Veysonnaz ?
« Oui, quand il y avait sur les tickets des bons auxquels on n’avait pas droit : les légumineuses, la viande. Mais si tu te faisais choper à vendre une tomme, tu payais cher la tomme. Ils surveillaient ça. »
Mais les gens surveillaient réellement ?
« Oh oui, une fois, il y avait une de Clèbes qui est descendue pour vendre une tomme. Celle du magasin elle a dit, tu laisses la tomme là, tu la caches mais s’il faut payer je téléphone aux flics maintenant. La tomme est restée là. Ma foi, on avait quand même envie d’aller vendre. »
Ceux qui n’avaient pas assez en plaine faisaient-ils des échanges avec ceux de la montagne ?
« Oui, il y a bien eu de ça, ceux qui faisaient des échanges. Mais il fallait pas se faire choper. »
Les coupons vous permettaient-ils toujours de vous nourrir suffisamment ?
« Oui, oui, on avait assez. »
Vous avez senti des différences avec le plan Wahlen au village ?
« Non, non, je te dis, on avait tout planté ici ce qu’on avait besoin. On avait tout ce qu’il fallait. »
Mais vous y avez participé quand-même ?
« Ah oui, pendant la guerre, ils donnaient des subsides. T’avais le droit d’aller chercher du blé à la commune. Ils faisaient venir du blé. On payait moins cher à la commune pour planter. Je me souviens qu’on allait chercher. Mais ils donnaient pas plus que tant. Comme ça, on pouvait garder le nôtre pour utiliser ce qu’on avait besoin. On avait toutes sortes de blé. On plantait du seigle pour faire le pain, de l’orge pour nourrir les cochons, du froment pour la farine à nous et puis de l’avoine pour donner à manger aux vaches. On faisait fouler au moulin l’orge, ils enlevaient donc la croûte et on utilisait pour faire la soupe. On se nourrissait beaucoup avec la soupe d’orge en été, c’était bon. On mettait des fèves, des pois, tous les légumes qu’on avait et puis on mettait de l’orge. On se nourrissait de spécialités paysannes. »
Pendant la guerre vous mangiez toujours assez ?
« Oui, oui. On n’avait pas d’argent, même avant la guerre. Il y avait pas à gagner, l’argent était rare. Si on pouvait vendre une vache en automne, on passait bien l’hiver, rien qu’avec une vache. Il fallait vendre une vache pour passer l’hiver. »
Vous arriviez facilement à vendre cette vache ?
« Oui, oui, c’est sûr. »
Vous faisiez tous la boucherie aussi ?
« Oui, on gardait toujours un taureau pour tuer en hiver et puis encore les cochons. On avait tous un ou deux cochons. Ça coûtait pas cher. On le nourrissait de feuilles, de légumes, de feuilles de chou, de son, de farine d’orge, de betteraves et là le cochon, il devenait beau. En été, on mettait aussi les cochons en haut à la montagne pour les laisser courir, manger l’herbe. Mais c’est sûr qu’il fallait travailler. »
C’est ça qui changeait en fait, vous aviez une grande quantité de travail.
« Oui, c’est sûr. Il fallait entretenir la campagne, il fallait arroser sans arrêt. C’était tout limité les heures pour le bisse. On avait tant d’heures chacun. »
Et puis vous deviez aller aux champs ?
« Au printemps, direct quand était partie la neige. Même les enfants, quand ils sortaient de l’école, vite prendre un bout de pain et puis aller outre sortir les moutons. »
Etait-ce dur pour les familles dont les maris étaient mobilisés ?
« Ces familles s’arrangeaient avec la parenté, la famille. Ils ne laissaient pas planter une femme seule avec ses enfants. On travaillait ensemble, on se communiquait, « communa » en patois. »
Pendant l’hiver, la vie était-elle plus dure ?
« Il fallait aller chercher du bois dans la forêt, il fallait couper le bois et puis après mener en bas jusqu’à Trois-Torrents et puis avec le mulet, il fallait traîner le « godillon ». Après ça il fallait scier, couper et puis laisser sécher deux trois jours. Et le soir, il fallait gouverner les vaches. On avait les vaches partout. On avait tous une grange. » […]
Pour vous chauffer l’hiver, vous aviez assez de bois ?
« Il fallait aller chercher. Il fallait aller couper à mesure. »
Vous étiez des travailleurs.
« C’est sûr. Ça a toujours été comme ça, mais pendant la guerre, avec la mobilisation, c’était plus pénible. C’était tout sur le dos de ceux qui devaient rester là. »
C’est à cette période que la culture des fraises a commencé ?
« Oui, c’était juste après la guerre. Ça a beaucoup aidé les fraises, car les fraises de montagne, elles étaient bien appréciées. Mais c’était pénible la cueillette. Tu vois, tu pouvais pas mettre sur le mulet ça, parce que ça secouait trop. Mais c’est sûr que ça a beaucoup aidé. Et après sont arrivées les framboises. Mais dès qu’ils ont commencé à faire venir depuis les pays extérieurs, les gens achetaient moins. Les fraises, on a beaucoup cultivées. Tous les champs que tu vois là en bas, c’était tout des fraises. Trois camions qui venaient en haut pour chercher les fraises. Mais bon, ça s’est vite arrêté. Mais quand une chose marche bien, c’est toujours comme ça, encore maintenant. […]
Ils sont venus les réfugiés qui ont pu s’échapper sur la Suisse. Les Polonais sont venus. Ici, à Nendaz et à Aproz, ils ont fait des baraquements et ils logeaient là. A Veysonnaz et à Clèbes, il y avait pas. Mais tu vois, ils faisaient pas comme maintenant, ces gens, ils travaillaient. Ils les plaçaient dans des endroits où ils défrichaient et ils donnaient tant par jour. Je me souviens bien de ces réfugiés. Quand on allait aux vignes à Vétroz, il y avait un baraquement juste à côté de la route. Ils ont fait à deux endroits en bas à Aproz. Ces pauvres gens, ils nous voyaient passer avec la charge de vendange, le raisin et ils venaient en ça. Ils voulaient manger. »
Vous arriviez à vous fournir des habits ?
« On n’avait pas plein le buffet comme maintenant. On pouvait pas suivre la mode. Il n’y avait sûrement pas de mode en ce temps là. On n’avait pas tant de catalogues. (rires) On devait filer la laine, tricoter tout l’hiver. Il fallait tondre les moutons en automne et au printemps, deux fois par année, faire des maillots pour tous et puis les bas. En hiver, pour aller gouverner les vaches, on mettait des gros bas de laine. On n’avait pas de pantalon, les filles. (rires) Tout le monde avait les moutons pour la laine et puis on en tuait en automne pour la viande. » […]
Pendant la guerre, vous deviez plus tuer de bêtes ?
« Oh oui, on tuait plus.
Avec la faucille, par exemple on devait faire les champs. On coupait tout et puis on laissait sécher dans les granges. C’était le foin pour les moutons.
Les souliers, on faisait faire au cordonnier. Pour le cuir, on faisait tanner la peau du taureau. Ah là, on laissait rien perdre, on trouvait une utilité pour tout. » […]
Vous n’aviez pas beaucoup de loisirs ?
« Si, si, on allait jouer aux cartes, on faisait des longues veillées, on tapait aux cartes. »
Mais il y a des jours où c’était plus dur ?
« Ah ben c’était comme ça. Mais on n’a pas eu de massacre. On vivait toujours dans la peur. On avait toujours peur qu’ils envahissent, car tous les pays autour étaient en guerre. » […]
Vous entendiez Hitler à la radio ?
« Ah oui, on entendait partout, on voyait partout la croix gammée. Cette croix, elle était mauvaise, contre la religion. » […]
- Identification
Nom : Praz
Prénom : Henri
Date de naissance : 9 juillet 1919
Il vivait chez ses parents pendant la guerre. Il a été mobilisé en 1939 et en 1942, il a été embauché dans une entreprise fédérale et est parti travailler à Saint-Maurice dans les forts.
- Déroulement de l’interview
Quand tu vivais chez tes parents, quelle était ton activité principale ?
« On travaillait avec le père à la campagne, et puis quand on trouvait un chantier où on pouvait aller pour se faire 2 ou 3 sous et bien on allait. La campagne, c’était la vie des gens par là. Il fallait faire le lait, le fromage, on faisait la boucherie en automne, on séchait la viande, on mettait au galetas, tout ça. Autrement moi j’ai travaillé à Chippis, à l’usine, quelques temps là-haut. Mais alors là, c’était pas intéressant. Pour faire huit heures de boulot, il fallait être douze heures loin de la maison. Il fallait aller prendre le car à 4 heures et demie à Beuson pour commencer à 6 heures là-haut et pour être en bas à 4 heures et demie à Beuson, il fallait partir à 4 heures depuis Clèbes. Et puis pour revenir, c’était de nouveau la même chose. On calculait qu’il fallait douze heures entre les transports et les huit heures de boulot. »
C’était quoi comme usine à Chippis ?
« C’était une usine d’aluminium, ils fabriquaient l’aluminium. Entre parenthèses, ils fabriquaient beaucoup pour les Allemands aussi, pour avoir un peu de boulot, ils… Mais enfin. Nous, on n’avait rien le droit de dire. Mais c’était quand même douze heures loin de la maison, et puis arrivé le soir, tu pouvais encore pas faire ce que tu voulais. Et puis quand on était dans l’équipe de nuit. Mais là, la journée, on était libres, on commençait à dix heures le soir. Mais moi j’ai peiné la nuit là-haut, c’était pénible. Le sommeil, c’est quelque chose d’affreux. Ça allait bien jusqu’à 3 heures et demie, 4 heures le matin, mais là, il fallait savoir se cramponner. T’avais beau aller aux toilettes, mais le contremaître, il voyait bien que t’étais loin, il contrôlait. »
En quelle année as-tu commencé à travailler là ?
« En 41. »
Est-ce que vous gagniez bien ?
« Je peux pas te dire. Non, non, c’était minime. Les chantiers, c’était 60 centimes de l’heure, mais comme on faisait huit heures, alors on touchait un peu plus. Mais le problème, c’est que c’était loin pour nous. Il fallait descendre à pied et aussi remonter tard le soir. Mais on n’avait pas tant de choix et on était déjà contents de trouver quelque chose. Autrement, moi j’allais beaucoup travailler aux vignes. »
C’était les vôtres ?
« En même temps, on piochait les nôtres, mais notre but, c’était d’aller piocher celles des « môchieurs », de celui qui travaillait pas. Alors on passait toute la semaine à Vétroz, on remontait seulement le samedi et on redescendait le dimanche soir avec un peu de ravitaillement. Bon là-bas, on avait tous une baraque. Mais on était une dizaine ensemble et puis on faisait la soupe et tout ça. Et l’été, on allait attacher les vignes de ceux qui avaient beaucoup de vignes et qui ne travaillaient pas. 10 ans j’avais la première fois que j’ai été en bas, 100 sous par jour (= 5 francs). Un moment donné, on allait jusqu’à Chamoson pour piocher les vignes, 4 francs par jour. Mais là, on était nourris et logés. »
Sinon pendant la guerre, tu travaillais à la campagne ?
« Oui, la vigne. Et l’hiver, on coupait beaucoup de bois. Il y avait de ceux qui engageaient des gens pour couper le bois. On allait jusqu’aux Mayens-de-Sion et on faisait des flottes de bois. »
C’était facile à cette époque de gagner de l’argent ?
« Oh facile, il fallait travailler. Quand il faisait très froid, il fallait quand même aller, on mettait les passe-montagnes. Il fallait bien s’habiller. Une année, on a travaillé entre Siviez, Novelli, Tortins, on a commencé à la fin octobre et on a fini le jour de la Sainte-Agathe, c’est le 5 février. Mais on a tiré en bas le bois depuis tout en haut le sommet de la montagne et on a chargé sur les mulets jusqu’en bas à Beuson, 400 mètres cubes de bois, t’imagines le tas que ça fait. Mais je me souviens qu’on était au fond de Combatseline et il faisait moins 21. Mais tu sais quand tu travailles le bois, tu sens plus le froid. Mais là je sais plus combien on était payés. En principe ils payaient tout à la fois. »
Etait-ce pendant la guerre ?
« Oui, juste avant que je travaille aux fortifications. »
Y avait-il du travail au village ?
« Non, il n’y avait pas de travail au village. »
Combien avais-tu de frères et sœurs ?
« On était quatre frangins et quatre frangines, on était huit. »
Tout le monde aidait les parents ?
« Oui, mais moi j’étais quand même le deuxième. Alors moi j’ai peut-être un peu loupé mon adolescence, car j’ai dû aider les parents, j’ai dû aider le père, car ma mère est décédée, j’avais quatorze ans. Le dernier des frangins avait neuf mois, alors moi j’ai dû me sacrifier pour aider le père avec la frangine. Elle, elle remplaçait un peu la mère. C’est pour ça que j’aurais peut-être fait des études, car j’étais pas mal à l’école, je suis longtemps resté le premier de classe. Mais le père il avait déjà prévu, il voulait m’envoyer pour faire le collège. Lui il avait idée de capucin. Mais bon, c’est pas plus mal, comme quoi il y a quand même une petite destinée. »
Mais ton papa était un paysan ?
« Oui, un paysan, il allait en bas aux vignes. Pour ce que je connais ici, tous les hommes étaient paysans, ils allaient travailler en bas aux vignes. C’étaient les femmes qui gouvernaient le bétail. »
Donc tes sœurs faisaient ce travail ?
« Oui, ma sœur aînée. »
Etait-ce dur ?
« Oh oui, là, ça a été les années les plus dures. Il n’y avait rien à gagner. Après j’ai voulu faire un apprentissage, mais j’ai pas trouvé dans tout le Valais romand, soit maçon, soit menuisier, soit électricien, j’ai pas trouvé de place. Mais alors après, j’ai encore eu du bol, j’ai été pris dans les fortifications comme téléphoniste, électricien. J’ai tout passé mon examen. Parce qu’il y avait un article qui disait qu’après cinq ans de pratique, tu fais les cours professionnels et ça compte comme un apprentissage. »
Mais pas tout le monde trouvait du travail ?
« Non, pas tout le monde. Mais il n’y avait pas de chômage. (rires) Il n’y avait pas de caisse chômage. On n’avait pas de travail, on avait rien. Et finie la guerre, la vie est repartie en hausse, il fallait tout reconstruire ces pays qui avaient été dévastés, il fallait refouler du matériel, alors après est venue la haute conjoncture. C’est venu d’un coup cher et puis on n’avait rien pu économiser, puisqu’il n’y avait pas moyen d’économiser. Il y avait pas, il y avait pas. »
Oui, car vous ne gagniez pas d’argent, donc c’était impossible d’économiser.
« Mais bien sûr. Après, on a commencé à gagner un peu dans les forts mais ma foi, il fallait tout donner à la famille. La mère était décédée, et puis j’étais le premier quoi, la frangine elle faisait le ménage. Il fallait donner pour pouvoir se nourrir. »
Avez-vous ressenti des différences dans votre agriculture ?
« Ici c’est venu les fraises, alors ils se faisaient des ronds avec les fraises. »
Avez-vous participé au plan Wahlen ?
« Le plan Wahlen, on a tous dû participer, on devait avoir tant de mètres carrés de patates, tant de terres et tout ça. En bas par la plaine, il y a les Polonais qui sont venus défricher, planter les pommes de terre, au moins avoir assez de pommes de terre. Qu’est ce que tu veux, il n’y avait pas de marchandises, tout était rationné. La polente, il n’y avait plus de vraie polente, il y avait un espèce de mélange de patates et de polente. Et puis avec le rationnement, on n’avait pas le droit à plus que tant. »
Vous n’aviez pas grand-chose avec le rationnement.
« Je me souviens pas, je peux pas dire un chiffre. Je sais que c’était très peu. Suivant quoi ça allait, mais comme le sucre, c’était très peu le sucre. Le sucre, la farine. »
Qu’est-ce qui était rationné ?
« Tout était rationné. Il fallait tout avoir avec la carte. Et puis le pain, on n’avait pas droit pendant 48 heures parce que des gens mangeaient moins. Alors il y avait le slogan écrit sur les boulangeries : « Du pain dur, c’est dur, mais point de pain, c’est encore plus dur. » Mais bon là, le pain blanc, ça existait pas. C’était tout du pain bis. Mais il était moins bon que celui qu’ils font maintenant. Alors nous dans les forts, on avait deux boulangeries et moi j’étais copain avec le boulanger d’une. Alors quand je rentrais le samedi, il me refilait une miche de pain blanc, parce qu’il faisait le pain pour l’armée, pour les soldats qui étaient mobilisés. Ils gagnaient 60 centimes par jour, chaque dix jours, 6 francs. »
En quelle année as-tu commencé l’école de recrue ?
« En 39, la mobilisation, mais dans les forts, seulement en 42. Quand j’ai eu fini l’école de recrue, j’ai dû rejoindre mon unité, une à Bussigny, une à Moltigen. On était convoqués partout, il fallait faire au minimum un mois par année. C’est pour ça qu’après un copain nous a embranchés dans les forts, car on avait fait la demande pour entrer dans les forts. Comme ça après, on était tranquilles, on avait réussi. »
Par rapport au plan Wahlen, les cultures ont quand même augmenté ?
« Oh oui. »
Aussi à Clèbes ?
« Non, pas à Clèbes. Chaque ménage avait assez, chaque ménage se débrouillait pour avoir ces mètres carrés de pommes de terre qu’ils réclamaient ou de légumes autrement aussi. Mais ceux qui ont fait le plan Wahlen, c’était pour l’ensemble de la Suisse, pour alimenter la confédération en pommes de terre. »
Donc il n’y avait pas vraiment de différence dans le village ?
« Oh non, je crois pas. Et puis où on pouvait gouverner encore un peu, c’était les produits laitiers, on faisait pas tout contrôler, parce que si on avait tant de lait, ils enlevaient sur les cartes. Mais ils pouvaient pas tout le temps contrôler de A à Z le fromage, tout ça. Alors on déclarait les vaches, mais on n’était pas obligés de déclarer au litre près le lait qu’elles avaient. On réussissait à faire une tomme ou deux de plus, ça aidait toujours. On pouvait faire beaucoup moins de fromage et puis alors on faisait plus de beurre. On avait le beurre pour les besoins de la maison. Et puis alors à la boucherie, on tuait un « mozon », un cochon, un mouton, je crois que tout le monde avait des moutons. »
Tout le monde avait du bétail ?
« Oui, tout le monde, mais ce qui comptait, c’était les vaches. Si t’avais assez de vaches, tu faisais beaucoup plus d’élevages et les élevages étaient pas contrôlés de A à Z. Parfois tu pouvais avoir un « mozon » de plus pour tuer. Mais ma foi, il y avait quand même certaines choses qui manquaient. Et nous on avait encore la chance, car dans les forts, on pouvait acheter des marchandises : le chocolat, le café, je crois pas le sucre. Alors ils nous donnaient la moitié plus. On avait le droit à un kilo de café et on pouvait prendre deux kilos, car chaque troupe mobilisée touchait au magasin tant de ceci et tant de cela, comme ça ils renouvelaient les stocks, ce qui était vieux, ils donnaient à la troupe. Ils arrangeaient ça. Ils enlevaient un peu à la troupe et ils donnaient aux employés. Moi je me souviens que si je commandais un kilo de chocolat, j’avais deux kilos. Donc il fallait payer, mais en quantité, on pouvait avoir plus. J’avais même une tante qui me donnait en bas de l’argent, comme ça je prenais pour elle aussi, la mère à Lydia Glassey, ah ben t’es allée aujourd’hui chez elle. Sa mère est une sœur à ma mère. On est premiers cousins avec Lydia. »
Y avait-il des échanges dans le village ?
« Oh ben j’ai pas aperçu, mais je suis sûr que toi si t’avais trop de tickets et puis un qui n’avait pas assez… Ça, ça se sera bien passé, obligatoirement. A la fin du mois, il fallait avoir le compte. « Jean di tickieu », il distribuait les tickets. On était cinq, dix en famille, on avait droit à tant. »
Vous aviez assez à manger avec les denrées prévues sur les tickets ?
« Oh ben c’était quand même plus dur, il fallait savoir être économe. Il ne fallait pas gaspiller. »
Vous deviez faire des réserves ?
« Ça c’était avant, car les magasins donnaient plus sans ticket. »
Avez-vous pu faire des réserves ?
« Il y en a qui ont fait, d’autres ont pas fait. Il fallait quand même suivre les directives des ravitailleurs. Eux ils sentaient qu’avec la guerre, on pourrait pas avoir. Il fallait faire des réserves de sucre par exemple. Mais il fallait pas faire des réserves de n’importe quoi, il fallait faire de choses qui se conservaient. La farine, je pense pas que tu pouvais faire des tas de réserves. Là, ça a sûrement été que ceux qui avaient des sous pouvaient faire plus que d’autres. Je me souviens que la polente, on a acheté 50 kilos d’un coup avant la guerre. Je pense qu’on avait bien 50 kilos avant la guerre. Je me rappelle pas du prix. Je me rappelle qu’on payait la bière 25 centimes. Les croissants étaient 20 centimes. Mais on était mal nourris les mobilisés. On n’avait pas de pain. On touchait 400 grammes de pain par jour. »
Il n’y avait pas assez à manger ?
« Il y avait juste juste et c’était pas bon, c’était maigre. »
C’était pire que quand tu revenais à Clèbes ?
« Oh oui ! Heureusement qu’on pouvait prendre quelque chose à la maison avant de partir, un bout de fromage ou je sais pas quoi. Quand on faisait la boucherie, on prenait un bout de viande séchée. C’était vraiment maigre. Et puis quand t’avais toute la journée l’exercice à fond la caisse. Nous, on était en plein été, au mois de juillet. Et puis c’était la méthode allemande quoi. Alors on avait les tuniques avec le col en haut ici. Ils copiaient les Allemands pour les habits, pour la discipline. » […]
- Identification
Nom : Fournier
Prénom : Alice
Date de naissance : 1920
Elle vivait chez ses parents pendant la guerre et avait trois sœurs.
- Déroulement de l’interview
« Moi je me rappelle pendant la guerre, ils allaient tous là écouter les nouvelles. C’était le président de commune, le seul qui avait la radio au village. Et puis alors on allait souvent tu vois, à neuf heures du matin, c’était bondé dans la maison, dehors devant. On voulait tous savoir ce qu’ils donnaient comme nouvelles, si on avait en Suisse aussi la guerre, parce qu’un moment ils disaient, ils ont été mobilisés quand même, tous les hommes qui étaient militaires et certains sont restés jusqu’à la fin et encore après, ils restaient travailler dans les compléments comme ils disaient. Mais autrement, c’est sûr que c’était dur. Moi je me rappelle, j’allais aux mayens donner aux vaches quand le « totzeu » a sonné, pour annoncer qu’il y avait la guerre. Non, c’était assez sérieux à ce moment-là. On s’attendait à ce qu’il y ait la guerre. »
Vous viviez chez vos parents pendant la guerre ?
« Oui, j’ai toujours vécu ici, mais c’était pas comme ça. A ce moment-là, enfin c’était un peu partout la même chose, il y avait une grande chambre et puis l’hiver, on faisait là-dedans tout. Alors on avait comme un genre de cuisine, une grande cheminée, comme il y avait, qui marchait avec le bois. On n’avait pas ni radiateur, ni rien, on chauffait avec les fourneaux qu’on avait. On n’avait pas isolé, rien. »
Vous alliez chercher le bois ?
« Chercher le bois, oui, ça aussi. L’automne, avec les hottes on partait pour faire les réserves pour l’hiver. On était rien que des filles. »
Combien étiez-vous en famille ?
« On était quatre filles. Et puis on devait gouverner le bétail. »
Quelle était votre activité principale pendant la guerre ?
« Oh ben quand on avait fini l’école, on savait qu’on était obligés de faire les foins, et tout et sortir les pommes de terre. »
Vous deviez aider aux champs ?
« Oui, oui, bien sûr. A ce moment-là, il n’y avait pas de travail. L’été, on pouvait aller à la vigne. Mais l’hiver, on avait des grandes soirées. »
Pouviez-vous gagner un peu d’argent ?
« Oui, gagner, la vie n’était pas chère non plus. Moi je suis restée chez Angeline, elle avait le bistrot et le magasin en 39. C’était le premier magasin. C’est pas comme à présent. »
Avez-vous senti des différences dans l’agriculture ?
« On cause de ça avec les jeunes des fois, mais ils ne comprennent pas. Avant, c’était tout à coups de pioches, tu vois. Et puis on avait des tas de champs jusqu’à quand les fraises sont venues, là ça a changé, mais c’était seulement après. »
Vous cultiviez un peu de tout ?
« Les légumes, avant, on connaissait pas tout, c’était rien que les choux, les patates, oui, après c’est venu les haricots, les poireaux, mais ça c’est venu beaucoup plus tard. »
Avez-vous participé au plan Wahlen pendant la guerre ? Un plan qui visait à étendre les cultures.
« Ah, ça aura bien été ça quand ils ont planté les fraises. »
Mais pas pendant la guerre ?
« Non. On plantait du blé pour faire le pain et puis pour les vaches. »
Vous aviez du bétail ?
« Oui, c’est sûr qu’on avait, aussi pour faire les boucheries. C’était en automne. On avait ça et puis, on avait les tickets qu’ils donnaient. C’était une fois par mois qu’on pouvait aller chercher chez un particulier. »
Pouviez-vous vous nourrir en suffisance avec les tickets de rationnement ?
« Oh et ben il y a des fois où c’était assez serré. Ceux qui avaient deux ou trois gamins, ça allait bien. Je crois qu’ils donnaient moins quand la famille avait des gamins pas trop petits. »
Avez-vous ressenti des difficultés dans votre famille ?
« Tu sais, on avait presque assez avec les boucheries, un porc et puis un veau d’une année. C’est sûr qu’on n’avait pas de tout. C’est encore après quand on a eu les gamins que c’était encore plus dur. Pendant la guerre, j’étais pas mariée, je me suis mariée en 45. »
Votre papa a-t-il été mobilisé ?
« Non, non, il avait déjà fini. »
C’était toute la famille qui s’occupait des travaux des champs ?
« Ah oui, c’était toute la famille. Oui, c’était pas tout rose. Les unes étaient mariées déjà. Je suis restée à la maison ici depuis que je suis née. »
Est-ce que vous aidiez beaucoup à la maison ?
« Oh bien sûr qu’il fallait aider. Il fallait aider les parents, mais c’était pas comme à présent où les gens deviennent plus âgés, moi j’ai 85 ans, je peux dire. Mais ils étaient encore assez ménagés, papa avait 81, maman 82. Mais ils pouvaient pas travailler grand-chose, alors on restait plus longtemps à la maison. T’as pas connu mes sœurs, une, c’était la femme à Henri Délèze, pas les mêmes que toi, des autres. Hélène qu’elle s’appelait. On allait aider les parents pour tout. Avant, le chemin qui conduit jusqu’au bisse, c’était rempli de bois, alors ils allaient chercher avec la hotte. Mais c’était pas comme à présent. Mais à présent, le bois, il retourne pas mal employé. »
Mais c’était pas très facile pour les femmes au foyer dont les maris étaient mobilisés ?
« Ah ben ma sœur Angèle, elle avait quand même déjà quatre enfants. Elle a eu neuf elle, mais quatre qui sont nés pendant la guerre. »
Avait-elle des difficultés ?
« Bon tu vois, ils étaient payés ceux qui allaient à la mobil’. Ils avaient un peu d’argent. »
Vous aviez des moyens pour gagner de l’argent ?
« Moi quand je suis sortie de l’école, je suis allée travailler chez Angeline quatre ans. C’était elle qui s’occupait du magasin, moi je faisais le ménage en haut. Mais là, c’était encore pas la guerre, c’était quand j’ai fini l’école. Là, j’avais un peu de sous. Mais tu vois, 90 francs qu’on avait par mois à cette époque. C’était comme ça. On allait travailler à la vigne, on avait quatre francs par jour et puis en bas à pied depuis ici à Sion. Ouai, ça a changé ça à présent. C’est combien par heure maintenant ? Ça a bien augmenté. »
Aviez-vous senti une différence dans votre vie avant la guerre et pendant la guerre ?
« Ben tu vois, on sentait quand même, avec les hommes qui partaient. Pas chez moi, mais les beaux-frères, ils sont tous partis faire la mobil’ et tout. Et puis c’est sûr qu’on n’avait pas grand-chose à gagner. On faisait plus s’amuser qu’autre chose, contrairement à vous, vous êtes toujours à l’école encore. »
Vous aviez du temps pour vous amuser ?
« Oh oui, à ce moment-là, on prenait du temps pour s’amuser. On passait de belles soirées. On faisait ces longues veillées, c’était intéressant. Mais ça c’était pas seulement pendant la guerre, c’était aussi avant. Mais il y avait quand même ceux qui étaient mobilisés. Alors ça, ça faisait peur. »
Vous n’avez donc pas vraiment eu faim pendant la guerre ?
« Faim, disons pas, parce que tu vois, on avait beaucoup de blé, alors notre papa allait faire le pain au four à la Golette. Mais on se prêtait, tu vois, il paraît que certains allaient demander. Peut être que ça manque beaucoup, à présent on n’a plus tant de relations comme avant. Si on sait pas aller vers les autres, on reste… »
Vous faisiez des échanges avec ceux qui avaient moins par exemple ?
« Oh oui, souvent ça. On allait comme ça se prêter, le sel, le sucre, ça se faisait ça. »
Mais il n’y avait pas de contrôles ?
« Non, non, il n’y avait pas de contrôles pour ça. Ça, c’était des services. »
Votre souvenir de la guerre n’est donc pas trop dur ?
« Tu vois, ceux qui étaient au service, ils avaient des bonnes paies. En tout cas, ma sœur disait toujours qu’elle avait assez de sous, mais elle avait beaucoup à faire avec ses quatre gamins, il fallait donner aux vaches, il fallait travailler, il fallait faire tout. »
Vous aviez pu faire des réserves ?
« Oh ben avec les tickets, on pouvait acheter pas mal. »
- Identification
Nom : Bex
Prénom : Théophile
Date de naissance : 8 janvier 1925
Il vivait chez ses parents pendant la guerre et était l’aîné de trois enfants.
Sa femme, Céline, née en 1926, a aussi participé à l’interview. Elle vivait également chez ses parents. Chez elle, ils étaient sept enfants.
- Déroulement de l’interview
Quelle était votre activité principale pendant la guerre ?
Théophile : « Il faut admettre que j’ai fini mon école primaire, c’était en 40, au mois de mai. Il faut dire qu’on vivait plus ou moins aux dépens des parents encore. Comme formation, il y avait l’école complémentaire, mais il n’y avait pas vraiment de moyens. Bon j’aurais pu faire éventuellement l’école à Châteauneuf ou encore le collège, mais comme j’étais l’aîné de la famille, c’était difficile de s’absenter et de revenir après. Il fallait rester pour collaborer. »
Vous deviez donc aider aux champs ?
Théophile : « Oui, c’était le travail, c’était la campagne. On avait du bétail, les champs, la culture de céréales, pommes de terre, donc tout ce qu’il fallait pour survivre aux besoins de la famille et du bétail. »
Donc le soir après l’école, vous alliez aider ?
Théophile : « Bien sûr, il fallait donner la main. Il fallait coopérer. »
Ça a été difficile ça pour vous pendant la guerre ?
Théophile : « Donc, pour moi, personnellement pas, malgré que j’étais l’aîné et que j’avais plus de responsabilités que ceux qui ont suivi. Mais pour moi qui étais très discipliné, ça a bien joué, j’ai rien ressenti de négatif. »
Etait-ce tout de même un travail pénible ?
Théophile : « Pénible, oui, ça d’accord, mais il fallait faire à la juste proportion de ce qu’on pouvait faire, du physique qu’on avait et de l’envie de donner un coup de main. Il y avait plus ça, plus que tout le reste. »
Aviez-vous des moyens de gagner de l’argent à cette époque ?
Théophile : « Justement, c’était les moyens qui manquaient. On était plus ou moins en permanence à la campagne. Et puis la première année que j’avais fini mes classes primaires, j’ai gouverné le bétail. Habituellement, c’était le père qui s’occupait, mais là, j’ai repris la relève pour une année et puis après j’ai travaillé avec un nommé Marcelin Fragnière, il était juge, on faisait une coupe de bois dans le bosquet sous le village qui appartenait à la commune. La commune avait délivré ça à ce monsieur pour couper le bois. On faisait du bois d’affouage. Alors on descendait jusqu’à Baar par les moyens de l’époque, les luges, les traîneaux et là-bas, on sciait en stères. J’ai travaillé environ cent jours, mais c’était que la mauvaise saison. Ça a duré depuis le mois de novembre jusqu’au printemps, fin avril, peut-être. Mais il y avait quelque chose à gagner. Ce qu’on gagnait, c’était mince. Je peux pas dire combien c’était précisément, mais autour des 6 francs par jour, rien de plus et huit heures de travail. Bien sûr aucune comparaison avec aujourd’hui, il y a eu l’évolution de l’économie. Alors ça c’était la deuxième année, la première année, j’ai gouverné le bétail, la deuxième année, j’ai fait cette coupe de bois, et puis… »
Vous alliez aux vignes aussi ?
Théophile : « Oui, on travaillait dans les vignes. Alors au printemps, on allait dans les vignes, on allait bêcher la vigne, parce que c’est pas comme aujourd’hui où ils faisaient rien du tout. Aujourd’hui, on ne bêche plus la vigne, mais à l’époque, on bêchait comme un jardin. Oui, on piochait voilà. Voilà, ça c’était le travail, disons quand la bonne saison venait et puis après, c’était les foins, la montée au mayen avec le bétail. On allait avec la mère, le frère et la sœur. Ils étaient petits bien entendu. Oui, on avait huit ans d’écart avec Aloys, lui, il est de 33 et la sœur elle est de 35. »
Vous pouviez gagner de l’argent en allant aux vignes ?
Théophile : « Donc il y avait quelque chose à gagner, soit en automne avec la vendange et puis au printemps quand il fallait préparer le terrain. »
Sinon en automne vous faisiez la boucherie aussi ?
Théophile : « Ah il y avait aussi la boucherie, oui. On avait un porc et puis éventuellement un bovin aussi. Si c’était pas pour nous tout seuls, c’était divisé, on était deux personnes, deux familles, on faisait la boucherie ensemble pour certaines choses. »
Et avec ça, vous arriviez à tourner ?
Théophile : « Ah ben c’était la vie de l’époque. Après, qu’est-ce qu’il s’est passé ? Ah, il faut réfléchir, méditer, creuser. » (rires)
La vie était-elle dure pour vous ?
Céline : « C’était dans les vignes, quelques jours. Autrement comme gagne-pain, on n’avait rien. Moi j’ai fait des fois descendre à Sion à pied, aller jusqu’en dessous de Savièse et pour dix heures de boulot, j’avais 100 sous. C’était pour les vignes. On était boniches et on avait 30 francs par mois. Et puis tu sais, il fallait se lever de bonne heure la matin, on n’avait pas une minute, quand on avait fini avec la cuisine, il fallait « putzer », on était occupés sans arrêt. C’est sûr que la vie était dure, mais on était contents de trouver ça. »
Théophile : « A défaut de mieux. »
Céline : « Il y avait de ceux qui avaient un peu plus de campagne, qui avaient plus. Mais nous, le peu de campagne qu’on avait, on était quand même sept gamins, alors tu vois, c’était pas évident de vivre que là-dessus. On avait de la chance chez nous, c’est que papa il avait le four en là à la Golette et puis les gens du village avaient des champs. On cultivait le blé à ce moment-là et puis on allait le moudre, soit à Beuson, soit à Pravidondaz. La Confédération nous donnait des subsides pour aller moudre le blé. Alors on faisait moudre et c’était le meunier qui nous certifiait le blé qu’on avait. Alors papa, il avait la boulangerie et les gens venaient faire cuir le pain au four, travailler le pain et ensuite cuir le pain. Mais les gens n’avaient pas d’argent, alors pour payer, ils laissaient du pain. Alors tu penses qu’on en avait assez. On en avait au galetas. Mais quand on allait prendre, il était tellement dur qu’on prenait la petite hache pour couper. Et des fois, on passait en haut à la fontaine à la Golette. Juste à côté de la place, il y avait une fontaine, alors on trempait le pain dans la fontaine pour le ramollir et puis souvent tu vois. (rires) On n’avait pas la patience d’attendre, alors on passait directement dans la fontaine. Et puis du point de vue hygiène, il fallait pas trop être… »
Théophile : « On était vaccinés. » (rires)
Céline : « Mais c’est clair, pour jouer, tu trouvais une petite boîte de conserve, une petite bricole, n’importe quoi. Laver, tu te lavais tout à la fontaine. C’était très dur comme vie, mais je crois que dans le fond, quand tu fais le recul, tu te dis que c’était incroyable, rien que pour le bon temps, parce que de l’insouciance, on en avait plus qu’après. Après, ça nous a quand même apporté une perturbation. On peut dire carrément qu’on est passés de la crémaillère à l’informatique. Alors il ne faut pas s’étonner que dans l’informatique, on n’y connaît rien. » (rires)
Quand vous gagniez de l’argent à cette époque, il fallait bien sûr donner à la famille ?
Céline : « Tu gagnais pour toi, mais c’était pas pour toi, c’était pour tout le monde. Tu pouvais pas t’approprier comme ça. La vie était bien différente. Je dis, quelqu’un qui n’a pas fait, il peut pas s’imaginer. Il fallait se bagarrer pour avoir à manger, comme le Tiers-Monde. On ne parlait pas de faire des économies ou de s’acheter des beaux habits. C’était juste le strict nécessaire. On peut pas dire autrement. Nous on dormait sur la paillasse. »
Théophile : « La paillasse, c’était un tissu doublé, avec une ouverture pour pouvoir mettre la paille à l’intérieur. C’était ça le matelas. »
Céline : « Je me rappelle encore des métiers à tisser qu’elles faisaient mes tantes et ma mère. »
Théophile : « Mais ça c’était une autre époque, en 20-25. »
Pendant la guerre, avez-vous senti des différences par rapport à avant ?
Céline : « C'est-à-dire que pour nous pendant la guerre, non on ne peut pas dire. Parce qu’au contraire, il y avait certaines autres choses. Moi je me rappelle, ils nous donnaient des bons pendant la guerre et il y avait certains bons que nous on n’utilisait pas. Alors je me rappelle qu’il y avait un magasin à la place du midi, c’était Coppex, un magasin de tissus. Alors mes parents, ils portaient en bas des choux-raves, des choses comme ça et puis alors des bons, et ces bons ils les vendaient très cher. En échange, ils donnaient autre chose. Nous, on pouvait vendre les tickets de beurre qu’on n’utilisait pas. On était des nombreuses familles, alors on avait beaucoup de cartes. Il y a des gens qui se débrouillaient pas mal, ils faisaient du troc quoi. »
Vous aviez le droit de faire ça ? Enfin, il n’y avait pas de contrôles ?
Théophile : « On pouvait faire ce qu’on voulait de ce qu’on recevait. On pouvait se servir soi-même ou attendre que ce soit périmé. Alors s’il y avait des tierces personnes qui avaient besoin, on pouvait donner. »
Céline : « Mais je ne pense pas que les gens se vantaient qu’on leur donne quelque chose à la place. Et puis les gens qui faisaient ça, ils le faisaient sans rien dire. » […]
Qui vous donnait les tickets de rationnement ?
Céline : « C’était « Henri de la scie ». »
Qu’est-ce qui était rationné ?
Céline : « Oh et bien il y avait le beurre, le fromage, c’était un peu tout. Le sucre, la farine. »
Vous aviez de la peine à vous nourrir ?
Théophile : « Donc non. On avait de la campagne, on avait du bétail, disons que les matières premières, on les avait. Bien sûr, on n’a pas péché souvent avec la gourmandise. Mais les produits qu’on avait, on pouvait manger à satiété, à volonté. Ça ne nuisait pas à la santé disons. On n’a pas eu un manque. » […]
Céline : « Moi je me rappelle, ta grand-mère, donc Marie, la maman d’Aloys, elle avait des cousins en haut à Verey qui avaient beaucoup de peine. Mais elle faisait tout pour donner quelque chose. Le père était mort, la maman elle était restée avec deux trois gamins, tu vois. Mais ta grand-mère, elle en a fait pour ces gens, elle donnait beaucoup. Eux, ils avaient quand même plus d’aisance, le papa, il s’occupait de la poste, ils avaient quand même de l’argent qui rentrait. Tandis que d’autres, ils avaient du matériel, mais de l’argent, ils avaient pas. Il fallait quand même payer certaines choses. […] Non, on ne peut pas dire qu’on a vraiment eu faim. »
Théophile : « Non, loin de là. On n’avait pas tout ce qu’on voulait mais le nécessaire, on avait. »
Votre père a-t-il été mobilisé ?
Théophile : « Oui, mais il a fait les complémentaires. »
Céline : « Mais c’était plutôt les grandes familles dont les garçons faisaient les militaires, car ils avaient la solde et ça leur rapportait. Il y a deux trois du village qui ont fait dans ces intentions-là, car on donnait tant par enfants. »
Théophile : « Il a fait ce qui était réglementaire, mais ils n’a jamais fait de demande pour faire plus. »
Est-ce que vous avez senti des différences avec le plan Wahlen ?
Théophile : « Non, le plan Wahlen n’a pas eu beaucoup d’influence. »
Céline : « Non, non. Certains ont essayé un petit peu quand même. »
Théophile : « C’était plutôt dans les grandes fermes du canton de Vaud et en plaine, mais en montagne, moins. »
Vous n’aviez aucune recommandation qui vous venait de la plaine ?
Céline : « Non. »
Vous vous débrouillez par vous-mêmes ?
Céline : « On se débrouillait par nous-mêmes. Il n’y a jamais eu personne… Bon je dis, un moment donné, il y avait Lucien Salamolard et « gros Jean », Jean Fournier qui avaient essayé, ils avaient essayé de planter des arbres, d’amener des arbres. »
Théophile : « Mais ça, c’était les directives de Châteauneuf. Ils accordaient des subsides et ils faisaient des essais pour planter des arbres en montagne, pour voir jusqu’à quelle altitude ça produisait, où il y avait de la chance d’avoir des produits. »
Céline : « Autrement, non, personne ne s’en est occupé. Ils ont commencé un petit peu avec les fraises. Les fraises, ça a pas mal débrouillé les gens du village, mais bon là c’était déjà beaucoup plus tard. Mais de notre temps, on n’avait rien. Tu vois, la route elle s’est construite en 33-36. On n’avait pas de route. On peut dire qu’on était presque coupés du monde. Pour le matériel, c’était tout à traîneau, on menait depuis Sion avec le mulet et puis le traîneau. L’école ici en bas, elle a été construite en 39. »
Mais les gens, ils ne pouvaient jamais faire d’études ?
Théophile : « Eh bien, c’était déjà le moyen financier qui manquait, à moins de vivre au détriment de la société. On pouvait aller à Saint-Maurice et faire avaler qu’on voulait devenir prêtre et là, le collège, il risquait de passer. Comme ça, on payait le moins possible. »[…]
En hiver, vous aviez de la peine à vous chauffer ?
Théophile : « Du bois, on en avait. »
Céline : « Ça n’empêchait pas que les fenêtres étaient gelées. »
Théophile : « Oui, mais là ça venait d’un manque de confort. »
C’est vous qui alliez couper le bois ?
Théophile : « Oui bien sûr et moi j’ai travaillé à faire cette flotte. »
Est-ce que vous aviez des nouvelles de la guerre ?
Céline : « Au village, il n’y avait que ton grand-père, Henri Délèze et Joseph Salamolard qui avaient les radios, mais tout le village venait pour écouter les nouvelles. » […]
Qu’est-ce que vous pensiez de ce qui se passait ?
Théophile : « On était quand même affectés. Il y avait des malheureux. Bon il faut admettre que si on était préservés chez nous, c’est par rapport à la finance. Parce que les pays avoisinants avaient de l’argent chez nous. »
Céline : « Mais on entendait passer ces bombardiers qui allaient vers l’Italie. La nuit, on devait cacher les fenêtres pour pas laisser voir de clarté. »
Il y avait aussi les réfugiés polonais ?
Céline : « Oui, ils travaillaient à la mine. Ils étaient plutôt en plaine. A Veysonnaz, il n’y en avait pas. Mais il y a eu pas mal de Veysonnaz qui ont travaillé à la mine pendant la guerre. »
Vous n’avez donc jamais ressenti de peine particulière ?
Céline : « Non. Et puis je dis, les gens étaient beaucoup plus solidaires. »
3. Synthèse de l’histoire orale
Même si les origines de Veysonnaz ne sont que peu connues, nous savons qu’un certain M. Schiner, Docteur en Médecine à Montpellier, s’y est arrêté en 1812, lors de sa traversée de la vallée du Rhône. Il décrit le village comme étant un bel endroit, entouré de prairies, de forêts et dont les habitants sont des gens braves qui ont le sens du travail. Selon sa description, Veysonnaz vit en autarcie de par son agriculture et ses élevages. Cet homme semble avoir vu juste, car depuis toujours, les villageois se débrouillent avec leurs propres cultures, qui leur permettent de produire tout ce dont ils ont besoin pour se nourrir : le fromage, les légumes, la viande, le lait, le beurre, le pain, etc. Les gens n’ont tout de même pas la vie facile, car chaque membre de la famille doit participer au travail de la terre, qui s’avère souvent être une activité pénible. Les moyens de gagner de l’argent sont rares au village, ce qui rend le labeur de tous les jours fatigant et peu bénéfique.
Il est cependant intéressant de se demander si les villageois ont connu une évolution dans leur vie quotidienne depuis 1812. Cette position autarcique de Veysonnaz où chacun vit paisiblement de sa campagne, de son bétail et de ses vignes n’a-t-elle jamais changé ? et cela même pendant les périodes de conflits internationaux qui ont touché la Suisse ? En s’arrêtant sur l’histoire du pays décrite dans les livres, nous comprenons clairement que des mesures économiques importantes ont été mises en place à l’aube de la Deuxième Guerre mondiale, visant à assurer une bonne situation économique en Suisse par l’augmentation de la production et par l’élargissement des surfaces cultivables. Ces mesures vont ainsi pouvoir donner à la population des conditions de vie intéressantes face aux restrictions dues à la guerre. Le rationnement est donc décidé en 1940, réglementant les quantités de nourriture, parfois restreintes, auxquelles chacun va avoir droit mensuellement pendant le conflit. Une telle décision mettra irrémédiablement les gens dans des situations précaires où tous ne pourront pas manger à leur faim et où la gourmandise sera évitée.
Il est alors judicieux de se demander si Veysonnaz, face à ces mesures de guerre, va pouvoir continuer à vivre paisiblement sans réellement établir de contact avec l’extérieur. Est-ce que les coupons de rationnement vont changer la façon de se nourrir ? Est-ce que chacun pourra alors se nourrir en suffisance ? ou est-ce que les gens devront peu à peu avoir recours à des échanges entre eux et avec les habitants de la plaine ? Les villageois vont-ils sentir des différences dans leur production agricole avec l’introduction du plan Wahlen ? La vie quotidienne ne sera-elle pas plus pénible avec les hommes qui quittent le foyer pour faire la mobilisation ? Les femmes parviendront-elles alors à s’occuper des enfants et des travaux des champs ? Nous pouvons ainsi nous demander si la Deuxième Guerre mondiale a engendré des changements dans la vie quotidienne des villageois. Pour répondre à ces interrogations, nous avons mené cinq interviews de personnes ayant vécu au village à cette époque.
En ce qui concerne le travail au village et les moyens de gagner de l’argent, il y a une nette différence entre les réponses des hommes et des femmes. Pour les femmes, le moyen de se faire quelques sous est d’aller travailler aux vignes en été pour ramasser les récoltes et les ramener ensuite sur le mulet. Les femmes à cette époque s’occupent en général des vignes appartenant à leur famille. Or pour gagner quelque chose, elles doivent s’occuper de celles appartenant à de grands propriétaires de Vétroz, Chamoson ou Saint-Pierre-de-Clages qui ne travaillent pas et engagent par conséquent de la main-d’œuvre. Les vendanges constituent un des seuls moyens de gagner de l’argent pour les femmes de l’époque. Pour les hommes, la situation est différente. Ils ont en effet la capacité de réaliser des travaux plus difficiles et se doivent de ramener un gagne-pain pour nourrir la maisonnée. Ainsi Henri Praz a la possibilité d’aller piocher la vigne des « môchieurs » pour 4 ou 5 francs par jour. Il peut également participer à une coupe de bois à Siviez, Novelli et Tortins et a la possibilité de travailler à l’usine de Chippis où ils fabriquent de l’aluminium. Il est finalement embauché dans les fortifications à Saint-Maurice.
L’argent gagné est bien sûr entièrement donné à la famille qui peut ainsi vivre plus aisément. Certains ressentent cette manière de faire comme injuste, car beaucoup voudraient avoir la possibilité d’économiser cet argent pour faire des études. Or la plupart sont les aînés et représentent donc une aide essentielle pour la famille. Comme disait la mère de Lydia Glassey : « C’est pas possible, on peut pas laisser partir les plus grands. » Henri Praz, lui, nous raconte qu’il est resté longtemps le premier de classe et qu’il aurait par conséquent beaucoup aimé faire des études. Il va jusqu’à dire qu’il pense être passé à côté de son adolescence.
Comme la commune ne possède aucune archive de 1939 à 1945, nous pouvons difficilement savoir si oui ou non, Veysonnaz a participé au plan Wahlen. En se basant sur l’histoire orale, le village ne semble pas avoir connu de changements importants dans ses cultures. L’agriculture est en effet déjà très étendue avant la guerre et les gens réussissent donc à vivre convenablement de leur propre production de 1939 à 1945. Une extension des surfaces cultivables semble donc inutile. Les principaux changements sont la culture de la fraise qui arrive plus tard et les progrès dans l’arboriculture, décidés par l’école de Châteauneuf en vue d’augmenter les récoltes de fruits en altitude. Céline Bex nous dit que la Confédération accorde tout de même des subsides aux gens qui vont apporter leur blé au moulin de Pravidondaz. Les gens peuvent ainsi fabriquer leur propre pain au lieu de se contenter de la petite quantité prévue par les tickets.
La plupart des produits sont rationnés, mais chacun est d’accord pour dire que le rationnement ne les empêche pas de se nourrir en suffisance. Même s’ils doivent souvent se contenter de repas peu variés composés par exemple de soupe de restes ou de pain rassis qu’il faut tremper dans l’eau de la fontaine pour le ramollir tant il est sec, ils ont quand même de la viande avec la boucherie faite en automne, ils ont leurs récoltes de légumes et aussi les produits laitiers. Théophlie Bex nous dit lui-même que : « Non, nous n’avions pas de peine à nous nourrir. On avait de la campagne, on avait du bétail, disons que les matières premières, on les avait. »
Malgré cela, tout dépend en fait de la situation de la famille. Il y a parfois plus de bouches à nourrir et il arrive également que le mari soit mobilisé ou encore qu’un des parents décède. A ce moment-là, tout le monde, qu’on soit petits ou grands, doit mettre la main à la pâte. Or comme dans toutes sociétés, certaines familles ont parfois plus d’aisance que d’autres.
Pour survivre, il faut travailler. Mais lorsqu’une famille est dans le besoin, la parenté ou même les gens du village s’arrangent toujours pour lui fournir ce qui lui manque. Chacun ne manque pas de dire que la mentalité est alors beaucoup plus solidaire et que les gens savent plus partager que maintenant. C’est bien là la grande inquiétude des personnes interviewées face à un avenir où chacun s’occupe de son profit personnel et en oublie les valeurs morales. Lorsque les familles sont nombreuses, il arrive parfois qu’il leur reste des coupons. Céline Bex nous raconte que dans ce cas, les gens descendent à Sion pour revendre très chers ces coupons de beurre, de pain ou de fromage qui manquent tant aux gens de la plaine. Un certain trafic existe donc entre les villageois, tout comme avec les habitants de la plaine.
M. Schiner semble avoir trouvé le mot juste en décrivant les villageois comme étant des gens braves. Même si toutes les générations ont l’obligation de participer au travail de la terre, tous acceptent la réalité. Geneviève Fournier nous dit que « c’était comme ça quoi, on vivait avec ce qu’on avait. » Au lieu de se plaindre de la situation, la plupart des gens se réjouissent de ne pas avoir été touchés par la guerre. Lorsque le sujet est abordé, les femmes surtout racontent les inquiétudes et les peurs qu’elles ressentent d’y être un jour confrontées. Les avions qui passent au-dessus des Alpes à cette période ne calment pas les angoisses des gens qui se demandent chaque jour s’ils vont être touchés par le conflit. Alice Fournier nous raconte que, quotidiennement, sa famille se rend chez Henri Délèze, seul homme à posséder la radio à Veysonnaz, pour écouter les informations.
Finalement, tous affirment que non, ils n’ont pas eu faim pendant la guerre et qu’ils ont toujours pu se nourrir suffisamment malgré l’introduction des coupons de rationnement. Or pour s’en sortir, les gens doivent choisir une vie de labeur où les loisirs et les jeux d’enfants n’ont pas vraiment leur place. A cette époque, le quotidien est donc assez dur et les gens avouent avoir été « serrés » et avoir dû économiser au maximum les denrées cultivées ou apportées par les coupons. Ainsi certains racontent avoir pu se constituer des réserves avant 1939 de denrées conservables qui s’apprêtent à être rationnées comme le sucre ou la polente. La devise de cette période est que tout doit être utilisé et que rien ne doit être jeté, pas même les habits abîmés, les casseroles trouées ou le pain rassis. Henri Praz se rappelle en effet que pendant la Deuxième guerre mondiale, les boulangeries affichent le slogan suivant sur leurs vitrines : « Du pain dur, c’est dur, mais point de pain, c’est encore plus dur. »
IV. Conclusion
Par l’étude des sources, nous avons pu mener une histoire écrite sur la situation de la Suisse de 1939 à 1945 et pendant les années précédant le conflit. L’histoire nous dévoile un pays, qui, par son choix de neutralité politique et économique, a su ne pas être dérangé par ses voisins aux intentions belliqueuses. Au lieu de prendre parti pour un des camps et de s’intégrer par là au conflit, il se prépare aux conséquences que la guerre pourrait avoir sur sa conjoncture. Des mesures économiques importantes sont alors prises dès 1939 afin d’assurer l’approvisionnement du pays. Le plan Wahlen est ainsi constitué, visant à étendre les surfaces cultivables et à diversifier les cultures afin d’éviter des famines qui seraient dues aux conditions de guerre.
La vie quotidienne des Suisses n’est toutefois pas des plus faciles, car par exemple, le rationnement, prévoyant les quantités auxquelles chacun a droit, ne permet pas à tous de se nourrir en suffisance. Ainsi, dans les villes où les gens ne sont pas concernés par l’agriculture, les quantités prévues par les coupons empêchent parfois les citadins de manger à leur faim. L’histoire nous montre qu’au contraire, certaines contrées où l’agriculture est prospère peuvent mieux subvenir à leurs besoins grâce aux produits apportés par les récoltes.
Malgré tout, cette première partie concerne le pays en général. C’est pourquoi nous avons décidé de cibler notre travail sur un village valaisan : Veysonnaz, afin de savoir si la population a réellement eu faim pendant la Deuxième Guerre mondiale. L’étude des sources du village nous dévoile une région très autarcique, tournée principalement vers l’agriculture, qui lui permet en fait de se suffire à elle-même. Or une histoire écrite ne pouvant nous informer correctement sur la vie quotidienne des habitants en temps de guerre, nous devons dès lors nous intéresser de plus près à la vie villageoise.
C’est par une histoire orale que nous avons pu prendre connaissance de nombreux détails qui n’étaient pas expliqués dans les livres. Pourtant, excepté la quantité d’informations obtenues, les deux histoires coïncident finalement. En effet toutes deux nous montrent que par les boucheries, les récoltes et les élevages, les matières premières sont apportées à la population. La première décrit le village comme vivant en autarcie, s’approvisionnant par lui-même. Les sources écrites nous montrent donc que les échanges avec la plaine sont extrêmement rares et qu’ils n’ont lieu que lorsque les gens vont vendre leur bétail à la foire de Sion ou lorsque les gens descendent aux vignes. Les interviews prouvent l’exactitude de l’histoire écrite, mais nous donnent quand même une vision plus élargie grâce aux informations supplémentaires obtenues. Par ces deux études, nous arrivons finalement aux mêmes conclusions, c’est-à-dire que le village n’a pas eu faim pendant la Deuxième Guerre mondiale.
Les informations apportées par les interviews sont très utiles, car c’est par elles que nous pouvons vraiment nous faire une idée de la vie quotidienne des gens à cette époque. Nous pourrions nous fier uniquement à l’histoire écrite du village, or beaucoup d’éléments nous échapperaient alors. Nous pouvons ainsi mieux comprendre la manière de vivre d’autrefois et voir que la situation n’était pas la même pour tous. Par ce travail, une connaissance de nos origines est incontestable. Cette étude permet ainsi d’approfondir nos connaissances sur la vie au village et de montrer une réalité à laquelle on ne s’attendait peut-être pas. Après avoir réalisé ce travail, nous ne pouvons pas prétendre tout connaître de la période concernée. Comme le dit Céline Bex : « La vie était bien différente. Je dis, quelqu’un qui n’a pas fait, il peut pas s’imaginer. » Après cette étude, nous pouvons sûrement mieux nous imaginer la vie d’autrefois, tant regrettée par les personnes âgées.
V. Bibliographie
- 1.Monographies
- BOUQUET, Jean-Jacques. Que sais-je ? : Histoire de la Suisse. Paris : Presses Universitaires de France, 1995. 127 p. collection encyclopédique.
- LATHION, Christian. Veysonnaz : les racines de l’avenir. Veysonnaz : Editions Soleil Blanc, 1981. 108 p.
- SCHINER, docteur en médecine de la Faculté de Montpellier. Description du Département du Simplon, ou de la ci-devant République du Valais. Sion : imprimeur de la Préfecture du Département, 1812. pp. 430-441.
- ZERMATTEN, Maurice. Nourritures valaisannes. Fribourg : Editions de la Librairie de l’Université, 1938. 58 p.
- Chronique et images : la Suisse en 1939-1940-1941. Collection dirigée par ANDRE EISELE, avec la collaboration de CLAUDE TORRACINTA. Suisse : Editions Eiselé, André Eiselé, 1982. 286 p.
- Chroniques et images : la Suisse en 1942-1943-1944.. Collection dirigée par ANDRE EISELE, avec la collaboration de CLAUDE TORRACINTA. Suisse : Editions Eiselé, André Eiselé, 1982. 286 p.
- Nouvelle histoire de la Suisse et des Suisses, Tome III, Georges Andrey, François De Capitani, Pierre Ducrey, Peter Gilg, Peter Hablützel, Ulrich Im Hof, Hans-Ulrich Jost, Martin Körner, Guy P. Marchal, Nicolas Morard, Roland Ruffieux, Editions Payot Lausanne 1983. 328 pages.
2. Site internet
- MEMO le site de l’Histoire. (page consultée le 15 juin 2005). Adresse URL :
http://www.memo.fr/dossier.asp?ID=181
3. Articles de périodique
3.1. A propos de la Suisse et du Valais
- FOLLONIER, Jean. Nourritures d’hier et d’aujourd’hui. L’école valaisanne, 1977, pp.19-26.
- ZERMATTEN, Maurice. Nourriture des pauvres. 13 étoiles, 1978, n°3, pp. 11-14.
- Notre ravitaillement en pommes de terre. Gazette du Valais, 1918, n°99, pp. 2-3.
- A propos de l’exportation de notre bétail, les revendications ouvrières. Gazette du Valais, 1918, n°104, p. 2.
- Grèves générales en Suisse. Gazette du Valais, 1918, n°128. p. 2.
- Les cartes de denrées. Nouvelliste, 1939, n°226, p. 4.
- Salaires des employés mobilisés, L’Union fédérative et l’amélioration des distributions postales. Nouvelliste, 1939, n°228, p. 4.
- Allocations familiales, salaires et vie chère, la réunion de l’association agricole du Valais. Nouvelliste, 1941, n°64, p. 4.
- La création d’occasions de travail. Nouvelliste, 1941, n°65, p. 1.
- Plan Wahlen et équilibre des cultures. Nouvelliste, 1942, n°19, p. 5.
- Les nouvelles fonctions de M.Wahlen. Nouvelliste, 1942, n°85.
- Une grosse affaire de marché noir qui se ramifie dans les cantons de Genève, Vaud et Valais. Nouvelliste, 1942, n°116, p. 3.
- Les agriculteurs et le rationnement du pain. Nouvelliste, 1942, n°248, p. 5.
- Récolte et conservation des légumes d’hiver. Nouvelliste, 1942, n°249, pp 1-3.
- La livraison des céréales à la Confédération. Nouvelliste, 1943, n°119, p. 3.
- Paysan et juste prix, le ravitaillement en viande. Nouvelliste, 1943, n°119, p. 5.
- Augmentation de la ration de lait. Nouvelliste, 1943, n°119, p. 6.
- Les abatages d’urgence de bétail. Nouvelliste, 1943, 125, p. 5.
- Le canton de Berne préconise l’assurance vieillesse. Nouvelliste, 1943, n°131, p. 3.
- La conférence des chefs des départements cantonaux de l’agriculture. Nouvelliste, 1943, n°197, p. 3.
3.2. A propos de Veysonnaz
- LAMBIEL, Jean-Claude. Choix professionnel, économie dans la région de Veysonnaz-Nendaz. Echo de la Printse, 1985, n°6, pp. 1-3.
- LATHION, Georges. A propos d’alimentation. Profils valaisans, 1983, n°1, p. 10.
- MOREN, Pierre. Veysonnaz : l’exemple d’une réussite. 1986, n°33.
- PRAZ, Michel. Les Agettes-Salins-Veysonnaz : agriculture, tourisme, pluriactivité. Terre Valaisanne, 1991, n°7, pp. 7-8.
- VOLET, Simone. Le Valais des souvenirs ? Veysonnaz, mon village. La Voix du Vieux Pays, 1980, n°5, p. 2.
- Les communes valaisannes : Veysonnaz se présente à vous. Confédéré, 1993, n°77, pp. 4-5.
- Veysonnaz : Assemblée de la caisse Raiffeisen. Nouvelliste, 1935, n°61, p. 3.
- Un nouveau contrat collectif de travail. Nouvelliste, 1942, n°276, p. 1.
- Ligue antituberculeuse de Nendaz et Veysonnaz. Nouvelliste, 1944, n°279, p. 3.
4. Autres
- SEPPEY, François. Travail de diplôme : Les effets économiques du tourisme à Veysonnaz. St-Gall : 1991. 98 p.