A droite sur la photo: Henri Salamolard au jeu de boules
Texte d'Alois Délèze avec la collaboration de Jean-Maurice Délèze et Roland Lathion
Veysonnaz-Chroniques trouve intéressant d'évoquer les histoires de quelques « Veysonnards », qui ont dû, principalement pour des raisons économiques, quitter leur village et s'en aller en Argentine ou en France. Nous en avons trouvé dans les familles Praz et Salamolard. Nous les appelons « les Migrants de Veysonnaz ».
A notre connaissance, le premier à s'en aller de Veysonnaz est un certain Antoine Praz, l'oncle de Samuel Praz, parti en Argentine en 1889. Il s'est marié là-bas à une demoiselle Pralong venue de St- Martin. Ils ont eu beaucoup d'enfants dont 5 garçons, ce qui laisse penser qu'il existe un certain nombre de Praz en Argentine. David Praz, qui m'a donné ces renseignements, m'a dit n'avoir pas trouvé dans ses recherches des traces de ces descendants d'Antoine en Argentine, ce qui ne veut pas dire qu'il n'en existe pas. Un autre Praz, Lucien, frère de Samuel, né en 1889 est parti à Fillinges près d'Annemasse. Avant de partir, il travaillait à l'hôpital de Monthey. Il s'est marié à une dame Balthassat. Ils ont eu un fils qui malheureusement est décédé et une fille qui s'est mariée et a eu des enfants.
Venons-en aux Salamolard.
La guerre de 14 -18 venait à peine de se terminer. On se souvient de ses 10 millions de morts, de Verdun et de ses tranchées par exemple. C'est ce moment particulier, dans les années 1920, qu'ont choisi 4 frères Salamolard de Veysonnaz : Lucien (1891-1971), Henri (1895-1985), Emile (1898-1981) et Louis (1904-1958), fils de Jean Salamolard et Marie Délèze de Veysonnaz, pour partir en France. Leur sœur Mélanie, la future épouse de Jean-Louis Locher, est restée à Veysonnaz, la maman étant encore vivante.
Ces 4 frères avaient l'exemple de leur oncle Maurice Salamolard, (frère de Jean Salamolard) notre grand-père, marié à Anne Fragnière, de Verrey. Maurice et Anne eurent 3 enfants, Marie, notre mère « d'Aloys, de Jean Maurice et leurs sœurs», Henri, curé entre autres de St Séverin et Emile. A la suite des décès de son épouse Anne, en 1900 et de son dernier fils Emile, 3 ans plus tard, Maurice, le grand-père, s'est remarié avec Marguerite Fournier. Il s'est trouvé alors dans une situation financière difficile avec 2 enfants en âge scolaire.
Il décida alors de partir 2 ans en Savoie avec son beau-frère pour y travailler et ainsi rétablir ses finances. L'aînée de ses enfants, Marie, âgée de 7 ans a dû quitter l'école et jouer le rôle de maman, comme cela se faisait à l'époque. Maurice, mon grand-père, me disait que lors de ce séjour en France, il avait vu la tour Eiffel qu'il prononçait « Iffel ». Les 2 compères avaient dû faire une visite à Paris.
Revenons-en à nos 4 frères Salamolard.
Ils sont donc partis de Veysonnaz dans les années 1920, et sont allés dans l'Aube, à l'est de Paris, vers la ville de Troyes. Ils ont loué une grande ferme. Malheureusement, ils avaient de sérieux handicaps : le sol était rocailleux et ils n'étaient pas outillés. Le dimanche, ils utilisaient une charrette pour transporter un harmonium et ils allaient animer des messes dans les villages des alentours. Suite à ces conditions de travail assez peu favorables, Louis, Lucien et Emile sont rentrés en Suisse. Nous ne savons pas après quel temps de séjour en France.
Louis est revenu à Veysonnaz assez rapidement pour poursuivre son métier d'agriculteur. Il s'est marié avec Ida Salamolard. Ils eurent 13 enfants dont 3 sont morts en bas-âge. Plus tard, ils rachèteront la ferme des Iles de leur frère et beau-frère Emile qui avait lui-même exploité cette ferme avec succès en faisant de l'arboriculture et en vendant les différents fruits.
Lucien a dû également rentrer au pays. Sa femme est tombée gravement malade et elle a souhaité pouvoir venir mourir à Veysonnaz. Ils sont donc rentrés avec leur fils Augustin, futur curé de Plan Conthey. Après la mort de sa femme Marguerite, Lucien s'est retrouvé veuf avec 4 enfants, Augustin, Céline, Thérèse et Yvonne. Il s'est remarié à une dame Anastasie dont il eut une fille et il exerça le métier d'instituteur.
Emile est également rentré en Suisse. Il a trouvé du travail dans les hôtels à Lausanne où il a connu sa future femme, Lucie Claivoz, originaire de Finhaut. Il travaillera, comme raconté plus haut, à la ferme des Iles qu'il avait achetée et ensuite à Monthey.
Henri est le seul des 4 frères à être resté en France. Nous ne savons pas combien de temps il est resté dans l'Aube. Nous le retrouvons en 1928 dans une grande et belle ferme près de Château-Thierry, ville qui se trouve à 65 kms à l'ouest de Paris. Il y faisait de l'élevage. Ayant appris qu'il y avait une ferme à louer de l'autre côté de la forêt près de laquelle il habitait lui-même il en informa son frère Emile. Ce dernier prit alors la décision de repartir en France avec sa femme Lucie et ses enfants. Dans un premier temps, ils firent de la chasse au lapin de garenne (au collet). Ils vendaient ces lapins à un monsieur qui en faisait son commerce. Par la suite, ils cultivèrent cette ferme qu'on a pu qualifier par la suite de « misérable », car on ne pouvait cultiver que de l'herbe ! Les 2 frères, Henri et Emile pouvaient se rendre de l'un chez l'autre en traversant la forêt qui les séparait. Ils allaient à cheval et devaient faire beaucoup de bruit pour faire fuir les sangliers.
Emile est donc resté dans cette ferme de 1928 à 1935, date à laquelle il est rentré avec sa famille par le train jusqu'à Finhaut en passant par Paris. Leurs 3 premiers enfants, soit Roger, Gisèle et Michel sont nés en France.
Henri trouva en 1936 une autre ferme avec beaucoup de bétail vers Vernincourt situé du côté de la ligne Maginot.
Puis, arriva la guerre de 1939–45, et l'occupation allemande de toute la partie supérieure de la France. Pour s'emparer de la ligne Maginot, les allemands, au lieu de l'attaquer de front comme l'imaginaient les français, l'ont contournée par le nord et le sud et ils ont pris les français « en tenaille ». Aussi, ils ont pu progresser encore plus rapidement.
Suite à cette invasion, Henri et sa famille ont dû quitter leur ferme et fuir comme beaucoup d'autres français. Partis au dernier moment, ils ont chargé un tilbury tiré par 3 chevaux avec tout ce qu'ils ont pu emporter. Ils ont marché 10 jours et 10 nuits et sont allés jusqu'à Pourrain près d'Auxerre.
Au cours de cette fuite, ils ont été amenés à vivre divers évènements dangereux mais grâce au courage d'Henri, ils ont réussi à s'en sortir. A un moment donné, toute la colonne de ceux qui fuyaient était bloquée par un camion dont le chauffeur, qui soutenait les allemands, refusait d'avancer. Henri est allé vers lui et l'a très sérieusement menacé. Le chauffeur a accepté de se mettre de côté. Ainsi, Henri et sa famille ont juste pu passer avant que l'aviation allemande arrive et massacre toute la colonne des fugitifs. Un autre jour, ils ont rencontré quelqu'un qui devait passer une rivière. Les allemands tenaient le pont. Henri a caché ce monsieur à l'intérieur de son tilbury et ce dernier a pu passer ainsi sans encombre cette rivière. Henri, philosophe, pour sauver sa famille, a crié alors « Heil Hitler». Ils ont ainsi pu être sauvés une nouvelle fois.
Henri et sa famille ont réussi à venir jusqu'à Pourrain, près d'Auxerre. L'endroit leur a plu et ils ont décidé de s'y installer et d'acheter une ferme. Ils ont progressivement augmenté leur cheptel jusqu'à 200 têtes de bétail. Pour pouvoir acheter des terrains ils ont dû prendre un agent sinon les vendeurs, sachant qu'ils étaient suisses faisaient systématiquement monter les enchères. Les allemands qui se trouvaient encore à Pourrain se moquaient d'eux en disant que c'était des terrains qu'ils pourraient récupérer eux-mêmes plus tard. Mis à part l'élevage, ils plantèrent différents arbres fruitiers dont ils allaient vendre les fruits dans les marchés de la région. Telle était la situation, en 1985 date à laquelle je me suis arrêté par hasard avec ma femme à Pourrain au retour de vacances près d'Orléans. Henri venait de décéder le mois précédent, en juillet. En buvant notre apéro au bar du motel de Pourrain, une dame est venue vers moi et m'a dit qu'elle me connaissait et que je venais de Veysonnaz. Elle devait être d'une famille Salamolard habitant dans la région. Elle nous a emmenés chez Jean et Monique chez qui nous reçûmes un accueil très chaleureux. Nous avons mangé ce soir-là autour d'une grande table comme on en voyait dans les westerns. Le lendemain, Jean nous emmena faire le tour de leur magnifique ferme, puis nous conduisit sur la tombe d'Henri.
Henri et sa femme Marguerite se sont donc installés à Pourrain. Ils ont eu 3 fils, Jean de 1927 malheureusement décédé à ce jour (Monique, la femme de Jean vit toujours dans sa ferme à Pourrain), André de 1929 et Bernard de 1931 et beaucoup de petits enfants. Henri et Marguerite étaient bien connus et estimés dans la région. Henri s'occupait par exemple de sociétés de chasse. On disait d'Henri qu'il était une sorte de patriarche qu'on aime écouter. Agé de plus de 80 ans, il grimpait encore sur les échelles pour aller cueillir des pommes.
Après l'armistice et le départ des allemands, Henri et sa famille sont revenus à leur ancienne ferme à Evergnicourt qui avait en partie brûlé. En cherchant dans les alentours ils ont reconnu quelques têtes de bétail qu'ils ont pu récupérer et ramener à Pourrain. Lors de ce retour ils voyaient, disaient-ils, couler du sang dans les caniveaux.
Telle est donc la belle histoire qu'on nous a raconté, à propos des 4 frères Salamolard partis vers 1920 en France pour s'y installer et surtout pour y travailler. Cette belle aventure se poursuit toujours du côté d'Auxerre et surtout de Pourrain pour les familles de Jean, André et Bernard Salamolard, les fils d'Henri.
Interview de Roger Salamolard, fils d'Emile né en France en 1930 :