(13 AOUT 2007)

(par Jean-Maurice Délèze)

 

Construction de la maison familiale – les métiers du papa

 


Tes parents, c'étaient Lucien et Adèle ; ils habitaient déjà Tcherpeu ?

Non, papa a d’abord habité à "Ousse", où il y avait François Fournier, le père d’Alphonse ; les parents de papa étaient là. Papa a construit à Tcherpeu et a démoli la vieille maison, une « bicoque », qui appartenait à Marguerite Mayoraz, vers 1922 ; la route de Beuson – Veysonnaz n'était pas faite ; il a amené le sable et le ciment à dos de mulet depuis Brignon


Il a construit avec Marcellin ?

non, avec tante Marguerite, la soeur de papa


ton père était maçon ?

il a fait tous les métiers : maçon, menuisier… ; les granges en haut par les Mayens, la Raïre à vous, c'est lui qui l'a fait avec Charles Fragnière


et comment il a appris ces métiers ?

avec les yeux...il faisait les métiers avec les yeux


mais il y avait des maçons, des menuisiers à l'époque ici à Veysonnaz ?

des gens avec des diplômes, il n'y en avait pas, mais il y avait de bons maçons, des menuisiers, des charpentiers…


et il s'est lancé tout seul pour faire cette maison ?

oui avec tante Marguerite ; un étage chacun ; le gros boulot c'est papa qui l’a eu ; quand on pense la vie qu'ils ont eue... 1200 jours de service militaire ! sans solde ! avec sept gamins ; c'était la première guerre mondiale, la mob en 18, puis après de nouveau en 39, sans solde non plus.

 

L’agriculture, se nourrir


mais comment ils vivaient alors ? c'était ta maman, Adèle, qui s'occupait de tout ?

oui, des sacs de polenta, de maïs, de pommes de terre...


et là, pour construire, cela lui a pris beaucoup de temps ?

oui, sûrement deux ans


et à côté, il avait un peu d'agriculture ?

oui, ils avaient deux vaches qui n'avaient pas le lait qu'elles ont maintenant...


combien penses-tu qu'elles donnaient par jour ? 5 à 6 litres ?

Jean Fournier, le Gros Djan, m'a raconté que lui avait une vache qui donnait sept litres par jour en haut à Verrey ; ils sont venus avec un pot mesurer, c'était un maximum..


parce que maintenant les vaches de la race d'Hérens, elles produisent combien ?

15 à 20 litres ; parfois plus


et à côté de ça, vous aviez des cochons ?

oui, on tuait un cochon en automne


des chèvres ?

oui, on n'avait pas des berlingots. Il y avait un Vaudois qui habitait en-dessous de Célestin à Lutry et qui venait chercher des effeuilleuses ici et qui disait :"Moi, jamais je pourrais boire le café avec le lait de chèvre"... il est arrivé ici avec la voiture, Yvonne a fait le café, y avait pas les berlingots et les vaches étaient à la montagne, y avait que le lait de chèvre...Deux ou trois fois il a dit :"Tu sais Yvonne, c'est le meilleur café que j'ai bu de ma vie !" Et après là-bas quand il discutait... on lui disait :"Là-haut vous avez bu du lait de chèvre"... Il n'en revenait pas !


et comme cultures, qu'est-ce qu'il y avait ?

des pommes de terre, les fèves, les petits pois, pas tant de carottes, beaucoup de choux


et la viande il y en avait toute l'année ?

non, non, à la fin de l'hiver c'était liquidé ; quand ils commençaient les travaux, il y avait plus de viande mais ils achetaient des sacs entiers de polenta qu'ils faisaient cuire dans la marmite, ils la versaient ensuite dans un plat en terre. Ils faisaient chauffer la graisse qu'ils achetaient en plaques en magasin, des « chtalin » (du beurre fondu), peut-être que c'était un mélange beurre-graisse. Ils versaient ce mélange sur le plat. Et puis alors ils étaient tous autour du plat avec une cuiller ; ils faisaient des talus pour faire venir en bas la graisse, pour donner un peu de goût à cette polenta...

 

La maman – sa famille


et Adèle, ta maman ? son nom de famille c'était quoi ?

c'était une Praz des Biollets. La grand-maman c'était une Gillioz. Mon arrière grand-père, du côté de ma mère, descendait de Haute-Nendaz ; il était instituteur et enseignait à Brignon et il voulut construire mais tu sais comment il fallait faire pour construire dans le temps ? y venait pas des madriers défiler derrière ; il fallait aller à la forêt couper le bois, le descendre jusqu'au village, équarrir, scier à la bombarde… ; il a tellement savaté qu'il a chopé la broncho. A ce moment-là, il y avait pas les antibiotiques, il était cuit. Il est mort jeune, la grand-mère des Biollets avait six ans quand il est mort. Il avait entre 35 et 40 ans. La grand-maman des Biollets avait six ans, elle a pas été à l'école, il lui fallait aller chercher du bois pour faire les repas, casser la neige et tout.... ; et elle est morte à 94 ou 95 ans.

 

La première épicerie – le four banal


les sacs de polenta arrivaient comment ici ?

Ils cultivaient aussi la polenta en Suisse dans le temps et ils l'achetaient au magasin. Damien et Alexandrine Théoduloz ont tenu le magasin, où il y a la coop ; et après il y a eu Francillon, François Fournier, le père de Marcel Fournier ; après sont venues Angeline Fragnière et Hélène


combien coûtait un sac de maïs ? c'était cher ?

non, c’était bon marché ; ils achetaient un sac de maïs ou un sac de farine ; je discutais une fois avec une Evolénarde qui servait dans un bistrot à Vex. Elle me disait : « Nous, on était nombreux en famille ; on sait ce que c'est que la farine grillée …»


et le pain, on le faisait ici au four banal ?

oui, ici et à la Golette ; presque tout le monde savait faire le pain. Le grand-père des Biollets lui avait fait un cours de trois jours avec un boulanger. Alors du pain, on l'achetait de temps en temps le dimanche, un pain blanc, autrement c'était un pain de seigle.

 

Si peu d’argent…


et puis, ils avaient un peu d'argent pour acheter le maïs ou autre chose ?

oui, en allant aux myrtilles, aux framboises, en vendant de temps en temps une bestiole, mais pas grand-chose. Le grand-père des Biollets avait assez de pain pour toute l'année parce qu'il avait un tas de champs de blé. Pour l'argent, il écrémait le lait et il apportait la crème à la boulangerie Richard à Sion (aujourd’hui Zenhäusern), une fois par semaine depuis les Biollets et il disait qu'il y avait assez d'argent.


et ton père quand il travaillait comme maçon, menuisier... il était payé ?

oui, mais des salaires de misère, minimes, il y avait très peu d'argent. Des salaires fixes, il y avait l'instituteur, le curé et le "taureau" du syndicat ; ça c’était les trois « fonctionnaires »... L'impôt c'était presque rien


la Commune vivait avec quoi ?

il y a des gens qui ont presque tout perdu leur bien pour payer les impôts et acheter du foin au printemps quand il en manquait pour le bétail. Ils s'endettaient comme ça. On racontait qu'une année quand il y avait peu de foin, un avait trois vaches mais il voulait pas vendre. Les vaches à ce moment-là, elles valaient trois cents francs, vers 1920. Il a mieux aimé acheter une toise de foin 300 francs que de vendre la vache. C'était sacré, une vache, la survie... et maintenant c'est le contraire, c'est les gens qui font vivre les vaches

 

L’artisanat


il y avait d'autres métiers ici à Veysonnaz ? travailler l'osier par exemple, Francillon...

oui, il faisait des hottes, des fauteuils, et d'autres des seillons, des petits tonneaux


on cultivait le chanvre, le lin ?

oui, en là au Ménandry


les draps, ils les faisaient eux-mêmes ou ils les achetaient ?

j'en n'ai pas entendu parler, je ne sais pas...


les costumes ?

il y avait la petite tante à la coop qui faisait les chapeaux courbes (les tsapés corbes)

A l'étang du Ménandry où poussait le chanvre, Théophile Lathion, Augustin Praz, Dyonis Délèze devaient partir à l'école de recrues le lundi, ils avaient été là-bas prendre le bain ! Tu vois, ils prenaient le bain lorsqu'ils recevaient une rincée, un orage... c'est tout. Ils avaient pas d'eau à la maison, c'était au bassin

 

Un confort minimum…

JM

il n'y avait pas d'eau dans les maisons ; la cuisine, c'était avec la cheminée

F

oui et en-bas, chez Madeleine Pitteloud, il y avait encore l'empierrement à la cuisine

JM

et pour chauffer en hiver ?

F

tu sais bien comment... ils chauffaient bien durant la veillée, et vers minuit la chambre devenait froide, pas d'isolation, et le matin il fallait recommencer à faire le feu, c'était des conditions difficiles mais les gens venaient aussi vieux que maintenant

 

Automédication, les docteurs, la sage-femme…


et la maladie, quand ils avaient des problèmes de santé... ils se débrouillaient beaucoup avec les herbes ?

oui, oui...de mon temps, je me rappelle qu'on allait à Sion chez le Dr Coquoz, il fallait aller le chercher à Beuson à dos de mulet avant qu'il y ait la route ; c'est lui qui a fait la première opération de l'appendicite en Valais


mais ça, c'était pour les cas vraiment graves, quoi

oui, parce qu'ils mourraient de la péritonite, le grand-père des Biollets est mort de la péritonite, du "mal de ventre", on disait, mais c'était la péritonite, il paraît que c'était des souffrances atroces


mais ici ils avaient beaucoup d'herbes, de recettes traditionnelles...

ça, c'est sûr, l'impératoire, par exemple, une remède fantastique pour les blessures mais aussi pour le bétail ; mais est-ce que je t'ai raconté l'histoire des feuilles de St-François ? Le frangin, André, il avait 6-7 ans, il courrait après les papillons et le papa fauchait ; il a ramassé la faux dans le mollet... il est parti à Sion chez le Dr de Preux. Il lui a mis 13 agrafes, des gros « machins » comme pour les courroies de transmission. Puis au bout de quelques jours le gamin est monté et puis tu vois il a joué ici et là, s'est amusé dans la terre et puis... infection. Papa, quand il a vu l'infection, il a été chercher des feuilles de St-François, "l’entélite vulnéraire" et il lui a mis une bonne dose. Le lendemain le gamin est descendu encore une fois chez le docteur de Preux. Le médecin l'a regardé et a dit : "De ma vie, je n'ai jamais vu une plaie aussi propre !" Il avait fait sauter toutes les agrafes ; avec les feuilles de St-François, c'est très efficace.

Lucie Fragnière, la maman à Kuntschen (Célestin Fragnière), elle s'était coupé à un bras en utilisant la faucille pour faucher les blés. Elle n’a pas tellement fait attention pour désinfecter et un jour Jean-Léger a dit : « on va aller au docteur aux Mayens-de-Sion ». Le docteur a pris Jean-Léger à l'écart et lui a dit :"Vous savez, peut-être que je vais devoir amputer le bras à votre femme..." Elle avait neuf gamins. Jean-Léger est venu en-bas et pleurait en racontant ça à ses copains ; « tu te rends compte, c'est la gangrène ». Papa lui dit : crétin que tu es "viens en-bas sous la maison de Tcherpeu, c'est plein de feuilles de St-François. Ils en ont ramassé un bon tas et ont fait un pansement à Lucie. Au bout de deux jours, ils ont arraché le pansement et à la fin de la semaine, elle est allée aux Mayens-de-Sion, le docteur a fait des yeux comme ça...Elle était guérie !


ils avaient aussi des herbes contre les maux de ventre, la toux : le porcora... ils dépensaient moins d'argent que nous pour la santé... ll n'y avait pas d'assurances sociales, rien et finalement ils devenaient assez âgés, non ?

plus vieux que maintenant ! mais bien sûr il y en a qui mourraient jeunes aussi, des maladies qu'il fallait opérer ou des trucs qu'on connaissait pas


et pour les accouchements... toi tu rappelles de Cécile de Beaupérier ?

la sage-femme,


avant Cécile de Beaupérier, tu te rappelles qui c'était ?

non...


Cécile a accouché presque tout le monde ici à Veysonnaz ; toi aussi ?

oui


moi aussi ; chez nous, c'était les huit de la famille, vous étiez sept.. et finalement il n'y avait pas tellement de décès à l'accouchement ?

pas tellement mais il y en a quand même eu... ; la maman à Hedwige et à Aristide, elle est décédée à l'accouchement d'Aristide ; il y en avait quand même, des suites d'hémorragies, comme ça...

 

Ils étaient presque tous pauvres… émigration


et à l'époque dans les années 20, il y avait combien d'habitants à Veysonnaz ? je me rappelle qu'à l'école on apprenait dans le livre de géographie qu'il y avait 365 habitants... il y avait peut-être 200 du temps de tes parents ? peut-être plus ?

peut-être....


parce qu'il y avait de grandes familles... mais est-ce qu'il y avait des gens plus pauvres ou bien ils étaient tous sur le même plan ?

on peut dire qu'ils étaient presque tous pauvres.. il y a de ceux qui étaient moins pauvres que d'autres, tu vois ?


et alors chez vous, vous étiez sept en famille et ils sont tous restés par ici finalement ?

Non ; la soeur Odette est partie, elle s'est mariée à Berne. Yvette, la femme de Maurice, est partie jeunette. Bernadette est partie pour Le Locle, elle s'est mariée là-bas. André est parti à Brignon


et finalement qui est resté à Veysonanz ? Toi, Angelin, Hermann ?

oui, les trois ; Hermann, menuisier, était le premier de la maison


finalement quatre sont partis, il y avait une grande migration, il fallait trouver de quoi vivre...

c'est sûr

 

L’école primaire


et ton père il est allé à l'école primaire ?

Oui


c'était où l'école, en là à la Golette ?

je ne sais pas, moi j'ai été chez Angèle ; et après je suis venu deux ou trois ans ici en-bas. Avant , on allait en-haut chez l'oncle Célestin


qui était ton instituteur ?

Julien, tout jeune.


et chez Angèle tu as aussi été ? tu penses qu'il y avait une autre école avant ?

Moi je me rappelle chez l'oncle Célestin, puis chez Angèle et après ici en-bas sous la coop et plus tard au centre scolaire. L'examen, il fallait faire à Sion. Toi tu te rappelles pas de Mengish ?


non...

c'était pour l'examen de fin de scolarité, il venait faire l'inspection.


filles et garçons dans la même école ?

oui. Je me rappelle encore dans les années 40-42 (je suis de 27) Il a donné une dictée "la désertion des campagnes", ils en causaient déjà alors. Je me rappelle que l'inspecteur a dit : "C'est une dictée difficile mais les bons plats, on ne donne qu'à ceux qui savent les apprécier". Je me rappelle de cette phrase. Magnifique !


et donc, l'école primaire c'était jusqu'à 12 ans, ou 15 ans ?

15 ans, il y avait pas de formation professionnelle, rien. Moi, j'ai été faire l'examen à Sion le vendredi. J'avais quatre notes, quatre branches ; je savais que j'avais quatre "1" Et puis le lundi j'ai commencé les « études » : mené en-haut le sable depuis la chapelle Sainte-Anne en-haut vers Zimmermann ; papa avait pris un boulot là-bas avec la mule à Darioli ; j'ai travaillé quinze jours ; pas vu la couleur de cinq centimes... les parents avaient besoin d'argent


et ton père, il a construit beaucoup de maisons ici ?

des maisons pas tant, mais des granges dans les mayens

 

La première radio


oui, je me rappelle qu'il avait fait la grange qui a brûlé à La Raïre.

Et la vie au village c'était quoi ? il y avait les veillées, la radio ? toi, tu te rappelles quand la radio est venue ici ?

Oui, je crois que c'est Joseph Lathion le premier qui l'a eue juste avant la guerre parce que les femmes allaient laver au bassin et Joseph y venait chercher l'eau... Alors elles demandaient des nouvelles de la guerre, tu vois, "pas tant intéressant, il disait, ils attachent les femmes et ils tiraient dans les yeux" …


où il avait trouvé cette nouvelle ?

il avait inventé... et le lendemain elles demandaient : "Et aujourd'hui, qu'est-ce qu'ils ont dit ?" « Ah, aujourd'hui ils ont été plus catégoriques, ils ont dit que pendant que la guerre était là-bas, nous on était si bien ici »


et après, il y a eu d'autres radio, non ? papa chez nous ?

Oui, aussi Louis Praz, Lucien Salamolard, Lucien Fournier


pendant la guerre, ils venaient tous écouter la radio parce qu'ils avaient peur...

bien sûr, en-bas à "Ousse" c'était Jean Fournier qui faisait les commentaires ; un personnage ! c'est lui qui a fait les conduites pour moi, qui a amené l'eau depuis la laiterie là-bas jusqu'à la maison, j'ai construit en l956. J'ai fait les fouilles seul. Depuis le chemin de la Tzintre, c'était du beurre, mais quand je suis arrivé à la grange à Damien ici, en haut les talus...tout dans le brisier, dans la pierre ; un mois ! un mois ! car j'ai fait tout seul. Et les fondements de la maison, il n'y avait pas de trax, alors...l'huile de coude !

 

La première faucheuse, le tracteur tout terrain…


et Jean lui il était...

appareilleur ; il vissait les tuyaux, mettait les robinets, il a appris avec les yeux comme beaucoup d'autres. Et tu sais combien il m'a demandé pour installer la conduite depuis là-bas ? 60 francs. Il fauchait chez Wolf aux Mayens de Sion et moi j'avais déjà acheté la faucheuse. Il m'avait rendu un immense service et a tout commandé le matériel à son nom, au nom de l'entrepreneur, j'ai eu meilleur marché ; alors j'ai dit à Jean, aujourd'hui je peux te donner un coup de main pour faucher.. Oui, il a dit, mais c'est sûr qu'il « rase » pas comme la faux à moi. Une partie là, c'était fauché ; il avait déjà fauché le matin le foin ; moi j'ai laissé partir la faucheuse là, l'herbe se couchait sur les cotés comme ça ; il était ébahi. Il a dit : « le premier outil que je veux avoir à la maison , c'est ça ! » L'année d'après, il avait la faucheuse. C'était un type intelligent. Et puis, j'ai fauché deux heures de temps sans m'arrêter avec la faucheuse. Ils ont emmené six tracteurs de foin. Normalement il avait toute la semaine pour faucher.


ça c'étaient les premières faucheuses qu'il y avait à Veysonnaz ; au début des années soixante ?

c'est sûr. Il y avait des tracteurs, mais tu ne pouvais pas sortir de la route, du chemin, ils n'avaient pas la traction quatre roues. Après ils ont eu la traction à la remorque aussi. Le premier tracteur, c'est Edouard Praz, qui a acheté un RAPID, qui sortait dans les prés, qui grimpait... et puis le "AEBI" à moi il est encore là, 1962, il marche encore c'est sûr ! Je devais aller travailler pour tout le monde

 

On rigolait… les veillées


Avant la radio, les loisirs c'était quoi ? les veillées ?

oui, les veillées, jouer aux cartes ; dimanche après-midi les gens se rassemblaient sur la place et discutaient des consortages, des bisses, de l'alpage, ils racontaient des histoires...

Une histoire : Firmin, un orateur hors pair ; sur la place du village, il prêchait, il prêchait… ; l’un des anciens s’écrie alors : « D’après moi, Firmin ici, il a trop de débit pour le savoir qu’il a » et Firmin rigolait plus fort que les autres…


finalement, ils avaient beaucoup d'humour, non ?

ah, c'est sûr, ils faisaient des farces et après, ils venaient, les flics ; ils ont dû arrêter ; ils allaient trop loin ; ils faisaient des « dzefs », des pompes pour gicler. Un jour, à la bonne saison, il fallait discuter pour l'eau, quand ils prenaient l'eau, tout ça ; ‘j'étais en bas à la Golette chez Batian et Joséphine ; il y avait Félicien qui avait la djef et il a vu sortir le nez de Batian ; il gicle ; alors Batian dit à Joséphine : « j’ai bien pensé que j’étais une ‘gnaffe’ » et sa femme lui dit : « alors pourquoi tu as sorti la tête si tu savais avant »


les veillées ?

on jouait aux cartes, on pouvait pas jouer à l'argent, y en avait pas, mais aux allumettes ; on sortait avec une poignée d’allumettes et l'autre, il avait plus d'allumettes pour allumer le feu…

 

Les villages voisins

JM

il y avait beaucoup d'échanges avec les autres villages autour ?

F

pas tellement ; avant on peut dire que c'étaient des tribus. A Salins, il y avait un groupe qui allait se bagarrer aux Agettes, même à Veysonnaz , en là par Nendaz... ; et puis les Nendards, ils organisaient des bagarres entre eux. Tu te rappelles quand ils ont inauguré la maison d'école ici, ils avaient affiché à Nendaz : « le car est payé pour aller battre les barloukas ». Il y en avait plein le car. Dans le village ici. Devant l'écurie de l'oncle Louis, le café Bonvin, ils ont astiqué les premiers ; je ne me rappelle pas si c’est le vicaire ou Damien Théoduloz qui est venu à l’école : « venez, ils se bagarrent » ; il y avait à l’école le gros Genoud, le gendarme de Nendaz ; tout le monde est sorti ; les Nendards ont été à moitié assommés. Il y avait des solides à Veysonnaz, Jean-Maurice Fragnière, il en a eu un, un Darioli, avec pantalons golf et cigare ; il l’a « piqué » dans le bassin, il est resté dessous, toujours avec son cigare

JM

C’est Michel Bex qui évoquait une bataille rangée aux Biollets avec les Nendards ; selon les mots de Jean-Samuel : « grande bataille généralisée…, des têtes, des bras, des jambes…, du monde partout dans les chemins », des accents dignes des chroniqueurs de l’histoire…

F

Firmin , il était au service militaire ; il avait le béguin d'une des Biollets, alors quand il envoyait une lettre, tout le village était rassemblé pour voir ; ils rigolaient…. ; une fois, comme il alpait à la Meinaz  il a écrit au curé:"pouvez-vous me dire s'il y a eu batacline à la Meconèque » (en clair, si les vaches avaient bien lutté)

Après l’appel, au service militaire, il faisait du vélo avec une fille ou deux ; alors il écrit : « la nuit se passe ici à tricyclette avec les ticinese » ; il faisait chaud et il dit : « ici il fait très cha » ; la mère se dit : « d’après moi, il a cassé (« trocha », en patois) la crosse du fusil, il faut envoyer un peu d’argent »

Les gens rigolaient

 

Les vignes à Vétroz, la piquette


Une fois, tu m’avais parlé des vignes à Vétroz

Tu sais comment ils ont pu acquérir les vignes à Vétroz ? En plaine, il y avait la famine ; ici en haut, ils avaient des champs ; ils cultivaient le seigle, l’orge, l’avoine…


Pourquoi il y avait famine en plaine ? La sécheresse ?

Sûrement ! Alors ils allaient en bas avec une charge de blé, à dos de mulet et ils faisaient marché pour un petit bout de vigne ; petit à petit, ils ont pu acquérir des vignes à Vétroz


Ils faisaient le vin ici dans les caves ?

Ah ! oui


Et toi, tu disais qu’ils faisaient une bonne piquette ? Mais la piquette n’avait pas bonne réputation…

Mais la piquette, c’était excellent ! C’est sûr que s’ils rechargeaient trois fois, elle n’avait plus beaucoup de goût… Quand ils avaient fini le vin, il restait le marc ; avant il n’y avait pas les égrappeuses comme maintenant ; il y avait les manches, tout dedans ; ils rajoutaient du sucre et puis de l’eau et la fermentation repartait, et c’était bon ; c’était mieux que le vin drogué de maintenant ; c’était naturel

 

La foire à Sion


Et puis à la foire, à Sion, on y allait régulièrement ?

On allait souvent malgré qu’on n’avait pas du bétail à vendre ; pour regarder, être devant les vitrines… ; moi j’aimais bien la foire ; il y avait plein la Planta de bétail ; attaché dans les arbres, dans les bancs, à l’Avenue de la Gare ; et puis l’oncle Louis (Salamolard) cherchait une vache et il dit : « il n’y a rien pour moi ici aujourd’hui » ; il ne trouvait rien ; mais moi je lui dis : « tu vois celui du chapeau ; il vend une vache pour 1’100frs et toi pour 1'000 frs, tu l’as dehors » ; c’était une jeune vache de deux veaux, et puis bonne façon ; moi j’avais discuté avec celui là d’Hérémence ; moi je n’achète pas mais je lui dis : « cette année, les vaches ne se vendent pas cher ; pour 1'000 frs, c’est un bon prix ; sinon tu la ramènes en haut » ; et je dis à Louis : « tu marchandes pour 1'000 frs » et il l’a eue pour 1'000 frs ; une vache à 25 litres ! mais ils n’ont jamais gardé une vache à 25 litres ; le marchand de bétail, Arthur Sauthier, l’a rachetée pour 2’500 frs ; une bonne affaire !

 

Les reines


Les vaches à l’époque, la priorité, c’était plus la production de lait que la corne ?

Oui, le lait, c’était pour la plus grosse partie des gens ; alors il y avait quelques uns qui pouvaient se permettre de soigner une vache pour devenir une reine ; avant ils trayaient encore les reines ; aujourd’hui, ils ne traient plus les reines ; elles sont taries direct ; j’ai acheté pour René (Fournier) ; elle a fait reine cinq ans d’affilée à la Combyre ; elles n’étaient pas tellement « poussées » ; c’était « du bon » ! Je lui ai fait gagner 40'000 frs sur trois bêtes ; René était très ambitionné aux reines


Vous alliez chercher où ces reines ?

Dans le Haut Valais, à Ergisch ; on partait le samedi, après le courrier distribué à la poste; et le dimanche matin, quand il y avait les combats de reines ; René était passionné ; son grand père avait gardé une reine


A l’époque, on disait qu’il y avait reine de la corne et reine du barlet (pour le lait)

Il y avait des vaches qui étaient reine à corne et reine à lait ; c’était exceptionnel


Toi tu es resté ici à Veysonnaz ; tu as vécu, au départ de l’agriculture

Oui, des fraises, des framboises… ; et une journée par ci par là ; avant de me marier, j’ai travaillé à Barberine, 29 mois ; là j’ai mis de l’argent de côté pour me marier ; j’avais 10'000 frs quand je me suis marié ; mais la plus grosse partie des gens qui se mariaient, allaient acheter un lit d’occasion à Brignon chez François Gilloz !

10'000 frs, c’était une belle somme !


Et les fraises, les framboises : ça rapportait de l’argent ?

C’est sûr ; mais moi j’ai fait de l’argent avec le bétail ; j’ai fait trois années de suite 10'000 frs; je faisais de l’élevage des « taques » ; en 10 ans, j’ai payé le chalet avec les vaches ; je faisais le tour du canton…