angelineservante de cure

née en avril 1913

Agée de 92 ans, pleine de tendresse, le regard vif…


Entretien du 8 juin 2005 mené par Jean-Maurice Délèze


L’entretien débute sur l’alimentation au temps de l’enfance…

Angeline

Tu sais, on ne mangeait pas si mal


Est-ce qu'il y avait de la salade ?

Non, je ne pense pas avoir mangé de la salade en ce temps là


Et des haricots ?

Oui alors, des haricots, des pommes de terre


Des carottes ?

Pas beaucoup de carottes mais des poireaux, des oignons...

On vivait de ce qu’on cultivait…


Aller à Sion, le mulet, la foire…


Comment faisaient-ils ? Ils achetaient les semences à Sion ?

Probable, ça je ne sais pas.


Et sinon, ils allaient à Sion parfois, à la Foire ?

Oui, ils allaient à Sion avec le mulet.... Marguerite, ma maman allait à Sion chercher le courrier, Après, je sais pas combien de temps après, c'est venu à Salins mais avant il fallait faire ça.


Tu te rends compte ! Tous les jours à Sion ? Y compris le samedi ?

Oh oui, toujours.


C'était vraiment une corvée

Oh oui, c'était dur. Après aussi, il fallait allait chercher le courrier à Salins avec le mulet, tous les jours.


Vous ne faisiez pas du charbon de bois ici ?

Je ne crois pas, je ne me rappelle pas.


Ils brûlaient plutôt du bois ici ?

Oui, plutôt du bois


A part ça, les paysans de Veysonnaz allaient à la Foire une fois par mois ? une fois par semaine ?

Ils allaient quand ils avaient des bêtes à vendre. Il y avait un tel jour, le samedi par exemple, et ils allaient vendre des vaches, une chèvre, ils avaient un peu d'argent comme ça, avec la vente des bêtes.


Pour les gens de Veysonnaz, c'était ça, les ventes à la foire...

Oui, mais moi je ne sais pas de quoi on vivait, de peu de chose, de ce qu'on cultivait même, des pommes de terre, du pain... et puis on n'avait pas tant de bonnes choses, on n'avait rien...Oui, la viande, je crois qu'on en avait un peu presque tous les jours.


Est-ce que les gens de Veysonnaz ont eu faim ?

Je n'ai jamais entendu ça. On mangeait pas des choses spéciales mais du pain on avait toujours. Chez nous on était pauvre. Du fromage, on n'avait pas souvent. On n'avait pas de la confiture, on n'avait rien. On mangeait du pain. Du fromage, peu.

JM

Mais il y avait des fruits quand même, un peu ?

Ah, je sais pas combien ils avaient de fruits. Des petites cerises (sauvages), des pommes, je crois qu'il y en avait un peu mais on cultivait pas ça non plus. On avait hérité un pré à Prajean où il y avait des pommes.


Des poires ?

Si, je crois qu'on avait des poires, des petites, des petites prunes aussi, des djanettes.


Finalement c'était peu varié la nourriture ?

Oh oui, c'était peu varié mais tu vois pourtant ils vivaient assez bien.

 

La maladie


Et quand ils étaient malades, comment ils faisaient ?

Comment ils faisaient... ils se débrouillaient tout seuls à la maison...

 

Est-ce qu'ils utilisaient des herbes pour se soigner, des tisanes ?

Oh oui, je crois, ça ils utilisaient beaucoup. Et puis on pouvait boire du café, il y avait déjà du café.


On pouvait l'acheter à Sion ?

Sûrement. Et puis ils faisaient du boire avec de la farine ; ils tapaient et buvaient le jus ; c’était bon… ; papa nous disait toujours : « Be pas de café... e pas bon » (« ne bois pas de café, c’est pas bon » ; bois plutôt du petit lait (étcha) ! ou de ce liquide à base de farine (je ne me rappelle plus son nom en patois)


La farine était grillée ?

Pas même... mais certains ne voulaient pas boire l'étcha, maintenant on l’aime bien ; toutes des choses qu'on aime bien maintenant qu'alors on n’en voulait plus. Et tu vois, on vivait avec peu de chose, pour tout, pour tout, Oh mon Dieu, pour les habits, pour tout...

La première épicerie


Tu te rappelles quand il y a eu la première épicerie à Veysonnaz ?

Ah, ça c'est Francillon je crois qui eu la première épicerie, le père de Marcel Fournier. Je pense. Peut-être qu'ils en ont eu une avant déjà.


C'était dans les années 20-30 ?

Oui, je pense, de mon temps, tu vois, de mon temps.


Et qu'est-ce qu'ils vendaient, tu te souviens ?

Un peu de tout. C'était là où habitait Nanette, où il y a le bistrot maintenant, chez Guy Fragnière, c'était là l'épicerie. Là il y avait rien qu'un magasin, c'était pas tant... On y trouvait du sucre, du sel, du café, je ne sais pas s'il y avait déjà du pain.


Des outils aussi ?

Peut-être bien ; pas beaucoup.

Les contacts avec l’extérieur, à part Sion


Finalement ils avaient peu de contacts avec l'extérieur, à part les foires à Sion ?

Oui, ils avaient peu de contacts. Il y avait jamais des gens qui venaient en vacances, jamais.


Tu parlais du service militaire. Ton papa, Jean, il est allé où pendant la Guerre de 14-18 ?

Oh, je me rappelle pas.... ils étaient tous ensemble là... pas en Valais... dans d'autres cantons


Tous les hommes allaient au service militaire et c'était une occasion de connaître d'autres personnes ?

Oui, je sais pas

Les Mayens de Sion, les « Monsieurs » et les myrtilles


Mais autrement à part la foire à Sion, est-ce qu'ils allaient déjà aux Mayens-de-Sion ?

Quand est-ce que ça a commencé, je ne sais pas mais de mon temps, j'allais toujours. On allait cueillir des myrtilles et on allait les vendre aux Mayens-de-Sion.


Parce qu'il y avait déjà ce qu’on appelait les "Monsieurs" ?

Oui


Il y avait déjà les vieux chalets ?

Oui, ça existait déjà de mon temps


Et vous, vous alliez vendre les myrtilles, les framboises ?

Surtout les myrtilles, on allait les vendre et on avait tellement la frousse pour aller aux Mayens de Sion quand il fallait passer au Tsable du Guéraz. Parce qu'on avait peur des "Dumas" 


Pourquoi ils avaient peur du Tsable du Guéraz ?

Mais je sais pas pourquoi ils avaient peur des Dumas, à la maison on en parlait toujours, c'était pour faire peur ; quand on était en bas au çu (pâturages en-dessus de Salins), la peur qu’on avait : ils nous disaient : « ils passent par ici les Dumas ! »


Et puis alors là-bas vous vendiez combien le panier de myrtilles ?

Oh moi je sais pas combien, peut-être cinq francs...


Et vous alliez les ramasser avec le peigne dans la forêt ?

Oui, il fallait aller les chercher là-haut dans la forêt


Et en même temps vous rigoliez bien...

Oui, surtout avec Alice, ma sœur, elle était tellement comique ! Un jour on était là-haut et elle a dit : "Horané, j'ai mis un soulier de papa et un soulier à moi !" Et elle s'est aperçue de ça tout là-haut parce qu'elle avait mal aux pieds ! Il y avait des combines à mourir de rire. Tu sais, maintenant les gens y rigolent pas beaucoup mais en ce temps-là, on riait beaucoup et puis par exemple ensemble dans les veillées comme ça...

 

Les veillées


Comment, justement, c'était ces veillées ?

Eh bien le soir, après le souper, on allait chez quelqu'un. Moi, je vois toujours du temps du curé Zuber... Tu as connu Hélène et Marion, chez eux il y avait deux ou trois jolies filles et alors les garçons de la Vernaz venaient veiller là et ils dansaient des fois...


Avec quelle musique ?

Avec la musique à bouche et je me rappelle toujours ; j'étais là à regarder danser et le curé est arrivé. Je me rappelle toujours, je ne sais pas quel âge j'avais et il a dit :

« Encore cette gamine qui est là maintenant ! » J'ai dit : "Moi je suis perdue, je suis perdue "


Toi tu avais quel âge, 15 ans ?

Mais non, j'avais même pas huit ans, quatre - cinq ans peut-être, j'avais juste commencé l'école et j'ai dit "je suis perdue, après le curé il m'astique"... alors j'ai été chez le curé et j'ai dit "C'est la première fois mais M. le Curé je vais plus jamais...." (grands rires !)


Donc ces veillées c'était presque tous les soirs ?

Non pas tous les soirs parce que les gens ils devaient travailler il ne pouvaient pas veiller tard. Il faudrait demander à Thérèse Bex parce qu'elle se rappelle beaucoup de choses de ces veillées et c'est très rigolo...


Mais pour en revenir aux Mayens-de-Sion, les gens quand vous alliez vendre ces myrtilles...

Oh ils disaient "Ces pauvres diables" et ils prenaient... ; et d'autres fois on était trompés, ils disaient "Il n'y a pas plus que ça... On disait "horané, pas mis que cha inkj » !


Et le dimanche, vous alliez aux Mayens-de-Sion : il n’y avait pas le bal, les jeux de quilles...?

Oh mon Dieu, si, on y allait pendant les vacances, il y avait toujours grand bal, grand chenil, grand chenil aux Mayens-de-Sion... J'allais avec tante Céline parce qu'on était pratiquement du même âge, deux ans de différence. Je disais pas « tante » parce qu'on était grandes copines... Je me rappelle qu'une fois on était allées au bal aux Mayens de Sion, on était restées assez longtemps et puis on est revenues... Grand-maman Delèze nous avait dit un mot terrible, je ne me rappelle plus comment mais c'était terrible. Je me rappelle comme on était astiquées quand on arrivait à la maison.

 

Départ du village


Combien de temps es-tu restée à Veysonnaz ? Quand as-tu quitté le village ?

Je suis partie chez le curé à 23 ans. J'avais fait deux places déjà. A Saxon et à Charrat. Là, dans une famille avec trois enfants et dont la mère était dépressive. Elle a dû partir pour se faire soigner et j'ai dû m'occuper des enfants dont un bébé qui dormait dans un berceau près de mon lit. J'avais peur, je perdais un peu la tête, je n'osais pas dormir, je me disais "Est-ce qu'il va bien, est-ce qu'il dort bien ?"


Comment avais-tu trouvé cette place ?

Je ne sais pas, je suis partie parce qu'après un certain temps ils ne m'ont plus gardée mais je me plaisais beaucoup et les enfants étaient très attachés à moi. Quand je suis partie, ils m'ont accompagnée à la gare et criaient " Tantie » prends-moi avec toi". Je m'en rappelle toujours parce que j'ai trop souffert de ça.


Combien de temps es-tu restée là-bas ?

Un ou deux ans, jusqu’à ce que je suis partie chez Monsieur le Curé. Je gagnais environ 50 ou 70 francs par mois. Je donnais un peu à la maison mais souvent il ne restait pas grand chose à donner...

L’ancien président Délèze et sa Marguerite


A l'époque où tu étais à Veysonnaz, Jean Délèze était déjà président ?

Je ne crois pas, plutôt après.


Tu as bien connu Jean Délèze, c'était un bon type ?

Oh oui, je l'ai bien connu. Et c'était trop joli ce couple, tu sais comment ils se sont mariés ? c'est trop joli... Chez grand-maman Marguerite, ils avaient besoin d'un homme à la maison, il y avait de la campagne, des prés... et tu sais qu'elle avait 16 ans quand elle s'est mariée, elle ne savait rien du tout de la vie, rien du tout. En ce temps-là on n'apprenait pas tant de choses, c'est ton grand-papa qui lui a enseigné pour les enfants et tout, elle savait rien, rien du tout, mariée à cet âge-là... Oh, pourtant qu'est-ce qu’ils se sont accordés ces deux-là, qu'est-ce qu’ils s'aimaient ! Je me rappelle toujours à la fin encore grand-papa l'appelait « hora y noutre chi » (oh là là, la nôtre ici…) avec tellement de bon coeur, je trouvais ça tellement joli. Je me rappelle toujours une fois qu'ils remontaient des vignes du côté de Salins, les deux en même temps, grand-papa disait à grand-maman :"Nous deux, il faudrait qu'on puisse mourir tous les deux en même temps" !


Marguerite, c'était qui ?

C'était la soeur du papa de Mélanie et d’Emile, et son grand frère, c’était l'oncle Eugène qui était curé à Vétroz pendant longtemps : j’étais servante chez lui pendant un an.

Marguerite et Jean, ils se sont mariés si jeunes et je pensais comme ils s'aimaient, plus tard quand ils étaient seuls à la maison, ils allaient à la cave manger le goûter, boire un verre d'humagne ; oh ! ils s’aimaient ces deux là. ; c’était très joli

L’école


A l'époque, il y avait l'école primaire, elle était où ? Tu as été à l'école ici ?

C'était chez Angèle d’Adrien Fournier


Qui était l'instituteur pour toi ?

C'était l'oncle Henri, ton papa. Et moi, je n'étais pas bonne pour les problèmes et tout ça... alors il me grondait ! Je crois qu'il était bon comme instituteur.


ça a démarré à ce moment-là l'école ?

Non, il y avait du temps de ma maman déjà, elle m'avait dit comme elle était bonne à l'école, le régent lui donnait des images ; elle est devenue sourde plus tard ; elle avait attrapé la rougeole et ils ne l’ont pas gardée à la maison, ils l’ont laissée aller à la campagne

 

Le frère Henri


Et ton frère Henri ? comment a-t-il pu faire des études ? Il a fait l'école primaire et puis après ?

Il a fait un temps au Séminaire, chez les Pères, pas au Séminaire à Sion


Et puis les études, c'est l'oncle Jean qui a payé ?

Oui, et puis alors ça coûtait pas beaucoup


A l'époque ici à Veysonnaz, il y avait beaucoup d'artisans ? Par exemple, celui qui faisait les souliers, Maurice Glassey, tu te rappelles !

Je ne sais pas s'il y avait quelqu'un qui faisait les souliers... sûrement qu'il y avait quelqu'un...


On m'a dit aussi Francillon, lui faisait les meubles en osier

Je ne me rappelle pas de ça ; mais Francillon avait un frère, Djan, qui ne voyait pas

 

Fin de l’entretien