VueancienneIl était une fois Veysonnaz : 390 habitants, 1240 mètres d’altitude, agrippé à son éperon dominant la plaine du Rhône. Ses 111 hectares de terre en font la plus petite commune du Valais. Son revenu fiscal par habitant la classe communauté la plus pauvre du Valais romand. « AVeysonnaz, nous faisions carême toute l’année » relève Henri Fragnière, un enfant du village devenu juge fédéral.

Dans les années 50, le village, triste, n’a de fière que son église blanche et altière. La cure se lézarde. L’école craque. Les petites maisons trop sombres, trop noires, trop serrées, offrent un confort rudimentaire. Les villageoises, fichu sur la tête, lavent leur linge à l’eau glacée de la fontaine. Le « barlouka », puisque c’est ainsi qu’en patois, on désigne le Veysonnard, travaille l’été aux champs, l’hiver à l’écurie et soigne sa piquette, cette boisson acide, confectionnée et tirée des résidus du pressage des raisins, additionnée d’eau et de sucre. Le paysan tire quelques maigres profits de la culture de la fraise. En 1958 les fraisiers gèlent. A la gêne succède la misère. Les grands troupeaux de vaches sont rares. Les chèvres que l’on appelle « maé » caracolent et agitent leurs sonnettes au son aigrelet. 

Veysonnaz n’a de joyeux que son carillon. Le dimanche matin, il danse dans l’air une sarabande presque païenne. C’est ainsi que Liliane Varone, que tout le monde connaît à Veysonnaz, présentait notre village dans le document qu’elle créa à l’occasion des 25 ans de Téléveysonnaz.

 

Partant de cette situation pour le moins scabreuse, le Veysonnard d'aujourd'hui ne peut qu'applaudir aux changements qui sont survenus et qui ont débuté à l'orée des années 60. Dès cette époque, lentement l'élevage et la culture des fruits, de la fraise puis de la framboise, diminuent. Des temps nouveaux apparaissent, caractérisés par deux mots-clés : le tourisme et l'ouvrier-paysan.

« Il faut s'en sortir » décident Henri Délèze et Lucien Fournier, ancien et actuel présidents de la commune. Les luttes politiques ouvertes, opposant les deux clans : Délèze et Fournier, depuis le début du siècle ne facilitent pas la concrétisation d'un projet commun. Mais l'heure sonne, grave...

Lucien Fournier, scieur, tente d'attirer l'industrie ou l'artisanat. Il prend des contacts à Neuchâtel. Henri Délèze, skieur, pense au tourisme. Si l'on exploitait les champs de ski, si l'on construisait des remontées mécaniques, un télésiège, une télécabine ?

enarrivantNous sommes en 1954. Le village émergeait à peine du Moyen-Âge !

L'idée fait son chemin. Les villageois ne sont de loin pas unanimes. Il faut bien expliquer et persuader. Et surtout réunir les deux camps politiques, pour qu'un comité d'initiative parvienne, sous l'égide de Me Emile Taugwalder, à construire une télécabine de Maggrappe à Thyon.

On claironne la trouvaille. Nendaz sort la hache de guerre. Vex montre les crocs. Sion développe un contre-projet. Cette fronde va cependant être balayée assez rapidement et le 27 juillet 1957, Berne écarte les oppositions et accorde la concession, au grand dam des adversaires.

L'autorisation arrive. Il faut maintenant trouver les fonds. L'argent manque. On cherche 750'000 francs. La communauté de Veysonnaz démunie, ne parvient pas à réunir la somme nécessaire. Des solutions sont imaginées mais en vain. Berne menace de retirer la concession. C'est la catastrophe.

Heureusement l'argent tombe. La Banque cantonale valaisanne accorde un crédit de 350'000 francs. Victoire ! Suivie d'un immense désenchantement. Le comité d'initiative sollicite des offres. Curieusement les réponses tardent. Il y a de la manipulation dans l'air. On soupçonne même Me Michelet, directeur de Télénendaz, de faire de l'obstruction et cela pour des motifs de basse concurrence. On voyait en effet d'un mauvais œil le partage des potentialités d'une région, si petite soit elle. Pensez voir, Veysonnaz avait eu l'audace de lever les yeux vers Thyon et de se profiler sur des terres qui n'étaient même pas du patrimoine communal. L'adjudication des travaux est finalement attribuée à l'entreprise Giovanola Frères à Monthey.

Un nouvel orage gronde. Tout au long du parcours, les oppositions naissent. Les propriétaires refusent de céder le droit de passage ou réclament des moins values substantielles. Cette procédure a été un vrai chemin de croix et elle a finalement débouché sur la sollicitation d'une reconnaissance d'utilité publique. Cahin-caha les travaux sont menés à bien et le 22 juillet 1961, Berne autorise la mise en exploitation de la télécabine ; les premiers employés entrent en fonction.

L'avènement du tourisme à Veysonnaz est indissociable de la construction de la télécabine, avec la figure marquante d'Henri Délèze, et de la reprise des destinées de cette Henriremontée mécanique en 1964 par René Fournier. Il a fallu beaucoup de courage et de volonté et tout le dynamisme de ces deux pionniers pour permettre à Téléveysonnaz de surmonter ses problèmes, d'assurer sa survie et de se développer pour atteindre la taille que nous lui connaissons aujourd'hui. Les difficultés financières n'ont pas manqué. Elles étaient liées essentiellement à la nouveauté du produit proposé et à un réservoir d'utilisateurs autochtones restreint. Après plusieurs exercices déficitaires, l'aide de financiers genevois a été sollicitée. Elle a permis de reconstituer et d'augmenter le capital social, pour repartir sur une base solide.

Parallèlement, René Fournier devenait promoteur immobilier et il se mit à construire à tour de bras les logements et les services afin de constituer le fond de clientèle indispensable. La situation s'améliora ainsi rapidement et l'ère des grands dévelloppements commença. René Fournier, qui avait pris entretemps la maîtrise totale de la société, agit avec hardiesse et apporta un développement extraordinaire en créant de nouveaux téléskis, en prolongeant les installations jusqu'aux Crêtes de Thyon, en construisant la piste et la nouvelle télécabine de l'Ours, puis en créant la liaison avec Télénendaz et Téléverbier, dans le complexe des 4 vallées. Des personnalités de premier plan ont conçu ces projets et participé aux développements de ces régions. Des gens comme Henri Fragnière, Yves Maître, Félix Carruzzo, Michel Michelet, Rodolphe Tissières et René Fournier ont imaginé cette évolution et mis tout en œuvre pour réaliser l'équipement de ce vaste domaine.

 

ReneBien des personnes diront que tout cela ne s'est pas fait sans grincements de dents. L'aménagement de la piste de l'Ours, à l'intérieure de l'impressionnante forêt bourgeoisiale de Sion, est entrée dans l'actualité avec fracas, par la porte du scandale. La Suisse hurle. Les bourgeois de Sion crient au bradage de leurs biens. Le massacre est consommé. Le résultat : Honoré Bonnet, président de l'Association internationale de ski, venu sur place pour l'examen de la candidature de Sion aux JO, s'exclame : « C'est la plus belle piste de ski de descente du monde ! » David Praz, ancien président de la commune, résume ainsi les retombées du tourisme pour notre village : « Veysonnaz sourit. Les filles sont belles, les garçons entreprennent. La jeunesse reste au village, édifie. De coquettes villas fleurissent. Les grands-mamans rafraichissent leur sombre demeure. Les chèvres ont disparus. Lorsque le troupeau est à la montagne, on achète le lait en berlingot. L'argent sonne ». Il souligne aussi que sur le plan économique, le tourisme est la seule solution, actuellement, pour sauver les populations de montagne de l'exode. L'exemple de Veysonnaz est pour lui significatif : 390 habitants en 1960, 500 en 1985. 40'000 francs de recettes en 1964, plus d'un million en 1985 dont les 2/3 proviennent du tourisme. Les générations futures jugeront. Beaucoup ont pensé que cela était bon, utile, nécessaire, indispensable pour cette région de montagne. Les élus locaux se sont investis dans ce développement. Ils y ont participé et ont entraîné en cela toute la population à leur suite. Aujourd'hui, une machine est lancée. Son inertie est immense. Où et quand s'arrêtera-t-elle ? Des questions se posent. Des doutes s'expriment. Les réponses tardent à venir.

TOURISME : QUATRE ARTICLES DE PRESSE (résumés)

Projet de la télécabine : homme du projet : l'ancien président Henri Délèze selon Feuille d'Avis du Valais (Fd'A) du 27 mai 1960.

Comité d'initiative constitué en 1954 : Emile Taugwalder, avocat notaire à Sion ; Maurice D'Allèves, préfet de Sion ; Roger Bonvin, président de Sion ; Norbert Roten, chancelier d'Etat à Sion ; Henri Fragnière, Sion ; Reynald Actis, fiduciaire, Sion ; Alphonse Fournier, président de commune à Veysonnaz ; Henri Délèze, ancien président de commune ; Lucien Fournier, ancien président de Veysonnaz ; Cyrille Glassey, agriculture, Clèbes ; Paul Elsig, employé de banque à Sion ; Cyrille Pralong, agent général de Sion ; Pierrot Moren, restaurant à Sion.

22 juillet 1961 : Veysonnaz-Thyon : un pacte avec le tourisme moderne. Nouvelliste et Feuille d'Avis (NF) : Inauguration de la télécabine de Veysonnaz

Données techniques : 4km de pistes, 14 min de montées, 380 pers/heures, 19 pylones, 60%pente max, 43% pente moyenne, 772 de dénivelé. Texte surréaliste ??? qui dépeint le montagnard qui dénigre la plaine sans parler de l'inauguration en elle-même. Premier « voyage » effectué par le vice-président de la commune, Henri Fragnière et le président de la société de la télécabine Emile Taugwalder.

Décembre 1962 : lancement de l'hôtel Maggrapé

Article du NF du 28 décembre 1962 « Veysonnaz était jusqu'à maintenant un très sympathique village de montagne, mais peu populeux et pas davantage argenté. Il a décidé, avec les initiateurs de la télécabine de Thyon, de sortir d'un isolement qui aurait pu devenir fâcheux. Pour l'instant, la palme de l'effort touristique individuel revient à Monsieur Marcel Fournier, qui vient d'achever l'auberge des Magrappé. Il a, avec son père, Marcellin, menuisier de profession, tout le mérite de cette belle réalisation, imaginée par l'architecte Paul Proz. Cette hôtel compte une trentaine de lits répartis en 12 chambres spacieuses et confortables ainsi qu‚un original dortoir de 10 lits pour « famille nombreuse » ou groupe de touristes. » A signaler dans les maîtres d'oeuvre aucune entreprise de Veysonnaz, mais toutes ou presque de Nendaz. N'y en avait-il pas encore du côté de Veysonnaz ? Lien entre Paul Proz et Veysonnaz.

Article paru dans la Feuille d'avis juste après la construction de la télécabine fait un état de lieux économique de la commune sous la plume de Gilberte Favre :

« Une future station touristique : Veysonnaz »

« pour ce qui est de l'industrie, Veysonnaz est plutôt pauvre. Un projet de fabrique d'horlogerie avait bien été suggéré il y a quelques années, or il a échoué. Dans ce village, il n'y a ni artisan, ni laiterie, ni boucherie. Que voilà de graves lacunes qu'il faut à tout prix combler afin que Veysonnaz devienne vraiment une station complète, bien équipée, pour recevoir ses touristes et contenter ses veysonnards. Une laiterie et une boucherie passent bien avant une télécabine ou un relais d'émetteur de télévision, il me semble non ? Les coutumes veysonnardes n'existent presque plus. Les jeunes filles ne portent presque plus de costumes, à de rares exceptions près. En revanche, le patois subsiste toujours. Je ne sais pas si un concours floral a été organisé dans la région, mais les chalets de Veysonnaz sont tous plus fleuris les uns que les autres. Bravo ! »

1963 : Création de la Société de Développement de Veysonnaz. Article NF

Raisons : « vu l'extension touristique que prend la région de Veysonnaz et la nécessité de donner à cette nouvelle station une orientation sûre et harmonieuse. » Participants : « La plus grande partie des propriétaires de chalets, que leur domicile soit à Genève, Lausanne ou dans le Valais, étaient présents. » Orientation touristique : « De l'avis unanime, Veysonnaz doit rester une station tranquille et reposante où les chalets doivent s'ériger avec ordre et bon goût et les contacts entre la population indigène et les villégiaturant toujours nombreux et cordiaux. » «La configuration géographique de la région ne permet pas de créer un centre de station mondaine, mais bien au contraire l'implantation de nombreux chalets isolés auxquels le caractère spécifique valaisan doit être maintenu. » Décision : 11 membres au comité. Président : Michel Praz. Trois buts : développement de la région touristique (règlement de construction). Propagande/aménagements divers. Commune : fourniture d'eau potable. RM : constructions de deux téléskis modernes pour skieurs toutes catégories.

1976 : Inauguration de la route blanche Thyon-Veysonnaz-Nendaz-Verbier. Article NF

Bernard Bornet, conseiller d'Etat : « Il y a cinquante ans, les villages de Veysonnaz et de Beuson s'unissaient pour construire une route commune. Depuis plus de cinquante ans, les bagnards, les Nendards et les Veysonnards se regardaient de travers. Mais aujourd'hui, ils ont découvert qu'ils avaient le même visage. » Michel Michelet, président de Télénendaz : « L'avenir se trouve dans le ski de haute altitude sur de vastes domaines skiables empêchant les trous d'avant-saison et du printemps. J'insiste sur les accords passés avec les consortages d'alpage pour le nivellement des pistes. Des conventions ont été signées en 1972 déjà pour le réseau Super Nendaz et Veysonnaz. Aujourd‚hui, trois nouveaux téléskis construits par les employés de Télénendaz (la Tsa (1‚000 personnes à l'heure), Combyre III (1'000 pers/h), Greppon Blanc (800 pers/heures) concrétisent cette bonne entente entre intérêt agricole et touristique. Ces installations seront complétées en 1977 par le téléski de la Meina et un télésiège. » Soulignons la mise en service d'une télécabine entièrement transformée à Veysonnaz. Rodolphe Tissières, président de Téléverbier : « L'opposition à l'altiport n'est pas le problème le plus important de notre canton, mais elle créée un état d'esprit vers le Valais-réserve-folklorique contre lequel le montagnard doit agir en auto-défense. Enfin, il relève pour Verbier, grâce à la Route Blanche, de pouvoir souffler ailleurs ».

 

Voir aussi l'article du Nouvelliste du 20 septembre 1986