Source : Histoire des Forêts – Théodore Kuonen


Plan 18.08.1825Nous savons que la forêt de Thyon est mentionnée pour la première fois dans les statuts de 1269, où l'on réglemente l'exploitation des bois par les bourgeois de Sion sous l'autorité de l'évêque. On n'y mentionne ni les limites, ni l'appartenance du territoire. Cette concession de l'évêque laisse supposer qu'il pouvait en disposer librement, que cette masse de forêts ne faisait partie d'aucun des fiefs existant dans la région.

Ce privilège est explicable parce que la ville de Sion manquait de bois. D'autre part, elle avait un urgent besoin d'étendre ses pâturages et ses forêts. Elle ne pouvait le faire que du côté du cône de Thyon.

Par la suite, dès 1312, on peut constater que la Bourgeoisie est propriétaire de la forêt de Thyon. Elle procède en effet à des albergements de plusieurs parties de cette forêt et un premier document de délimitation de la forêt de la baronnie de Sion, en 1478, effectué par le vidomne de Sion avec la communauté de Vex, de Nendaz et de Veysonnaz l'atteste. Il y est question de renouvellement de limites.

« Une reconnaissance des limites entre les Magnifiques et Illustres bourgeois de Sion et les probes hommes de la communauté des Agettes date de 1634: il s'agit d'une visite et du renouvellement des limites séparant la forêt de la baronnie de Sion de celle de la communauté des Agettes dans sa partie nord.

Mais comment Les Agettes sont-elles devenues propriétaires de cette forêt ? Lors de la cession de la forêt de Thyon à la bourgeoisie de Sion, la région des Agettes était certainement très peu peuplée. Entre Veysonnaz et Vex, plusieurs familles nobles tenaient des terres en fief: Les Agettes auraient alors pu bénéficier de l'usage des bois. Il est probable aussi que l'évêque, devenu après 1375, propriétaire des terres des La Tour en divers endroits, ait cédé aux gens des Agettes une partie de forêt.

L'évêque est resté lui-même propriétaire d'une parcelle de forêt attenante à celle des Agettes, parcelle qui, du reste, a été vendue plus tard à cette commune. On ne trouve pas d'acte de reconnaissance par les gens des Agettes et de la Vernaz envers un seigneur, mais par contre il existe des reconnaissances des seigneurs de la Tour et d'autres nobles envers l'évêque. »

Après 1800, des difficultés ont surgi entre la bourgeoisie de Sion, le consortage d'alpage de Thyon, la commune des Agettes et celle de Salins. Il a été démontré, à propos des pâturages, que la bourgeoisie de Sion possédait une partie de l'alpage de Thyon et que, très tôt, elle dut défendre son territoire contre les abus des consorts de Vex.

En 1821, débutera le procès entre le consortage de Thyon et la bourgeoisie de Sion au sujet de la propriété de cette dernière, dans la partie supérieure du mont de Thyon et dont les limites avec les propriétés attenantes avaient été renouvelées depuis des temps immémoriaux et n'avaient jamais été contestées. Dans les actes de délimitation territoriale entre Vex et Sion, les allodiateurs (consorts) de Thyon n'étaient jamais intervenus. Il est à relever, en outre, qu'autrefois, une grande partie de l'alpage de Thyon appartenait à la Bourgeoisie, que les bâtiments d'alpage étaient séparés avant la fusion et que c'était le bétail des bourgeois qui allait, à certaines époques, dans la forêt de Thyon.

En 1842, après moult procédures, la bourgeoisie de Sion considère que l'herbage dans les sommités ne lui est plus d'une grande utilité. Elle présente des propositions au grand-châtelain. Les parties se rencontrent le 23 juillet 1846. Des propositions sont faites et finalement Sion accepte à contrecœur une ligne de délimitation allant de la Fontaine Noire au Point 4, qui sépare la baronnie de Sion d'avec Nendaz, en passant au nord de l'eau dite du Gouilly.foret-alpine

Ainsi, les terres et forêts au midi de cette ligne, situées dans la circonscription des limites baronniales existantes, sont et demeureront la propriété pleine et entière de la montagne de Thyon. L'acte de limitation entre la montagne de Thyon et la bourgeoisie de Sion est dressé sur les lieux, le 30 août 1847, et signé par les représentants des parties contractantes.

Mais ce n'est pas le seul démembrement que la forêt de Thyon va subir.

Les difficultés entre la bourgeoisie de Sion et la communauté des Agettes et de la Vernaz se sont précisées, en 1756, lors d'une défense de parcours dans le «jeune taille», à Chiffausa (Ziffeiisà) faite par la bourgeoisie de Sion, dans le but de favoriser la venue des bois: on avait procédé à une coupe en 1740. Le patrimonial fait divers rapports au conseil sur les prétentions de ceux des Agettes au droit de pâturage dans la forêt de Thyon. La Bourgeoisie refuse ce droit. Les Agettes sont tenues de produire leurs titres.

En 1802, du temps de la République helvétique, la régie de la ci-devant bourgeoisie de Sion, écrit à la municipalité des Agettes qu'à la suite des désordres et injustices qui sont commis par des personnes de la commune dans la grande forêt de Thyon appartenant à la ci-devant bourgeoisie de Sion, elle est invitée, avant qu'on agisse par voie judiciaire, de communiquer les titres et droits selon lesquels elle prétend avoir le droit de pâturage et de prévoir ensuite les arrangements convenables pour le bien-être réciproque.

En 1821, la Bourgeoisie lance un mandat de barre de la forêt de Thyon. Les deux parties comparaissent devant le châtelain.

En 1834, le vice-châtelain tente une réconciliation, en vain. Les représentants des parties sont interrogés. Le chancelier de Sion rappelle alors que la Bourgeoisie avait vendu aux gens des Agettes et de la Vernaz tous les pâturages qu'elle avait sur la commune, excepté ceux de la forêt de Thyon et qu'il y a eu, anciennement déjà, des barres au sujet des bois secs et verts. Le juge somme les parties de déposer les titres qui ont trait à la forêt.

Les documents d'archives ne reparlent de cette affaire qu'en 1855. En 1856, l'affaire est soumise au Conseil d'Etat auquel on demande de faire cesser immédiatement le parcours du bétail. Celui-ci s'adresse à la commune des Agettes qui lui répondra qu'elle a joui de l'herbe et du bois mort de temps immémoriaux et que la Bourgeoisie ne disposait que du bois vert. Il en résultait donc que Les Agettes et Sion devaient être considérées comme des copropriétaires, en proportion de l'avantage que chacune en retirait. Le procès est engagé auprès du Tribunal du Contentieux de l'administration.

Celui-ci porte son jugement le 4 janvier 1862, selon lequel la Bourgeoisie est déboutée de sa demande tendant à obtenir la suppression immédiate du parcours, en vertu de la loi du 21 novembre 1850. En 1864 l'affaire est portée devant le tribunal d'Hérens dont le jugement intervient le 19 décembre 1865.

Il est prononcé :

• que la bourgeoisie de Sion est déboutée de sa demande,

• que les droits réservés à la commune des Agettes sont des droits de servitude et non de copropriété.

Les Agettes font alors appel au Tribunal cantonal qui prononce, le 7 juin 1866, l'entière et exclusive propriété de la forêt de Thyon à la bourgeoisie de Sion et que Les Agettes exercent, à titre de servitude, le droit de prendre le bois mort tandis que la Bourgeoisie exerce ce même droit à titre de propriété.

Un droit de parcours sur ladite forêt, à titre de servitude, est en outre reconnu aux Agettes, servitude déclarée rachetable sur la base des lois de 1808 et 1833, pour tous les bien-fonds, sans distinction de nature, de localité et de propriétaire. La procédure pour le rachat de la servitude est alors engagée.

Finalement, les deux parties conviennent le 9 juin 1884, que la Bourgeoisie cède et abandonne en toute propriété et jouissance, à la commune des Agettes, une parcelle de 57 et 1/10 de seyteurs, de 800 toises de roi, soit 173'584 m2, à prendre à l'extrémité orientale de la forêt séparée par une ligne droite nord-sud, selon procès-verbal dressé par les ingénieurs délégués. Neuf bornes seront placées. La commune des Agettes renonce ainsi à la servitude de parcours et l'ancien droit de prendre du bois mort. La convention est acceptée et ratifiée par les assemblées bourgeoisiales et municipales. Elle a été dressée sous forme d'acte authentique, le 30 décembre 1885. Ainsi prend fin cette longue procédure.

geo.admin2 1900PL'étendue primitive de la forêt bourgeoisiale de Thyon va subir une nouvelle réduction, lors de la transaction intervenue avec la communauté de Salins. Des croquis visuels de 1825 et 1847 nous indiquent la situation en ce temps on y voit les deux grands dévaloirs, celui de Ziffausa, au levant, et celui des Geyi (Gayrard, Guerard), au couchant. Dès 1820, la partie de forêt située entre les deux dévaloirs, au-dessus du bisse de Vex jusqu'au sentier de Ziffausa, sera l'objet de contestations avec la commune de Sallens. Selon des témoignages, ce mas de forêt aurait fait partie de la «jeune taille», albergée par la Bourgeoisie à Sallens, en 1648, dans le but d'y prendre le bois mort, pour une durée de 10 ans, moyennant 3 fichelins de seigle annuels. Entre les deux dévaloirs, mais en dessous du bisse de Vex, se trouve la forêt embannisée de Sallens. Au couchant du dévaloir des Geyras, entre le bisse de Vex et ledit chemin de Ziffausa, se trouve une partie du Rard albergé à ceux de Veysonnaz, mais que Sallens prétend être en indivision avec Sion, comme du reste la partie qui se trouve en dessous du bisse. Par une remarque figurant sur le plan visuel cité, nous apprenons qu'en 1821, une délégation du conseil bourgeoisial a procédé à l'abornement le long du chemin de la Ziffausa, prenant comme points de repère deux anciennes limites: celle de 1694 au mayen de l'Hôpital et celle, datant soi-disant de 1461, à la Crista Luy (au couchant du châble Geyras).

« D'autres explications portées sur le plan nous informent que Sallens avait commencé en 1799, à couper du bois dans la forêt au-dessus du bisse, entre les deux couloirs. La délimitation entre Sion et Sallens, de 1821, a été provoquée par le fait que des ressortissants de Veysonnaz se permettaient des déprédations sur la partie de la forêt qui se trouve entre les deux châbles, tout en prétendant que ceux de Sallens ne s'étaient permis d'y couper du bois que depuis 1798, comme du reste aussi sur la partie du Rard.

Cette délimitation, faite sur proposition de Sallens, a suivi le sentier de Ziffausa et a effectivement tenu compte de la partie réclamée par Sallens. Sion aura donc abandoné ainsi cette partie de forêt ».

Pourtant, le bourgmestre de Sion écrira, en 1828, à la commune de Sallens que des droits de la Bourgeoisie ont été lésés par cette délimitation, laquelle n'a pas été ratifiée, et qu'elle doit donc être considérée comme nulle. Il défend, en outre, toute coupe et enlèvement de bois dans le mas de forêt que Veysonnaz tient en location. La bourgeoisie de Sion tâche de sortir de cette situation, vu qu'elle ne peut jouir de sa part et que toute la propriété subit des abus de parcours et des coupes de bois. Une visite des lieux et audition de témoins a lieu en 1835. A cette occasion, les limites du Rard et de l'indivis sont réexaminées. L'affaire en reste là.

En 1842, Sallens demande le partage de l'indivis. Mais ce n'est qu'en 1853 que les parties se rencontrent à nouveau sur le chemin de Sallens à Veysonnaz, au croisement du châble du Geyrard. Sallens prétend que, de là en amont, l'indivis s'élargit au-dessus des prés des Fontany (confins mentionnés dans tous les textes d'albergement du Rard aux gens de Veysonnaz depuis le XVe siècle) jusqu'à ceux de Prôlin.

Il s'ensuit une séance devant le tribunal du district de Sion, en 1854; elle n'apporte pas de résultat. Le 22 janvier 1856, pour mettre fin à ce procès concernant la propriété ou l'indivision de certains districts de la forêt située au-dessus et en dessous du bisse de Vex, les représentants délégués des deux conseils, munis des pleins pouvoirs des assemblées bourgeoisiales, ont passé une transaction dont la teneur est la suivante :Bûcheron Hodler

la bourgeoisie de Sion cède, en toute propriété et à perpétuité, à la bourgeoisie de Sallens, les parcelles de forêt se trouvant en dessous du bisse de Vex et au couchant du dévaloir dit Geyrard jusqu'aux mayens de Prôlin

la bourgeoisie de Sallens cède tous ses droits aux parcelles de forêt situées au-dessus dudit bisse jusqu'à la ligne territoriale séparant les communes de Sallens et des Agettes depuis le dévaloir Geyrard, au levant;

• pour équilibrer les valeurs respectives, la bourgeoisie de Sion payera à celle de Sallens la somme de 2500.- Fr.;

• la bourgeoisie de Sion conserve le droit d'utiliser le dévaloir sur Sallens, pour la vidange des bois comme jusqu'à ce jour. L'intérieur du dévaloir restera indivis.

En 1862, on procéda à la limitation de la forêt des deux côtés du dévaloir Geyrard. La limite territoriale entre Sallens et Les Agettes a été renouvelée en 1867.

En 1882, les deux communes, pour éviter un procès, effectuent une division équitable du trajet en discussion entre le Letschivre et le torrent de Zenzaffrey.

En 1900, la délimitation entre les deux communes est reprise depuis le plateau de Zenzaffrey. La délimitation définitive entre Sion et Sallens a lieu en 1889.

Ainsi s'est formée, dans le courant du XIX siècle, la propriété actuelle de la forêt de Thyon dont la surface a été déterminée à 176 hectares.


Et Veysonnaz dans tout ça ?

Depuis des temps immémoriaux cette communauté bénéficiait de droits dans un secteur bien délimité de la forêt du Rard. Elle pouvait y faire paître son bétail, ramasser bois mort et litière et procéder à des coupes de bois, à teneur des reconnaissances antérieures. Depuis le Moyen-Age, un nombre considérable d'actes d'albergement ont été signés, précisés et renouvelés jusqu'en 1847.

Mayens 1937A partir de cette époque et du démembrement de la forêt, consécutif aux procédures citées, Veysonnaz s'est apparemment retrouvée éjectée des ayant-droit et mis à part quelques griefs d'irrespect des règles de bail, on ne trouve dans la documentation, aucune explication à cette situation pour le moins surprenante. On peut légitimement se poser la question pourquoi cette communauté n'aurait pas bénéficié des mêmes avantages que ses voisines dans un partage de biens, dont le possesseur initial était l'Evêque de Sion qui, au vu des archives, la tenait en haute estime, sous sa juridiction spirituelle et temporelle jusqu'en 1798. A cette date, les biens meubles et immeubles de la communauté de Veysonnaz, tirés de la mense épiscopale, ont été rachetés et elle est devenue une commune politique libre.

Certains droits ont-ils été bafoués ? Beaucoup le pense sur ces hauteurs. En tout état de cause, ceux qui ont réagi (Agettes et Salins) ont eu raison de le faire... Cependant, un point essentiel demeure; il infirme toute idée de manœuvre frauduleuse. En aucun moment, ni en aucun endroit de la documentation il n'apparaît que la communauté de Veysonnaz ait eu des droits de propriété sur cette forêt. La teneur des actes d'albergement connus sont clairs à ce sujet.

Par ailleurs, à toutes les époques, les autorités du village ont été proches de ce dossier. Elles n'ont jamais émis de revendications allant à l'encontre du fait que cette forêt appartenait bien à la commune de Sion. Au contraire elles ont d'une certaine manière, amené de l'eau au moulin de la ville, en dénonçant notamment certains agissements de leurs voisins immédiats. En 1825, elles ont même participé à la délimitation et au toisage de la forêt et ne réclamait que la reconduction de leur acte de bail.

Cette même année, dans le cadre de coupes de bois commercial, Veysonnaz n'annonce que deux mas de forêts qui ne permettent aucune vente de bois. Il s'agit d'un mas situé au dessus du village, tout en mélèzes clairsemés, embannisé pour les constructions et d'un autre en dessous destiné aux seuls habitants, comme bois d'affouage.

Les recherches dans les archives relatives à d'éventuelles dettes, à des promesses non tenues ou à des poursuites (commandements de payer, billets à ordre ou lettres de change) pouvant justifier une perte des droits y afférents sont demeurées vaines. En 1975, un relevé des surfaces forestières productives des communes de l'arrondissement de Sion indique que Veysonnaz ne possède, en tout et pour tout, que 10 ha de forêts d'un rendement annuel estimé à 20 m3.